Je vais essayer de faire ça vite parce que c'est encore sur la Charte et tout le monde est un peu tanné. Une urgence, en quelque sorte. Ma vraie chronique commence plus loin...

J'ai reçu un courriel d'un lecteur très favorable à la Charte, chef d'entreprise, fils d'immigrants du Moyen-Orient. Il pose la question: Pourquoi le voile dérange? et il y répond dans un texte bien documenté, qui rappelle qu'une musulmane sur cent le portait en Égypte dans les années 50, que les Frères musulmans l'ont imposé à Nasser en échange de leur appui, puis la dérive des ayatollahs chiites, puis...

Je serai lapidaire, monsieur: on s'en crisse.

Comprenez-moi bien: le sujet est passionnant, mais c'est un autre sujet. Dès le titre, vous vous placez hors sujet: Pourquoi le voile dérange?

Il ne dérange pas, monsieur. Il y a urgence à le répéter. IL NE DÉRANGE PAS. Or les deux camps sont en train de l'oublier: cette charte pour la laïcité n'a aucune opinion sur le voile. C'est une charte pour délimiter un espace civique, un «no God's land», où cette question sur le voile ne se pose même pas.

Les gens qui sont contre la Charte devraient manifester contre la laïcité. Je les vois plutôt brandir des pancartes pour la liberté de porter ou non le voile.

On n'a pas le droit de traduire «interdiction des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique» par «interdiction du voile».

Le raccourci est malhonnête, voire odieux.

Tout aussi odieuse est la bonne femme de cet incident dont le Québec fait ses choux gras depuis un mois, cette bonne femme qui est allée demander à une musulmane pourquoi elle portait le voile. On a beaucoup insisté sur les éructations de la musulmane.

Ce qui me scandalise, moi, c'est au contraire la question de la dame. Même innocemment posée, c'est une question inacceptable.

J'imagine que si l'on demandait à cette dame si elle est laïque, elle répondrait oui sans hésiter.

Pas une seconde, madame.

Lectures de cave

Il y a toujours ce moment vers la fin de ma visite où mon vieil ami me dit, et c'est sa façon de me donner congé: Prends donc un livre.

Ce sont les livres de sa femme, décédée au printemps, livres d'art pour la plupart. Il y en a d'autres à la cave, m'a-t-il dit la dernière fois.

Va pour la cave. J'y ai découvert sous la poussière une vingtaine d'André Maurois même pas "coupés" - vous savez, ces livres qu'il fallait ouvrir au coupe-papier (comme on est loin du numérique!). Sa femme a dû se les faire fourguer par quelque libraire qui allait fermer boutique, à une piastre le panier comme on liquide des fraises à la fin du marché. Parlant de Maurois, on évoquera plutôt le panais que la fraise; si le panais n'est pas tout à fait un navet, il en a néanmoins la fadeur.

Quelques trésors, Rue Deschambault, les deux tomes de Bonheur d'occasion (prix Femina 1947) et la beaucoup moins connue et délicieuse Petite poule d'eau, de Gabrielle Roy aussi, qui n'aura jamais le Nobel de littérature. Elle l'eût pourtant mérité tout autant qu'Alice Munro et presque au même motif qu'a donné l'Académie Nobel pour Munro: «portraitiste fantastique des êtres humains».

Et des piles et des piles de National Geographic. Sur le dessus du numéro d'avril 1977, on pose, en couverture, une sacrée bonne question: One Canada or Two?

Un seul Canada, certainement pas.

Deux non plus, hélas.

Vous y croyez, vous (comme tout le monde au Québec fait semblant d'y croire ces jours-ci pour des raisons qui m'échappent), vous y croyez, vous, à un pays qui deviendrait un pays à la majorité simple des voix plus une? Même plus 5000? Même plus 50 000?

Alors, One Canada or Two?

Un et demi, mon ami. C'est bien en cela que c'est un pays tout croche.

J'EN VEUX - Je lisais le journal (un article sur le clenbutérol, un médicament pas mal formidable), ma fiancée regardait la télé, les minous dormaient, c'était une soirée normale. Dis-moi, fiancée, ton utérus, là...

Ouiiiii...

C'était pas du tout un oui de bienvenue. J'ai continué pareil. Ton utérus, là, mettons que tu voudrais le relaxer, prends note: clen-bu-té-rol. Je te résume l'article, le clenbutérol est souverain pour dilater les bronches et les vaisseaux sanguins, contrer la constipation et relaxer l'utérus. En plus, ça fait maigrir. En plus, c'est un médicament très employé par les vétérinaires. En plus, c'est pas dit dans l'article, mais la chose est connue de tous les cyclistes: Alberto Contador a gagné le Tour de France 2010 grâce au clenbutérol. On a fini par lui enlever son titre, n'empêche...

Imagine, mon amour. Je clenche tous les cyclos dans la Joy Hill, toi tu te relaxes l'utérus, et avec ce qui reste, on soigne les minous. Prends-en donc une caisse.

INTÉGRATION - Il y a eu les cinq raisons pourquoi tant de Québécois choisissent Bell, et il y a cette nouvelle pub de Bell qui met en scène deux femmes, une Noire et une Blanche, la Blanche va lever la porte d'un garage dans lequel des hommes sont en train de regarder la télé, juste avant, la Noire a demandé à la Blanche: Ça leur dérange pas de...

Bell a les moyens de faire réviser ses pubs par les meilleurs réviseurs du monde, et pas un seul ne laisserait passer "ça LEUR dérange pas...» Donc Bell le fait exprès.

Déranger, verbe transitif direct, commande les pronoms LE, LA ou LES. La dame noire aurait dû demander: Ça ne LES dérange pas de...

La faute est commune au Québec, je l'appelle la faute des commentateurs sportifs, ils la font vingt fois dans la description d'un même match de hockey, notamment pour rapporter un contact: il LUI touche au lieu de il LE touche.

C'est précisément parce que la faute est commune que Bell la fait volontairement pour rejoindre le commun.

Mais la putasserie des putasseries est d'avoir mis cette faute dans la bouche de la femme noire.

Non pas parce qu'elle est Noire et parle petit nègre. Tout le contraire. Parce qu'elle est Noire et, cependant parle tellement bien le québécois...

Une subliminale illustration d'intégration réussie.