L'aviron offre aux yeux du profane un tableau presque bucolique: de frêles embarcations au fil de l'eau. Pourtant, dans ces embarcations, les rameurs, les rameuses vivent un calvaire épouvantable long de deux kilomètres. Les rameurs sont les seuls athlètes qui ne se «dépassent» pas, cette tarte à la crème du commentaire sportif, ils ne se dépassent pas parce qu'ils ne le peuvent pas, ils sont déjà au bout, plus loin y'a rien, s'ils se dépassaient, ils s'évanouiraient, d'ailleurs, la ligne franchie, il leur arrive de s'évanouir, de vomir aussi.

L'histoire qui suit a été racontée par Maxime Boilard hier matin juste avant la finale du huit masculin. Ex-canoéiste olympique, Boilard est l'excellent analyste des épreuves d'aviron à RDS.

Selon Maxime, le huit canadien est arrivé à Londres convaincu d'être le meilleur équipage du monde, le huit canadien s'en venait chercher l'or comme à Pékin. Certitude qui a volé en éclats dès la première course que le huit allemand a largement dominée. Finir deuxièmes n'était tellement pas une option pour les Canadiens qu'ils se sont désagrégés, ce ne fut pas une défaite, ce fut un naufrage.

Ils allaient devoir passer par le repêchage pour atteindre la finale, mais dans quel état? Ils étaient démolis. Tout le monde leur accordait la médaille d'or et soudain, on ne les voyait même plus sur le podium.

C'est alors que le barreur, le petit bonhomme qui donne le tempo, l'âme du bateau, les a réunis. Oublions la médaille d'or, leur a-t-il dit. Les meilleurs, c'est les Allemands. Et peut-être bien qu'on ne battra même pas les Anglais ni les Américains, mais battons-nous, battons-nous pour finir sixièmes, troisièmes, qu'importe, battons-nous comme des chiens.

Ça faisait quatre ans que les psys leur pourrissaient la tête avec leur pensée positive à la con, vous êtes les meilleurs, vous êtes les meilleurs. Et voilà que ce petit bonhomme efface en cinq minutes quatre ans de bullshit en leur jetant la réalité à la face: les meilleurs, c'est les Allemands, ils vont gagner, c'est sûr. Nous, si on se bouge le cul, on est peut-être les deuxièmes meilleurs.

Les Allemands ont gagné facilement. Mais dans les 200 derniers mètres, avec une poussée aussi désespérée que magnifique, les Canadiens ont remonté les Anglais et les Américains pour aller chercher la médaille d'argent.

J'adore cette histoire.

J'aime quand la pensée positive qui pourrit la tête de tant d'athlètes d'élite (et de tant d'autres joyeux tôtons), j'aime quand la pensée positive se subordonne à la réalité. Très précisément, j'aime quand la lucidité met un doigt dans le cul du rêêêve.

D'autres Jeux Nous voici donc en élection et en olympisme en même temps, chanceux que nous sommes. Si les élections étaient une épreuve olympique, ce serait laquelle? Sans grande originalité, j'avance le marathon. Sauf peut-être pour Mme Pauline Marois, que je vois bien gagner une médaille au trampauline. Scusez. Je pensais surtout à son habileté à rebondir. Si elle veut pas le trampauline, bon, c'est son affaire, mais à mon avis, elle devrait à tout prix éviter le volleyball de plage.

Je vois bien M. Charest dans l'épreuve de tir au pigeon d'argile, sauf que belliqueux comme il est, il aura troqué sa carabine pour une kalachnikov.

Je vois mon amie Françoise et mon ami Amir à la tour de dix mètres, ils s'apprêtent à plonger synchro, ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'il n'y a pas d'eau dans la piscine. Peut-être pour M. Aussant le pentathlon moderne, un truc que personne ne regarde jamais. Enfin, pour M. François Legault, une course à obstacles, il accroche une haie, trébuche, se redresse de justesse, finit troisième. Non, attendez, je vois mieux M. Legault dans une épreuve de voile, sur un de ces bateaux qu'on appelle dériveurs, le voici au départ, prêt? Partez! Merde, le vent vient de tomber.

Finalement, le marathon n'est pas la bonne métaphore. Ces gens-là sont des hâbleurs, des matamores, en un mot des sprinters. Ça s'intimide dans le vestiaire avant le départ, ça harangue la foule, ça se pète les bretelles toutes les cinq minutes, les marathoniens ne sont pas comme ça. Les marathoniens ont la retenue des coureurs de fond. Les politiciens ont des grandes gueules de coureurs de fonds.

Les Jeux olympiques se réclament du sport. C'est de la performance.

Les élections se réclament de la démocratie: c'est de la performance aussi.

Chantal Petitclerc dans son journal des jeux de Pékin: «La vie d'athlète est une vie centrée sur soi, sur sa performance, rien d'autre ne compte»... Vous voyez une différence avec n'importe quel candidat de n'importe quel parti, dans n'importe quelle circonscription?

La différence est dans la défaite. Deuxième au trampoline, tu gagnes une médaille. Deuxième aux élections, tu gagnes rien, même que tu perds tout.

Qu'on me permette un voeu pour finir: le prochain gouvernement du Québec pourrait-il enfin donner aux sports et aux loisirs un ministère et un ministre à part entière? Plutôt que de surcharger (et embarrasser) le ou la future ministre de l'Éducation qui a bien d'autres chats à fouetter et n'a pas forcément une grande compréhension de la chose sportive.

Il n'y a pas si longtemps, une ministre de l'Éducation, pourtant la plus allumée qu'on ait eue depuis des siècles, m'avait convié à une discussion sportive et une des premières questions avait été: dites-moi, à quoi servent au juste les fédérations sportives?

C'est un peu comme si je lui avais demandé, dites-moi, madame la ministre de l'Éducation, à quoi servent au juste les écoles?