À une collègue qui me demandait si j'allais prolonger mes vacances encore longtemps, je répondais que je reviendrais à la chronique lorsque le débat sur la Charte serait terminé. On se revoit en janvier, alors, m'a-t-elle lancé plaisamment...

Je n'ai pas une opinion si originale sur la Charte qu'il urgeait tant que cela que je mette fin à mes vacances pour vous la donner. Mon opinion tient en quelques mots, c'est, je crois, l'opinion d'une majorité de Québécois: oui à la Charte, oui à l'interdiction des signes religieux ostentatoires chez les employés de l'État qui «exercent un pouvoir de sanction», juges, policiers, etc. Mais je trouve inopportun, maladroit même, que cette interdiction s'étende, comme le propose la Charte, aux travailleuses en garderie, aux infirmières, aux fonctionnaires en général.

Je suis d'accord aussi pour que l'on ne décroche pas le crucifix à l'Assemblée nationale ni partout où il est encore accroché en ce moment. Une contradiction? Disons plutôt une notification. Dans ce pays, même le plus athée des athées, moi par exemple, est de culture chrétienne. C'est bien de le notifier.

Pour les écoles? Bien sûr, des maîtres et maîtresses sans foulard, mais aussi les enfants. Que les enfants apprennent la laïcité dans le geste d'enlever leur foulard en entrant, tout autant que dans celui de le remettre en sortant.

Mais même là-dessus, l'école, je pourrais changer d'avis, si l'on me dit que d'interdire le foulard aux gamines compromettra la paix sociale, comme cela est arrivé en France, par exemple.

Bref, dans ce projet de charte, ma mesure est là: la paix. Qu'on ne se chicane pas inutilement.

Qu'on m'entende bien: je ne suis pas Mme Mourani. Dans son principe comme dans ses détails, la charte de M. Drainville (et de Mme Marois) me conviendrait parfaitement. Je ne crois pas une seconde qu'il s'agisse de «nationalisme ethnique» ni de «stratégie électoraliste identitaire». Il s'agit bien de laïcité, d'une courageuse (et sans doute utopique) tentative de l'établir une fois pour toutes. Elle me conviendrait parfaitement en l'état disais-je, je trouve seulement que la bouchée est grosse à avaler. Je trouve que le bordel appréhendé n'en vaut pas la chandelle. Que, dans son application surtout, cette charte de la laïcité tendra plus à la faire détester qu'à la révéler comme le creuset (qu'elle est dans les faits) d'une société plus ouverte.

C'est tout pour la Charte.

Ce n'est pas la Charte qui me donne envie de fuir le Québec ces jours-ci, c'est le débat sur la Charte. Plus précisément: je n'en peux plus de vous entendre clamer dans tous les micros qu'on vous tend qu'en fait d'humains, vous les aimez comme des Smarties de toutes les couleurs, de toutes les religions, envoye donc, les Arabes, les Juifs, les Tamouls, les Africains, les Haïtiens, même les Français. Honte à une charte qui laisserait penser le contraire.

On va hurler, mais je vais le risquer pareil: on finit par se dire, à vous entendre ces jours-ci, que vous devez vous aimer bien peu pour tant vous dépêcher à aimer non autrui, non pas les autres, mais leur diversité multiculturelle. Vous aimez le monde entier, mais apparemment, vous ne vous aimez pas assez pour vous donner un pays qui ne serait pas l'arrière-cour d'un autre, un pays auquel vous tiendriez assez pour préciser aux nouveaux arrivants: O.K., faites comme chez vous, mais un peu aussi comme chez nous.

Portez comme il vous plaira foulard, hijab, même niqab, et la mosquée est à droite en sortant, mais retenez que cette école publique ne dispose pas d'un lieu de prière, et ce n'est pas un oubli, c'est comme ça. Notez aussi qu'il n'y a pas de menu halal à la cafétéria.

Je n'en peux plus de Radio-Canada, même si je suis moi-même le plus radiocanadien des radiocanadiens. Je n'en peux plus du ton affligé que prennent depuis 10 jours les journalistes, les lecteurs de téléjournal, les animateurs d'émissions d'affaires publiques dès qu'il est question de la Charte. On l'entend dans leur voix, sinon dans leur propos: ouache, beurk, caca, on entend aussi leurs mercis silencieux à Mme Mourani de dire à leur place, ouache, beurk, caca.

La raison qu'on est venu ici (sic), dit la dame aux nouvelles télé de Radio-Canada, la raison qu'on est venu, dit la dame avec un foulard sur la tête, c'est que c'est un pays démocrate (resic)...

Arrête, madame Foulard! Les raisons pour lesquelles t'es venue ici, c'est que t'as fait une demande à l'ambassade du Canada de Rabat ou d'Alger (t'en as fait une aussi pour l'Australie), t'as rempli des tonnes de papiers, t'as attendu des mois, peut-être même une année ou deux, et un jour un fonctionnaire de l'ambassade t'a appelée:

Bonjour, madame Fatima, j'ai une très bonne nouvelle pour vous, votre demande d'immigration a été acceptée.

T'as pleuré tellement t'étais contente, Fatima. T'as appelé ton mari au bureau: on y va! T'as mis ta maison en vente, et vous êtes partis, ton mari, tes deux enfants et toi vers une nouvelle vie. Au Québec parce qu'on y parle français.

La démocratie, dans tout ça? Arrête la démocratie.

On va faire une supposition, veux-tu, on va supposer qu'au lieu de te dire j'ai une bonne nouvelle, le fonctionnaire de l'ambassade du Canada t'aurait dit: j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

La bonne, c'est que votre dossier est accepté.

La mauvaise, c'est que le Québec où vous pensez vous installer vient d'adopter une Charte des valeurs québécoises qui interdit aux employés de l'État le port de signes religieux ostentatoires.

Dis-moi, Fatima, t'aurais dit quoi au fonctionnaire de l'ambassade?

T'aurais dit fuck, j'y vais pas parce que la raison qu'on y va, c'est la démocratie?

T'as bien fait de venir, Fatima, mais arrête cinq minutes de dire des conneries.