J'ai mis le doigt au hasard sur la carte du monde. Au hasard, je le jure. C'est tombé sur l'Europe, sur la France, sur Montluçon. Je ne connais personne à Montluçon. J'invente.

Montluçon, samedi matin 15 février 2014. Il pleut. Il fait dix. Demain, il fera 11 avec du soleil.

Montluçon, samedi, dix heures du matin. M. Paul sort de chez lui, à pied, il va chercher L'Équipe à la Maison de la presse, il boutonne son imper. L'ai-je dit? Il pleut. Il ira lire son journal au Café du Quai (au bord du Cher). Double expresso. Prend un croissant dans le panier. Son cell se met à vibrer dans la poche de son imper. Ah, tiens, c'est Charles, il doit appeler pour confirmer pour demain.

Ça marche toujours pour demain?

Ben oui, on annonce du soleil.

Pour leur première sortie de l'année, ils ont prévu un petit 65 kilomètres en moulinant (pas de grand plateau). Ils longeront le canal de Berry, pousseront jusqu'à Hérisson, retour par Huriel et Domérat, s'ils sont fatigués, ils couperont par la rive du Cher. Sont attendus vers midi et demi pour dîner. C'est Charles qui reçoit. Ce sera de l'andouillette, sa femme la sert avec des pommes comme si c'était du boudin.

Même jour, même heure, ailleurs dans le monde. Tiens, disons Frelighsburg.

Samedi 15 février, Frelighsburg, dix heures du matin. Je déneige l'entrée. Onze heures, je déneige toujours l'entrée. Midi, je déneige l'auto pour aller chercher La Presse au village. 14 heures, je déneige le toit de l'appentis. 15 heures, je déneige le toit de la galerie. 16 heures, je déneige le toit de l'autre galerie.

Frelighsburg, 15 février, 18 heures. J'ai enfilé mes cuissards, je descends pédaler à la cave. Devant moi le congélateur, à ma droite la planche à repasser, à terre les couronnes de Noël qui attendent d'être rangées.

Frelighsburg, 15 février, dans la soirée. J'ai sorti le guide vert Michelin de l'Auvergne et je lis: «Sur les plateaux qui dominent Montluçon et la vallée du Cher, de toutes petites routes ombreuses mènent à des villages verdoyants...»

Tu pleures? s'inquiète ma fiancée qui vient de me servir mon lait chaud.

UNE CHORALE - Dès la première page, j'ai failli décrocher de La classe de madame Valérie. Ah non! Pas un autre livre d'enfants cutes!

C'était pas ça. Pas du tout. Je le précise pour ceux qui, comme moi, tiennent les livres d'enfants cutes pour de la pornographie juvénile à l'envers, mais finalement aussi dommageable que celle à l'endroit (La vie devant soi, par exemple).

Mais c'est pas ça du tout. Pouvez y aller sans crainte, c'est de la littérature. De celle, ma préférée, qui n'a pas l'air d'en être parce que justement l'auteur a tout fait pour ne pas gagner le prix du Gouverneur général ou mériter une autre tuile du genre.

Donc, 25 personnages, 26 avec la maîtresse Valérie Gauthier. «Vingt-cinq nuances de beige», résume joliment la critique de la revue Liberté. On est dans une école à Grand-Mère, dans une classe de cinquième année, les enfants ont 10-11 ans. On est en 1990, l'avant-veille, la veille et le jour de l'Halloween. Tous les chapitres commencent par la date - «Lundi 29 octobre 1990», suivie du nom de l'enfant qui entre en scène, Philippe Châteauneuf, et d'un court extrait de ce qu'on va lire: «Les machines à coudre sont amoureuses d'elle.» Ou, mon préféré: «Il faut avoir frappé une couple de murs avant de se mettre à vendre des thermopompes.»

De temps en temps, l'auteur projette un des enfants dans son avenir soit en 1997, alors qu'il est au cégep, soit en 2011, alors qu'il est dans la jeune trentaine.

On a parlé d'un roman choral et on peut facilement s'y perdre. C'est qui, déjà, celui-là? Je vous donne un truc: tenez la liste des personnages sur la page de garde au début du livre avec une note qui les distinguera, Marianne Genet la plus belle, Olivier Carignan et Mathieu Rivard joueurs toute étoile au ballon chasseur, Benoît Ayotte «tué» par une fille au ballon chasseur (par une fille, c'est comme mourir pour vrai), Catherine Branchaud l'insomniaque, Joe Tellier qui aime les grosses, Charles Philibert qui tue un crapaud (et c'est juste un début), Laurent Boisvert-Lemay qui veut se suicider (et qui le fera), Philippe Châteauneuf amoureux fou de Marie-Élyse Caron...

L'auteur surgit de temps en temps pour une remarque dont on ne sait trop si c'est une inside joke ou une vacherie (sur Jean-Simon Desrochers, notamment). Reste que sa chorale de futurs vendeurs de thermopompes, de joueurs de ballon chasseur et de petites nounounes dont la maman s'appelle Monique et le papa René chante formidablement juste.

La classe de madame Valérie, François Blais, L'instant même.

HEUREUX LES POISSONS ROUGES - François Cavanna est mort il y a quinze jours. Dans Les Ritals, son livre le plus connu, il racontait son enfance de fils d'immigrés italiens en France, sa mère femme de ménage, son père terrassier...

Des lecteurs ont cru me reconnaître: c'est tout à fait vous! D'ailleurs, vous écrivez un peu comme lui; il était fou de littérature, vous aussi, sa mère était femme de ménage, comme la vôtre...

Je vous arrête, en ce temps-là, les mères de fils d'immigrés étaient toutes femmes de ménage, et en passant, sa mère était française. Cavanna n'était qu'un demi-Rital. J'ai peu pratiqué Cavanna, Les Ritals me ressemblait trop pour m'intéresser, je le lisais parfois dans la revue Hara-Kiri, qu'il a fondée, mais dans Hara-Kiri, je n'en avais que pour Reiser. Ah, Reiser! Vous vous rappelez Jeanine, la bande dessinée de Reiser? Jeanine la salope totale. Ça doit être la Saint-Valentin qui me rappelle celle-ci:

- Montre-moi ta chatte, Jeanine...

- Épluche les patates d'abord.

- Tu me la montreras après, c'est promis? Elle lui fera aussi laver le plancher sans rien montrer et finira par le foutre dehors. Tandis que, de dehors, il la supplie de le laisser entrer, elle lève sa robe devant le bocal du poisson rouge...

Pour revenir à Cavanna, ben voilà, c'est le gars qui a engagé Reiser à Hara-Kiri.