Quel spectacle! Quelle cruauté aussi.

L'Américaine Alex Morgan vient de compter de la tête, c'est 4-3 pour les États-Unis. On est dans les arrêts de jeux, au bout de la période de prolongation. Cela fait plus de 120 minutes qu'elles jouent. L'arbitre regarde sa montre, siffle la fin. Les Canadiennes se laissent tomber sur la pelouse, les bras en croix, fusillées, détruites. Pour toutes ce sera la défaite la plus amère de leur carrière, peut-être bien de leur vie. Elles ne méritaient pas ça. Elles ont livré un combat épique, elles sont allées au bout de l'épuisement dans un engagement de tous les instants. Elles allaient causer une des grandes surprises des Jeux, éliminer les Américaines. La finale olympique leur tendait les bras.

Les Canadiennes ont mené à la marque pendant presque tout le match. Trois fois Christine Sinclair - impériale hier -, trois fois Sinclair a cloué ce qu'on pensait être le cercueil des Américaines. Mais trois fois les Américaines sont revenues dans le match. Il a bien fallu s'en aller en prolongation. On jouait les dernières secondes des arrêts de jeux, cela se réglerait donc aux tirs aux buts quand Alex Morgan est allée chercher de la tête ce haut ballon qui lui était personnellement et magnifiquement adressé, pour le placer juste sous la barre.

Un superbe but, mais quelle injustice. Quel vol. Quel coup de poignard au coeur. Les Canadiennes s'en allaient disputer la médaille d'or aux Japonaises, elles iront plutôt chipoter la médaille de bronze aux Françaises.

Mais dans quel état?

Une journée comme une autre

Sainte-Justine, en Beauce, six heures moins le quart hier matin. Daniel Labonté partait travailler comme tous les jours. Au moment même où il quittait la maison, à Londres, sa fille Julie faisait son entrée dans le Stade olympique. Julie Labonté tentait hier de se qualifier pour la finale du lancer de poids. Elle a échoué.

Quand j'avais appelé son père un peu avant les Jeux, je lui avais demandé: vous ne serez pas à Londres, M. Labonté?

Je n'ai pas cet argent-là, m'avait-il sobrement répondu. Il travaille au parc éolien sur les hauteurs de Saint-Luc-de-Bellechasse, où son cell fonctionne plus ou moins. Julie a plutôt appelé sa mère vers sept heures.

Elle était déçue?

Pas du tout, me rapporte sa mère. Pensez, 80 000 personnes dans le stade, elle était émue. Elle visait la finale, c'est sûr, ce sera pour Rio. Elle a 22 ans, vous savez...

Elles ne se sont pas parlé longtemps, les premiers enfants sont arrivés - elle tient une garderie en milieu familial - et ce fut une journée comme une autre à Sainte-Justine en Beauce.

Julie sera à Sainte-Justine ce soir, ses parents iront la chercher à l'aéroport de Québec. Une petite semaine et demie de repos et ce sera déjà l'heure de la rentrée à son université, à Tucson en Arizona..

Julie est venue au poids après avoir essayé le baseball, le hockey, le volleyball. Son père a été son premier entraîneur, elle triomphe maintenant avec son université dans le championnat de la NCAA.

C'est un drôle de truc, le lancer du poids, du disque et du marteau chez les femmes. On est loin du glamour du sprint. C'est en train de changer, mais ç'a été longtemps la chasse gardée des grosses paysannes soviétiques issues d'improbables kolkhozes; la médaille, c'était pour mettre un peu de beurre sur le pain. Ça a continué comme ça après la chute du régime. Encore hier, il y avait en finale deux Biélorusses, deux Russes, trois Chinoises, et c'est une Biélorusse qui a remporté l'or.

Julie n'est ni du même gabarit ni de la même culture. Elle vient d'une belle université, d'un championnat très relevé, mais comment dire? Il lui manque l'âpreté des héritières de l'athlétisme soviétique. Elle habite trop loin de Tchernobyl - c'est en Ukraine, je sais - pour être radioactive.

La médaille d'or s'est gagnée à 21,36 mètres. La meilleure performance à vie de Julie: 18,31. Hier, 17,48.

C'EST MIEUX AU CINÉMA - La boxe féminine a fait son entrée aux Jeux. Les trois combats de filles que j'ai vus jusqu'ici étaient un peu nuls, à l'image de celui qu'a perdu la Canadienne Mary Spencer hier aux mains de la Chinoise Li Jinzi.

La Canadienne, championne du monde, partait grande favorite. On lui promettait même la médaille d'or. Elle a gagné le premier round, perdu nettement le second, le troisième a été nul, elle a laissé échapper le quatrième, et la voilà déjà éliminée. Je ne crois pas que ça s'est joué à la boxe. Ça s'est joué sur la forme. Au quatrième round, la Canadienne n'avait plus aucun ressort. Elle courait après son souffle.

Paralysée par l'enjeu? Méforme?

Un petit combat plate. Je pense que je vais oublier le tournoi féminin de boxe olympique. Je vais plutôt aller relouer Million Dollar Baby de Clint Eastwood.

LA TECHNOLOGIE - Ce 400 mètres, que je vous annonçais historique hier, le fut presque. Par son vainqueur, le Grenadien Kirani James, qui donne à son pays la première médaille olympique de son histoire - 43,94, meilleure performance de l'année. Historique aussi par ses deux Belges monozygotes qui prenaient part à cette finale et qui terminent, comme ils se doit pour des monozygotes, dans le même temps ou presque.

Si je vous parle de ce 400 dont vous n'avez rien à foutre, mais si, mais si, c'est parce qu'il illustre à la perfection ce que sont devenus les Jeux olympiques .

Ma fiancée, qui ne sait rien de l'athlétisme, s'est soudainement passionnée pour le 400 mètres. Pas pour la finale, qu'elle n'a même pas regardée, mais pour les séries et les demi-finales, auxquelles participait Oscar Pistorius.

Ah les prothèses d'Oscar! Deux lames de carbone fixées à une sorte de genouillère et qui lui servent à la fois de pieds et de tibias.

Il va gagner?

Non, mon amour, il va se faire planter.

Pourquoi que ça te fait plaisir?

Parce que j'aime le sport, la technologie ça me fait chier. Veux-tu savoir d'autre chose sur le 400 mètres?