Je n'ai aucune culture musicale. Je pousse mon ignorance des beaux-arts jusqu'à l'insensibilité. Je ne connais rien aux vins... J'abrège ici la très longue liste de mes incultures, je n'en tire pas vanité, je ne m'en désole pas non plus, seulement quand je me retrouve avec gens qui parlent de Beaujolais ou de Bordeaux, ou quand quelqu'un lance que Bernard Buffet c'est pour les épiciers et que Haydn aussi est un peu pompier, ben je ferme ma gueule parce que je n'y connais rien.

Pourquoi je vous raconte ça tout d'un coup?

Parce que ce matin, à la radio, je vous entendais parler du 3000 steeple et je me demandais ce que vous pouvez bien savoir du 3000 steeple.

Ça m'énerve que vous ne sachiez rien du 3000 steeple?

Pas une miette.

Alors ça m'énerve que vous en parliez pareil?

Pas une miette non plus. Je vous entends aussi dire n'importe quoi sur l'économie, l'éducation, la culture et ça ne me fait pas un pli. Non, ce qui m'énerve, avec les Olympiques, je vais vous le dire.

C'est l'obligation que l'on nous fait de nous y intéresser pour des raisons commerciales (les cotes d'écoute). Et l'obligation que vous vous faites de les suivre pour de plus mauvaises raisons encore: patriotiques. Canada, Canada. Québec, Québec.

J'aime le répéter, la culture du sport est une culture périphérique absolument pas indispensable. Le 3000 steeple n'a jamais rien ajouté à la culture de personne. Il y a plus de joueuses de tuba à travers le monde (coucou Adèle) que de coureurs de 3000 steeple.

J'ai reçu ce matin une pluie de courriels (trois) pour me demander pourquoi Alex Genest a été éliminé alors que des coureurs qui ont couru 6 secondes plus lentement que lui seront de la finale du 3000 steeple. J'ai commencé à leur expliquer que ce n'était pas comme à la natation, que la sélection en athlétisme se fait par le rang et se complète par les meilleurs chronos, mais je me suis arrêté tout à coup, j'ai tout effacé et je leur ai posé une question qui ne se veut même pas insolente:

Qu'est-ce que ça peut bien vous foutre?

LES AFRICAINS - Je vous écris d'un oeil, de l'autre je ne perds rien du 10 000 mètres que sont en train de dominer les Éthiopiennes. Un autre épisode de la guerre Kenya-Éthiopie, guerre que le Kenya à d'ores et déjà gagnée chez les hommes; chez les filles, c'est loin d'être fait. Chez les filles, les pires ennemies des Éthiopiennes sont souvent... les Éthiopiennes.

Ce ne semble pas être le cas ici, Vivian Cheruiyot mène un train d'enfer pour mettre Tirunesh Dibaba en orbite, c'est l'entente parfaite. C'est comme une leçon de 10 000 mètres. Son travail de sape terminé, Cheruiyot se tasse, la Kényane Kipyego ne réagira pas quand Dibaba va s'envoler.

On devrait revoir Dibaba dans le 5000. La reine d'Addis-Abeba viendra y chercher encore un peu plus de notoriété à se transformer en or; la petite paysanne est devenue une riche femme d'affaires, pas plus folle que Gebreselassie ou Bekele, ses modèles masculins. Elle s'est fait construire des immeubles, des villas, et elle disait récemment mener le même combat pour l'égalité que toutes les femmes du monde. Bekele (doublé 5000 et 10 000 à Pékin) s'est fait construire trois hôtels? Ben elle aussi d'abord, trois hôtels. Égalité.

Parlant du 10 000 mètres, mon ami Simon Drouin posait la question dans notre journal d'hier: pourquoi faudra-t-il suivre le 10 000 mètres des hommes dimanche? Euh... je ne sais pas, Simon, sans doute parce que tu n'auras pas eu le temps de le regarder samedi et que tu vas le regarder en reprise dimanche?

