La télé m'a réveillé. On n'écoute jamais la télé le matin. Qu'est-ce qui se passe?

Un feu, cette nuit, dans une résidence pour personnes âgées, une trentaine de morts. Tu vas y aller? Elle était toute énervée. J'ai toujours dit que c'était elle la journaliste. Moi, je veux juste qu'il n'arrive rien. J'aime me lever le matin dans un monde où il ne se passe rien. Ou alors tellement loin, en Saskatchewan, en Arménie. J'hayisles catastrophes qui font parler tous les journalistes de la même chose en même temps. J'hayis les accidents qui font beaucoup de morts parce qu'après, et même toute de suite, faut parler de sécurité. J'hayis parler de sécurité. La fille à la télé parlait déjà de sécurité.

C'est où?

L'Isle-Verte...

Ça m'est revenu en dépliant une carte du Québec, entre Rivière-du-Loup et Trois-Pistoles, L'Isle avec un «S» et l'île proprement dite à 6 km au large. Je suis allé là il y a longtemps à vélo. J'avais dormi deux nuits dans une ferme. Me suis laissé dire qu'il n'y avait plus de fermes, plus de moutons, que des touristes l'été.

Tu vas y aller?

Non.

J'ai quand même joint quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui habite L'Isle-Verte. Quelqu'un qui habite la maison blanche juste à côté de la résidence. J'ai appelé, c'était occupé. J'ai rappelé, rappelé, toujours occupé. En un sens, j'étais content. Je lui aurais demandé quoi: vous connaissiez quelqu'un à la résidence?

Le dimanche, j'ai reçu un courriel de la maison blanche: désolé pour le retour tardif, nous nous sommes retirés loin du brouhaha à notre maison sur l'île.

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Il y a moins de 30 pieds entre le garage de la maison blanche et les décombres de la Résidence du Havre. C'est un passant qui a réveillé Gérald Dionne à une heure du matin. Toute la maisonnée dormait bien sûr...

Pas les pompiers?

Non, les pompiers sont arrivés 15 minutes après. C'est vraiment un passant qui a cogné à ma porte: y'a le feu à côté.

On ne s'est pas énervé tout de suite. Y'avait pas encore de flammes, juste de la fumée. Je me suis d'abord rendu dans la chambre de Floriane, ma plus jeune, j'ai pris le temps de l'habiller, puis dans la chambre de Victor que j'ai habillé aussi, c'est rendu dans la chambre de Clovis, le plus vieux, que j'ai vu le brasier à côté. J'ai pas habillé Clovis. Il est resté en culottes courtes. Allez hop, tout le monde dehors.

Quand les pompiers sont arrivés, ils ont tout de suite arrosé le garage et la maison, à côté il n'y avait plus rien à faire.

Gérald, sa femme Anaïs et leurs trois enfants ont passé la première nuit chez la mère d'un voisin. Le lendemain, ils sont retournés vivre sur l'île comme avant, dans la maison ancestrale où ils vivaient encore il y a deux ans, où ils passent la plupart de leurs week-ends.

Accompagné d'un policier, Gérald est retourné à la maison blanche deux ou trois fois depuis jeudi chercher des trucs. «Ça sent la fumée mais c'est habitable. Pas de dégâts majeurs. Faudra probablement démolir le garage, mais ce qui est dedans est intact, l'auto, le bateau, le skidoo, la souffleuse.»

Natif de l'île, Gérald Dionne a déménagé sur la rive il y a deux ans quand l'école de l'île a fermé. La maison blanche vient de l'île elle aussi, le gars qui l'a achetée en 1945 l'a démanchée pièce par pièce pour la déménager par le pont de glace... à cheval.

Vous connaissiez des gens à la résidence?

Me suis traité tout bas de niaiseux. Qu'est-ce tu crois? Il est né là, il y vit depuis 40 ans, il habite à moins de 30 pieds de la résidence, et toi, l'épais: vous connaissiez quelqu'un à la résidence?

Il paraît que la mairesse a dit que L'Isle-Verte se porterait mieux sans les journalistes. Et encore, madame, et encore, je n'y étais pas.

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Au dépanneur ce matin, la dame qui fait mettre Le Devoir de côté - je lui fais toujours la même blague: «Vous vous êtes encore trompée, celui-là, c'est le mien, madame», je le lui prends des mains et je lui donne le mien - cette dame-là donc racontait qu'on accède à la résidence, où vit sa pauvre mère, par deux portes tout juste assez larges pour une chaise roulante, la première porte donnant sur un vestibule exigu, la seconde s'ouvrant sur ledit vestibule et l'encombrant entièrement. Imaginez s'il fallait évacuer les pauvres vieux par ces deux portes en pleine nuit...

C'est la première fois qu'elle me parle des portes, qu'elle précise que la résidence est en bois et qu'elle a déjà vu, à l'étage de sa maman, un vieux qui fumait. D'habitude, quand elle parle de la résidence, c'est pour dire qu'elle est très bien tenue. Et quand elle parle de sa maman, c'est pour soupirer: la pauvre, elle n'est plus là depuis un moment, elle pourrait s'en aller maintenant.

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PÉPÈRE LA VIRGULE - Même si ma fille est en secondaire 4, je prends toujours plaisir à l'aider à préparer ses examens. L'autre soir, nous avons révisé, Éthique et culture religieuse. Nous avions à mémoriser un tableau des religions du monde, leurs noms, les textes sacrés qui les fondent... Vous saviez, vous, monsieur Foglia, que les principes du zoroastrisme sont codifiés dans l'Avesta?

Et que c'est un certain Baha'Ullah qui a fondé le bahaïsme en 1844?

Je savais que cela vous ferait plaisir de le savoir.

Saviez-vous aussi qu'on n'enseigne plus l'économie domestique dans les écoles, qu'est-ce qu'un budget, la magie de l'intérêt composé, les pièges du crédit?

- Charles Lafleur, enseignant retraité du Collège de Maisonneuve