N'allez pas croire que j'en ai contre les touristes. Un par un, ils sont gentils. Vous venez d'où? De Laval? Comme c'est amusant. Mais ça ne vous fait pas un peu loin, Saint-Armand? Ne seriez-vous pas plus vite rendus dans les Laurentides?

Parlant de tourisme, j'ai souvent pensé que ce serait merveilleux si le tourisme fonctionnait sur le même principe que les ascenseurs. Pensez à cette affichette vissée à la cloison qui dit: Cet ascenseur ne peut contenir plus de 10 personnes. Je rêve qu'on puisse poser le même genre d'affichette sur un paysage: Ce paysage ne peut contenir plus de 100 personnes.

Hélas, c'est l'inverse. Quand il y a déjà 10 personnes dans l'ascenseur, la 11e attend raisonnablement le prochain, alors que le 101e touriste se dit: Hein! Ils sont déjà 100? Ça doit être parce que c'est beau en crisse! Et il se précipite sans comprendre qu'il met le paysage en danger. Voilà qu'ils sont maintenant 101, puis 1000, puis 100 000, comme dimanche dernier sur le chemin Saint-Armand.

Un camion de lait descendait la côte du village, je la montais, les autos piaffaient derrière moi. Dès qu'il a été possible de me doubler, zoum, zoum, zoum, elles m'ont tassé dans la garnotte à grands coups d'accélérateur rageurs. Ça se passait à peu près devant la pancarte qui montre un cycliste et une auto se partageant la route.

Reste le terrorisme. Je m'y résoudrais sûrement si le Vermont n'était pas à deux coups de pédale.

J'ai passé la frontière à Morses Line. Zéro moto, zéro vélo, presque zéro auto, de temps en temps un pick-up et, au plus beau de Noble Hill - un haut plateau avec des combes comme on en trouve dans le Jura suisse -, au plus beau, disais-je, un tracteur qui tirait une charrette de foin avec un chien qui courait à côté. Je l'ai suivi jusque dans la cour de ferme où il est entré...

J'ai remercié le fermier.

For what?

Landscape ne m'est pas venu, ni scenery, ni surroundings. J'ai fait un geste qui ramassait tout ça: all that.

Mais j'avais dans l'idée en commençant cette chronique de m'adresser aux motocyclistes. Voici. Il me semble, chers amis, que les Laurentides sont tellement plus belles pour faire de la moto que les routes de la Haute-Yamaska qui mènent à des villages où vous chercherez en vain à commander une poutine, voire un hamburger. Me semble qu'une petite ville comme Saint-Sauveur, par exemple, s'est développée exprès pour qu'on y pétarade.

Il y a aussi Joliette pas loin, ô combien charmante, et la route bucolique qui mène de Joliette à Sainte-Émélie-de-l'Énergie. Mais vous habitez la Rive-Sud et ça vous fait un peu loin? Sorel alors? Sorel non plus? Vous tenez absolument aux Cantons de l'Est? OK, je l'ai. Connaissez-vous Rock Forest? Me semble que si j'avais une moto, j'irais rouler à Rock Forest.

Merci d'y penser.

L'AMOUR - Quelques fois dans ma vie, je suis tombé en amour avec une actrice de cinéma, Anouk Aimé, la Lola du film de Jacques Demy, Nicole Kidman dans Dogville, Hanna Schygulla dans je ne sais plus quel Fassbinder, et la dernière fois, c'est arrivé cette semaine avec la Canadienne Sarah Polley dans un film que j'avais déjà vu, Ma vie sans moi. J'avais allumé la première fois - il y a plus de cinéma, de beauté, de génie, d'humour, d'amour dans les vingt premières minutes de ce film-là que dans tous les trucs que j'ai loués depuis six mois, ce qui inclut Gatsby, Shame, etc. -, j'avais allumé la première fois, mais je n'étais pas tombé en amour avec Sarah Polley.

Le film commence. C'est une fille dans une maison mobile avec deux jeunes enfants, elle part travailler (elle fait le ménage la nuit à l'université), c'est pas du tout une actrice déguisée en femme de ménage, c'est une jeune femme avec un visage ordinaire, habillée ordinaire, avec des cheveux roux ordinaires - sûrement teints. Je la croiserais dans la rue, je ne lui dirais pas bonjour, Sarah Polley, je vous aime, je ne lui dirais rien, je ne la verrais pas.

En fait, c'était juste pour dire ça: des fois je tombe en amour avec des actrices de cinéma, mais le plus souvent, dans la vie, je suis tombé en amour avec une fille que je n'avais même pas vue la première fois.

TRAJECTOIRES - Dans le village voisin du mien, la dame du dépanneur vient de vendre son commerce à un Chinois de Granby. Il est arrivé il y a une douzaine d'années, il vient de la province du Shandong.

J'ai dit: ah, le Shandong! Jinan, Qingdao! Jolie ville, Qingdao...

Vous y êtes allé?

Oui. À vélo. Pékin-Qingdao-Shanghai. C'était au tout début des années 80, la Chine s'éveillait du cauchemar de la Révolution culturelle.

On a parlé un peu, mais depuis, chacun reste sur son quant-à-soi. Il scanne La Presse, me rend la monnaie. Il doit dire: Tiens, voilà le weirdo.

Avant ce dépanneur, que faisiez-vous à Granby? Un autre dépanneur?

Non, un motel.

En revenant avec La Presse, dans l'auto, je rêve parfois d'aller m'ouvrir un motel à Qingdao, au bord de la mer Jaune, le Yellow Sea Inn. Il y aurait une pancarte qui dirait bienvenue aux cyclistes de Granby.

MERCI - C'est à propos de la Charte, mais pas vraiment. C'est un monsieur qui s'appelle Hicham Alaoui. Il n'a pas du tout aimé mes chroniques sur la Charte, il me le dit plutôt poliment et avec mesure, mais en s'étonnant douloureusement. Son courriel commence ainsi: Vous [M. Foglia] qui êtes normalement posé et réfléchi...

Dieu que j'ai aimé ça. Je ne sais pas ce qui me flatte le plus. Posé? Réfléchi? Normalement, c'est bien aussi. Normal, étale, égal, c'est tout moi.

Entends-tu, fiancée? Normalement posé et ré-flé-chi.

Si vous aviez vu sa tête, M. Alaoui. Merci.