On s'en étonnera: je fais plutôt confiance à la justice. Je la trouve trop lente, trop chère, trop procédurière, mais au bout du compte, quand elle finit par trancher après avoir entendu la preuve, les témoins, les plaidoiries, je crois qu'elle tranche le plus souvent... en toute justice.

Le verdict de non-responsabilité criminelle rendu il y a deux ans en faveur de Guy Turcotte m'apparaissait précisément comme un exemple rassurant de «toute justice». Cela n'a rien à voir avec mon sentiment envers ce médecin qui ne m'inspire ni pitié ni horreur, rien. Cela n'a rien à voir non plus avec mon opinion sur sa responsabilité ou non-responsabilité criminelle. Je n'en ai pas, d'opinion. Je me dis seulement qu'à moins d'être un parfait psychopathe, pour assassiner ses deux enfants avec un couteau, il faut nécessairement ne pas aller très bien dans sa tête, mais bon, la justice décidera, me disais-je.

Et 12 jurés ont décidé: non responsable.

J'ai vivement applaudi leur indépendance. Pas leur verdict. Je le répète, je n'ai pas d'opinion sur le fond de la question, responsabilité ou non. J'ai applaudi l'indépendance et le courage manifestés par ces douze personnes ordinaires. J'ai applaudi le processus.

On sait dans quel climat délétère se déroulent ces procès dont les victimes sont des enfants. Voilà qu'on retient 12 personnes en rien différentes de celles qui hurlent sur la place publique qu'il faut pendre Turcotte, et après avoir entendu la preuve, les témoins, les experts, les plaidoiries, ces 12 personnes différentes en rien de celles qui hurlent rendent leur verdict: non responsable.

Je dis que c'est là une merveille de justice.

Hier, la Cour d'appel a infirmé leur verdict, expliquant qu'ils avaient été mal instruits par le juge, et ordonne un nouveau procès.

Est-ce que je trouve encore que c'est une merveille de justice? Vous me demandez si je crois à l'indépendance des trois juges de la Cour d'appel comme je crois à celle des 12 jurés?

Totalement.

Ce que je déplore seulement, ce matin, c'est votre carnassier contentement.

Littérature de guerre

Je suis aux deux tiers du Goncourt. Cela s'appelle Au revoir là-haut - de Pierre Lemaitre, chez Albin Michel: c'est pas mauvais, pas formidable non plus. La quatrième de couverture nous annonce que c'est «le grand roman de l'après-guerre de 14». On se calme! La façon dont c'est dit, on jurerait qu'on attend ce roman-là depuis cent ans, 1919, rien, 1920, 1921, 1922, 1923, rien. 1953, 1955, 1967, toujours pas de grand roman de l'après-guerre de 14, mais qu'est-ce qu'y foutent? 1991 non plus. 2013, quand on ne l'espérait plus, tadam!

C'est même pas vrai. Le grand roman de la guerre de 14 a été écrit en 1916 par Henri Barbusse, cela s'appelle Le feu - d'ailleurs couronné par le Goncourt de 1917 -, je l'ai lu, je devais avoir 15 ans, je m'en souviens comme si c'était hier. Au revoir là-haut, je ne m'en souviendrai plus la semaine prochaine.

Puisqu'on est dans le roman de guerre, si vous me demandiez, là tout de suite, de vous faire la liste de mes préférés, outre Le feu, je vous déclinerais Les bienveillantes de Jonathan Littell, Vie et destin de Vassili Grossman, La 317e Section de Pierre Schoendoerffer, À propos de courage de Tim O'Brien, À l'ouest rien de nouveau d'Erich Maria Remarque, Pour qui sonne le glas de Hemingway et, du même fabuleux Ernest, Pourquoi le Luxembourg brûle-t-il.

Il se trouve que LE livre de la rentrée est aussi un livre de guerre. Mais non pas le Goncourt, je viens de vous dire que c'était moyen. LE livre de la rentrée auquel on aurait dû donner le Goncourt, le Renaudot, le Médicis, l'Interallié et pourquoi pas le Femina, c'est Le quatrième mur de Sorj Chalandon, sorte de Wajdi Mouawad breton.

La guerre de Chalandon, c'est celle du Liban comme dans le dernier Mouawad, et comme chez Mouawad encore, elle culminera par le massacre des réfugiés palestiniens des camps de Sabra et de Chatila. Sabra et Chatila, parmi les plus sauvages de tous les massacres de toutes les guerres de toute l'Histoire de l'humanité.

Le quatrième mur raconte l'histoire de deux amis qui se sont mis en tête de monter Antigone, en pleine guerre, sur les décombres qui tenaient lieu de ligne de démarcation entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest.

Du coup, je suis allé lire Antigone. «Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas...» Ainsi commence la pièce signée Anouilh. Dans le livre de Chalandon, Antigone, c'est Imane la Palestinienne, le narrateur en est un peu amoureux, ça finira mal, son chemisier ouvert, ses seins tailladés, son ventre forcé, son visage une bouillie bourdonnant de mouches. Chatila.

Dans ces années-là, j'avais croisé, à Chatila, un docteur canadien et sa femme palestinienne. Dieu qu'elle était belle.

PÉPÈRE-LA-VIRGULE - On est dans une école primaire de la Rive-Sud, première question d'un examen destiné à des cinquième année (10 ans):

Écris deux personnages importants que tu as entendu parler ou lu durant les cours et qui ont joué un rôle important dans l'époque de la conquête et qu'ont-ils fait?

ÉCRIS deux personnages? Deux personnages QUE tu as entendu parler? C'est en serbo-croate?

Un prof excédé m'a demandé l'autre jour: est-ce qu'on a le droit, nous, les profs de faire des fautes, des fois? Ça dépend des fautes, monsieur. Quand elles sont aussi énormes, la question devrait plutôt être: un prof qui ne sait pas écrire peut-il être prof?

Ou mieux encore: un système (une formation des maîtres) qui titularise des profs littéralement illettrés est-il un bon système?