Sérieux, dans le 10 000 aujourd'hui, samedi donc, on annonce une lutte Bekele-Mo Farah, cet Anglais qui fait rêver tout Londres. J'aimerais bien Bekele, mais ce sera plutôt Mo Farah contre les trois Kényans. Demain, le 3000 steeple, qui sera lui aussi kényan.

L'athlétisme commençait hier, les Jeux aussi.

ANDRÉANNE - Pékin, il y a quatre ans. J'attends Andréanne Morin au bout du bassin où l'attendent aussi ses parents. Je l'aperçois près des hangars à bateaux avec les autres filles du huit - même de loin on pouvait voir qu'elles pleuraient comme des veaux. Elles venaient de finir quatrièmes. Andréanne sanglotait encore quand elle est venue se jeter dans les bras de son père.

Quelques mois plus tard, je la retrouvais au bord du bassin d'aviron de l'île Notre-Dame, où elle parrainait une collecte de fonds. Elle souriait, mais d'un petit sourire douloureux: la plus amère de toutes mes défaites, m'avait-elle dit.

Un an après, je la croisais sur Sherbrooke à la hauteur de l'évêché, elle joggait, elle travaillait à l'époque dans un bureau d'avocat. L'aviron?

Fini, l'aviron, m'avait-elle dit.

Je ne l'avais pas crue.

Juste avant qu'elle parte pour Londres, je lui avais dit: vous n'auriez pas une vieille tante, de préférence rousse, avec laquelle je pourrais aller voir votre course?

Elle en avait justement une. Jeudi matin, au café le Cafetier à Sutton, j'ai rejoint la tante rousse, son mari et une amie. L'ordi sur la table entre les bols de café, on a suivi la course presque victorieuse d'Andréanne, on l'a entendue nous dire après, comme si elle était assise avec nous, combien cette médaille la comblait.

Je n'ai rien dit, mais je ne l'ai pas crue non plus. Satisfaite, oui. Comblée, non. Elle voulait tant battre les Américaines. Il y avait dans cette course-là un peu de cette humeur hargneuse que l'on retrouve dans les matches de hockey féminin entre le Canada et les États-Unis.

Il n'y a pas deux médailles pareilles, c'est pour cela que c'est un peu bête de les additionner comme si c'était toutes les mêmes oranges. Celle-ci du huit féminin canadien est celle de la tranquille satisfaction, de la chose accomplie, de la blessure enfin refermée. Celle du huit masculin la veille, d'argent aussi, était celle de la délivrance.

La matante rousse? On doit aller faire du vélo. Peut-être qu'Andréanne viendra aussi, ce serait drôlement bien que je clenche une médaillée d'argent dans la montée de Jay. Je rêêêêve. Bon, les vieux aussi ont le droit de rêver.

INÉLÉGANCE - Au milieu de cette semaine, tonitruant coup de clairon de Radio-Canada qui nous a annoncé qu'elle reprenait [ses] droits, en quelque sorte, sur l'olympisme. C'est donc la SRC qui présentera les jeux d'hiver de Sotchi en 2014 et les jeux d'été de Rio en 2016.

L'indécrottable radiocanadien que je suis eût applaudi vigoureusement la même annonce faite dans deux ou trois semaines. Mais là, franchement, qu'est-ce qui pressait tant?

Nous sommes en plein milieu des Jeux de CTV, RDS et V, qui ont payé une fortune pour avoir le droit de les présenter, et ma foi, cela se passe plutôt bien, même très bien pour ce qui est du commentaire et de l'analyse sur les sites des compétitions. Aurait-on pu attendre que ces Jeux-ci finissent avant de se pitcher dans les suivants?

J'ai trouvé particulièrement intempestive cette annonce de Radio-Canada qui avait l'air de dire: profitez-en parce que la prochaine, ce ne sera pas vous, ce sera nous, lalalèreu. Avec en sous-texte: d'ailleurs on est bien meilleurs que vous.

Pas tant que ça, jeunes gens, pas tant que ça.