Ils se sont mis à compter comme si c'était la nuit du 31 décembre: 10, 9, 8... 2, 1, tadam! Sauf que, au lieu de s'embrasser, ils sont allés voter.

Le premier à entrer dans l'isoloir a été Ed Butler. L'urne était placée bien en vue, l'électeur devait dire son nom en glissant son bulletin dedans. Ed Butler! Puis ce fut Rick Greenwood. Puis Donna Tiedeman. À 0 heure, 5 minutes et 42 secondes mardi matin, bien avant l'aube, les 33 personnes inscrites sur la liste électorale de Hart's Location, le plus petit village du New Hampshire, avaient voté.

Les premiers Américains à voter. C'est bien de cela qu'il s'agit: «To be the first in America.» To be the first dans quelque chose.

À 0 heure et 19 minutes mardi matin, le responsable du bureau de vote a proclamé les résultats: Obama 23, Romney 9 et le libertarien Gary Johnson, 1.

Hart's Location n'est pas seulement le plus petit village du New Hampshire - 41 habitants une vingtaine de maisons -, c'est aussi le plus grand: 18 km de long sur 2 de large, il s'étire sur le flanc des montagnes Blanches, dans la vallée du mont Washington.

On était bien 200 à s'entasser dans le town hall, à peine plus grand qu'une roulotte de chantier de construction, tout aussi laid et à peu près aussi confortable. En plus des isoloirs ordinaires, l'espace était encore réduit par un isoloir supplémentaire, spécial, pour handicapé.

Mais puisqu'on vous dit qu'il n'y a pas de handicapé dans le village, a protesté le secrétaire de la mairie. On s'en fout, pas d'isoloir pour handicapé, pas d'élection.

Bizarrerie plus ahurissante encore, il y avait pour surveiller cette élection deux observateurs de l'ODIHR (Office for Democratic Institution and Human Rights), exactement comme si on était au Zaïre ou en Azerbaïdjan! Un Anglais, Paul Wesson, et un monsieur nommé Elsin Musayev, originaire d'où? D'Azerbaïdjan! Non c'est pas une joke, c'est la démocratie qui avance, je trouve, à pas de géant.

George Homes, 84 ans, et sa femme, Nancy, bostoniens d'origine, se sont installés à Hart's Location à leur retraite. La première épicerie est à 15 km; le premier hôpital, à 50; la route de montagne qui y mène est enneigée cinq mois par année... Vous n'avez pas peur?

Des fois, concède George. Mais j'aime tellement ce pays! J'aime les ours dans ma cour, les renards roux que ma femme nourrit. Il ne voulait pas me dire pour qui il allait voter mais, après un silence, il m'a donné un bon indice: Ce sera un grand recul pour l'Amérique si Obama n'est pas réélu.

Qu'est-ce que vous aimez de lui?

J'aime qu'il soit du bon côté du progrès. Par exemple, la santé, les droits des femmes, des gais, l'immigration...

Zarvin, d'origine salvadorienne, garçon au restaurant du Notchland Inn voisin, ne doutait pas une seconde de la victoire d'Obama. C'est pas la victoire d'Obama qui m'inquiète, ces jours-ci. Ce qui m'inquiète, c'est la neige! Pas de neige comme l'hiver dernier, très mauvais pour la business. Personne au Notchland, personne au restaurant. Vous avez eu de la neige à Montréal, l'hiver dernier?

Rick Faxon, réparateur de machinerie, si grand qu'il touchait presque au plafond, était là avec son fils. Gary, bûcheron, était là avec sa fille Chelsea. Donna Tiedeman était avec son mari. Ne cherchez pas, ils étaient tous là, sauf ceux qui en étaient empêchés par des raisons de force majeure, raisons certifiées par déclaration sous serment. Ceux-là ont voté par la poste (abstentee ballot).

Au New Hampshire, les villages de moins de 100 habitants peuvent ouvrir leurs urnes à minuit, les fermer dès que tous les électeurs ont voté et procéder au dépouillement sur-le-champ. En 2000 et 2004, Hart's Location a voté Bush. En 2008, Obama. En 2012, Obama.

Le vote de minuit faisait courir jadis les grands réseaux de télévision. Il n'y a plus guère que les journaux locaux et les agences de presse pour rapporter brièvement la chose. Notons qu'un autre minuscule village tout au nord du New Hampshire, Dixville Notch, dispute à Hart's Location le titre de «first in the nation», mais c'est un peu une tricherie, disons une anomalie de la carte électorale. Dixville - j'y étais en 1996 - n'est pas un village avec des maisons, des chemins ni rien, c'est un complexe hôtelier (le Balsam) aujourd'hui en rénovation. Dixville a rendu hier un match nul: Obama 5, Romney 5.