C'est pas la neige; la neige, ça se pellette. C'est pas la neige, c'est ceux qui disent, inspirés, ah comme il a neigé! C'est pas la neige qui me fait chier, c'est la bonne femme météo qui nous l'annonce comme un cadeau. C'est pas la neige, c'est ceux qui revendiquent leur nordicité et qui s'en font un drapeau.

Ceux qui ont déjà déneigé un toit, levez la main. Les autres, taisez-vous donc.

Sont 30 kilos over, l'été tondent leur gazon sur un petit tracteur, leur gros cul qui déborde du siège, pout, pout, pout. Veulent nous faire croire qu'ils vont chercher le journal au village en raquettes ou en ski de fond.

C'est pas la neige, c'est les bigots, les dévots du froid. Fait moins vingt, moins 55 avec le refroidissement éolien; attention, tu vas te geler les couilles. Mais les couilles, ça gèle pas. Le cerveau, oui. Le pays des cerveaux gelés.

Les blizzards ont trempé leur âme, forgé leur volonté. C'est pas la neige, c'est ceux qui la revendiquent comme identité, comme civilisation.

C'est pas la neige, c'est le Canada.

De novembre à avril, je suis complètement, exclusivement luxembourgeois.

Cette nuit, les coyotes m'ont réveillé. Quand je les entends glapir, ricaner et japper si près de la maison, je me dis les sacraments sont en train de bouffer un de mes chats. Alors je me lève pour les compter. Pas les coyotes niaiseux. Les chats... 7, 8, 9 il en manque un. Ah voilà Charlie qui sort de l'armoire à musique. Dix avec Charlie. Tout est bien.

J'ai dit un, c'est une. Tout l'été on a cru que Charlie était un garçon. C'est une fille. Elle nous est arrivée une nuit de juillet, plus petite qu'un rat, noire et blanche comme sa mère, qui vit à cinq kilomètres d'ici sous le pont de la rivière aux Brochets. Tellement maigre, la mère, qu'elle ne devait plus avoir de lait. Si c'est comme ça, a dit la petite, son baluchon sur l'épaule, je m'en vais chez les Foglia. Cinq kilomètres à travers une forêt pleine de coyotes.

Allez pas croire, j'aime les coyotes aussi. Plus que les gens. Tiens, l'autre matin, sur Twitter, y avait une photo mise en ligne par Carey Price qui le montrait lui, Carey Price, un fusil semi-automatique à la main, derrière un pick-up dans la boîte duquel on voit le coyote qu'il venait de tuer.

Mettons j'aurais 40 ans. Mettons j'aurais un petit garçon de huit ans. Mettons dans sa chambre, au mur, y aurait un poster de Carey Price.

Et ben drette là - drette là! y aurait pu de poster de Carey Price.

Le petit garçon pleurerait. Pleure pas, c'est un con. Viens, je vais t'apprendre une récitation, ça s'appelle La mort du loup... Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant/Il nous regarde encore et se recouche/Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche/... Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri (1).

T'as compris? Sans jeter un cri. Arrête de brailler.

Parlant de hockey, mon année sportive a commencé par un cri de joie quand j'ai entendu, jeudi matin, à C'est bien meilleur le matin, que l'équipe canadienne s'était fait sortir de la finale du Championnat du monde de hockey junior. Défaite de 5 à 1 contre les Américains. Yess. J'étais surtout content pour les entraîneurs canadiens incapables de mettre en valeur le formidable talent de cette équipe pour n'en exploiter, comme d'habitude, que le côté le plus sombre: la brutalité.

Mon année sportive s'était terminée le 31 décembre par la lecture d'un des meilleurs textes sportifs de l'année, Ronald King, dans La Presse. Le titre, «La honte». Le sujet, cette même équipe junior: «Le scénario se répète chaque année... les jeunes nous font honte avec du jeu violent, digne des pires matchs professionnels. Autant ils sont talentueux, autant ils sont détestables, antisportifs, mesquins.»

Ma vie c'est d'la marde, une fois, dix fois, cinquante fois, c'est amusant. Mais 1263 fois? Lorsque ce printemps j'ai entendu Lisa LeBlanc en entrevue à l'émission de madame Perrin, j'ai eu le même coup de coeur que pour Adamus, ou pour Avec pas d'casque. Même marginalité inspirée, même liberté dans les textes. Mais j'ai su de suite que cette toune-là - Ma vie c'est d'la marde - allait sans doute la tuer après l'avoir mise au monde. C'est ce qui est en train d'arriver. C'est bête parce que c'est une bonne toune, sauf qu'on n'entend plus les autres. Cette fille, qui est beaucoup plus qu'un accent et une parlure, est en train de se laisser réduire à une toune, même pas à une toune, à un mot: de la maaaaaaaarde. Triste.

Je viens de voir cinq bons films québécois de suite. Je sais, les revues de l'année ont toutes souligné que 2012 n'avait pas été un grand cru... Laurence Anyways, c'est 2011? Oui, mais il vient juste d'arriver à mon club vidéo. Camion aussi, c'est bon, non? C'est même meilleur. Rebelle, j'ai eu de la misère, mais c'est loin d'être nul. Il y a aussi Le Torrent, si fidèle (trop?) à Anne Hébert, et l'extraordinaire Laurentie dont j'ai déjà parlé. Ça fait cinq de suite. Pour une mauvaise année...

Parlant de cinéma, je lisais l'autre jour un article sur Audrey Tautou, qui incarne Thérèse Desqueyroux. J'ai eu une absence, c'tu Mauriac, Thérèse Desqueyroux? Cout'donc, cela vous arrache tant que cela la gueule de nommer l'auteur?

Comme le film dont tout le monde parle ces jours-ci, De rouille et d'os. Avant d'être un film d'Audiard, c'est une nouvelle d'un auteur canadien, Craig Davidson (d'ailleurs très mal traduit chez Albin Michel). Encensée par la critique américaine, saluée par des écrivains comme Thom Jones, Brady Udall, Stewart O'Nan, De rouille et d'os est d'abord une oeuvre littéraire, un LI-VREU. Un livre dans lequel il y a huit histoires qui pourraient toutes devenir des films. Nommez-moi un film qui est déjà devenu un livre.

Le mononcle à sa nièce qui est en première année:

Pis? Aimes-tu l'école?

La réponse fuse: non! Mais il faudra bien apprendre à lire pareil parce que si on a des enfants, on va être obligé de leur lire des histoires.

Bref, faut aller à l'école. Faut apprendre à lire. Faut avoir des enfants. Faut leur lire des histoires. Pouuuuh. La chanteuse aurait-elle raison?

1. Poème d'Alfred de Vigny.