Seigneur! Mais qu'est-ce qu'a fait!

Câline Annie!

Wake up Annie! Enwèye choque-toé!

Ils étaient une trentaine à houspiller Annie Moniqui dans son propre salon. Elle n'était pas là bien sûr puisqu'elle est à Londres. Mais elle était là quand même, à la télévision, dans son salon.

Annie Moniqui venait de rater son deuxième essai à

105 kilos, pourtant presque une barre de réchauffement, imaginez elle visait 112 kilos. On en était loin, elle était bloquée à ce 105 kilos de malheur. Il ne lui restait plus qu'un essai, si elle le ratait c'était la catastrophe, un gros zéro sur la feuille de pointage.

Vous étiez aux Jeux de Londres, Mademoiselle?

Oui, en haltérophilie.

Et c'est quoi votre résultat?

Zéro.

Ça ne se pouvait pas. Il fallait qu'elle réussisse ce troisième essai sinon ce serait vraiment des Jeux de merde pour tous ceux-là qui étaient dans le salon, pour ses camarades du club de La Machine Rouge, pour Dominique son chum, même pour monsieur Nika son chat que j'avais pris sur mes genoux et qui fermait les yeux parce qu'il trouvait ça trop affreux. Annie est revenue sur le plateau pour son troisième et dernier essai.

Câline qu'elle est stressée a fait remarquer quelqu'un. Un autre a protesté: qu'est-ce que tu dis là? Annie? Stressée? Sont tous partis à rire et de raconter toutes les fois où elle n'a pas dormi, ou elle a vomi, ou elle avait mal au ventre, ou elle a téléphoné à la terre entière à 3h du matin? Stressée, elle? Ben voyons donc.

Elle a rebandé ses genoux et ses coudes. Elle a saisi la barre. L'a épaulée sans trop vaciller, pour finalement la projeter au-dessus de sa tête. Réussi! Ouf.

À l'arraché non plus ça n'avait pas très bien été. Elle avait raté une première barre, modeste, à 85 kilos ratant du même coup son entrée aux Jeux. Tout s'est joué là à mon avis. Elle ne s'en est pas remise. Seizième sur 19 concurrentes pour un total de 190, loin des 201 kilos des championnats canadiens en mai dernier où elle s'était qualifiée pour les Jeux.

***

Je ne vous ai même pas dit où ça se passait: à Saint-Liboire, un gros village agricole au milieu des champs de blé d'Inde et de soya. On est dans la grande banlieue de Saint-Hyacinthe, pas très loin de Drummondville. Dominique et Annie s'y sont installés il y a deux mois dans une belle maison avec un petit bois en arrière qui leur appartient. Les deux travaillent, Annie comme technicienne en réadaptation physique, Dominique comme représentant des ventes chez Canimex à Drummond. Les deux s'entraînent aussi comme des fous. Dominique est vice-champion canadien chez les 69 kilos.

Ce que je veux dire, c'est que la condition des athlètes d'élite canadiens et de leurs entraîneurs, et plus encore celle des Québécois grâce au programme de Sport Québec qui double l'aide de Sport Canada, la condition des athlètes québécois disais-je, à l'image de Dominique et d'Annie, n'est pas aussi misérable qu'on se plaît parfois à l'imaginer, même dans des sports aussi peu en vue que l'haltérophilie. Sont pas riches nos athlètes, mais sont loin de crever de faim et ils font ce qu'ils aiment avec des gens qu'ils aiment.

C'est à peu près ce que disait mon amie Maryse Turcotte je ne sais plus à quelle télé samedi dernier. Se gardant de pleurer misère comme l'y encourageait l'animateur, elle a parlé «d'un bel équilibre». J'irais, moi, jusqu'à parler d'un remarquable modèle canadien que certains, hélas, s'activent à bonifier pour une plus grande récolte de médailles.

Vous savez, je crois, mon opinion sur les médailles, elle tient en quatre lettres.

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Pourquoi l'haltérophilie à Saint-Hyacinthe et dans la région? Pourquoi pas le ski de fond ou le parachutisme? Parce que Normand Ménard, un vieux monsieur plus vieux que moi - c'est vous dire dans quel état il est. Tous descendent de lui, descendent comme dans descendance. Prof d'éducation physique dans une polyvalente maskoutaine, il touche à tous les sports avant d'arriver à l'haltérophilie par hasard. Pendant des années, de midi dix à une heure, il a fait lever des barres à des jeunes en leur expliquant la différence entre se faire des muscles et faire quelque chose avec ses muscles. Il fondera le club de La Machine Rouge, formera quelques olympiens, dont Michel Pietracupa et Yvan Darsigny, qui formera à son tour Moniqui. Ils ont été au moins une dizaine hier matin à me le désigner, c'est lui, c'est lui.

C'est lui quoi?

C'est lui tout.

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D'habitude, la technologie ne me fait pas un pli. Mais là, j'ai flippé.

Chez Dominique, la télé était ploguée sur un ordi, connecté sur RDS en continu ou en direct je ne sais trop. Ce qui était drôlement bien, c'est qu'on a vu toute la compétition, sans une annonce et surtout sans un commentaire.

Les commentateurs de RDS sont très bons, natation, vélo, aviron (Aucoin et Boilard sont écoeurants à l'aviron), mais tous, aussi, en font trop, parlent trop, crient trop. À couvrir la performance de trop de mots, on en perd l'authenticité.

Les commentateurs sont bons, je ne me dédis pas mais je veux bien préciser: je ne parle pas ici de ceux-là qui font le trafic, les liens, les présentateurs quoi. Les chefs d'antenne, ceux-là sont en dessous de tout, affichent une ignorance abyssale de la chose sportive, en particulier de la chose sportive olympique.

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Une surprise attend Annie Moniqui le 8 août, date de son retour à Saint-Liboire. À vous, je peux bien le dire: la surprise, c'est un minou. En fait, une petite minoune noire très douce mais à mon avis un peu hâtivement baptisée London. Pas sûr que ce soit une bonne idée, dans les circonstances. Que diriez-vous de Waterloo? Mieux, Waterlouse.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Annie Morin