Juste des toasts, a dit le monsieur. Je suis pressé, ma fille joue à 8h.                                                                

Elle joue à quoi?

Au volleyball.

Juste des toasts?

Notre hôte était un peu catastrophé. Il s'apprêtait à nous servir un de ces déjeuners-falbalas, oeufs mollets et coulis de ceci-cela, comme c'est devenu la règle dans les gîtes. Celui-ci s'appelle le Gîte de la Cité de l'énergie. C'était vendredi matin, à deux pas de la magnifique promenade du Saint-Maurice. On est à Shawinigan. Mais si, il y a des choses magnifiques à Shawinigan. Pas beaucoup, mais le Saint-Maurice en est une, sans doute la plus belle rivière du Québec méridional.

Étiez-vous à la cérémonie d'ouverture, hier soir? m'a demandé le monsieur aux rôties. Ne confondez pas. Il parlait de la cérémonie d'ouverture des Jeux du Québec. Après entente avec Londres, pour éviter les chevauchements, il a été convenu que la cérémonie d'ouverture des 47es Jeux du Québec devancerait d'une journée celle de Jeux olympiques. Et oui, j'y étais.

J'ai couvert je ne sais combien de Jeux olympiques, de Jeux du Commonwealth, de Jeux panaméricains, et toujours, sauf deux fois - Barcelone et Pékin -, toujours, j'ai hayiiii les cérémonies d'ouverture. Cette fois-ci, je ne suis même pas aux Jeux et qu'est-ce que je fais? Je vais à Shawinigan, à la cérémonie d'ouverture des Jeux du Québec. Y a-t-il un psy dans la salle? Ce qu'on veut, ici, c'est un spécialiste en petites démences gériatriques.

Anyway, j'étais à la cérémonie, mais je n'y suis pas resté. J'y étais pour l'arrivée des 2000 athlètes, je suis parti avant que ne commence le spectacle proprement dit. Je lis dans Le Nouvelliste de ce matin que ladite cérémonie a été haute en couleurs. Cela ne m'étonne pas du tout - je ne sais pas pourquoi, je pressentais qu'elle le serait. Le même journal titre qu'une foule hystérique a assisté à l'ouverture de la 47e finale des Jeux du Québec. Là, j'avoue ma surprise: quand je suis parti, la foule à l'aréna Bionest n'était pas hystérique du tout, elle était même un peu assoupie, comme le sont les publics de notables. Ils ont dû attendre que je parte pour faire les fous. C'est l'histoire de ma vie: le party pogne toujours quand je suis parti.

Bref, le monsieur a fini sa rôtie et il est allé voir jouer sa fille au volleyball. C'est la première fois que je vais la voir jouer, m'a-t-il dit, aussi ému que s'il allait la marier. Il est revenu au gîte vers midi, je terminais cette chronique dans le salon, il était radieux: elle a gagné ses deux matchs contre la Côte-Nord et contre la Mauricie.

Ces Jeux du Québec, c'est beaucoup une histoire de parents, a-t-il ajouté fort justement.

Les 47es, donc. Les premiers ont été tenus à Rivière-du-Loup en 1971. Non, je n'y étais pas. Je fus aux seconds, en 1973, à Rouyn-Noranda. Je m'en suis fait sortir, et ce n'est pas une image: j'avais écrit que Rouyn était épouvantablement laid. Je suis aussitôt devenu l'ennemi public de l'Abibiti - et je le suis encore un peu, 40 ans plus tard. L'hôtel où je logeais m'avait mis dehors, les gens qui avaient accepté de m'héberger avaient reçu des menaces, et Réal Caouette, qui était quelque chose comme le pape de l'Abitibi, avait envoyé à mes boss un télégramme les sommant de me rapatrier avant qu'il m'arrive un malheur.

J'ai dormi dans mon char comme le chante Desjardins, effrayé comme je ne l'ai pas été plus tard au Liban ou en Irak.

Bref, vous ai-je dit que Shawinigan est magnifique? J'insiste: ma-gni-fique.

C'est pas Londres, c'est sûr, c'est beaucoup plus petit. Les choses s'y passent plus simplement, aussi. Tenez, si j'étais à Londres, quelles seraient mes chances de rencontrer Sebastian Coe, le grand boss des Jeux? Aucune. À Shawinigan, cela ne faisait pas cinq minutes que j'étais arrivé, sur qui je tombe? Mais non, pas sur Sebastian Coe! Ce que vous pouvez être niaiseux, des fois! Je tombe sur Pierrette Jacob, présidente du comité organisateur des Jeux du Québec, la Sebastian Coe des Jeux du Québec, et elle me saute littéralement au cou: comment allez-vous, monsieur Foglia?

Pensez-vous que Sebastian Coe m'aurait demandé comment j'allais? Si ça se trouve, il ne sait même pas qui je suis.

La bénévole qui a pris ma photo pour l'accréditation était un peu rousse, mais c'est pas pour ça que j'ai voulu l'embrasser. C'est parce que je suis enfin beau sur une photo de presse. Ça a pris exactement huit secondes. Asseyez-vous là, elle m'a dit. Regardez devant vous. Clic, c'était fini. Tandis que pour ma photo dans notre journal, holà, compliqué, mets-toi comme ceci, avance ton pied gauche, redresse-toi... Des heures de plaisir, sans compter le maquillage, et couper les petits poils qui dépassent. Résultat? Bof.

C'est quoi votre petit nom, madame?

Madeleine.

Je vous adore, Madeleine. Vous faites quoi, dans la vie?

Coiffeuse.

Photographe, ça ne vous tenterait pas?

GÉOGRAPHIE - Les deux autocars transportant les athlètes de l'est du Québec sont partis de Rimouski à 6h30 le matin. Ils sont arrivés à Shawinigan vers 14h. Ceux de plus loin, de Gaspé, de Bonaventure, étaient partis la veille pour coucher à Rimouski. Jérôme Dubé, 12 ans, de Chandler, n'était même pas fatigué.

Où c'est, Chandler, Jérôme?

Tu vois où est Bonaventure?

Pas vraiment.

Amqui? Dans la Matapédia?

À peu près.

Ben c'est trois heures plus loin.

Tu fais quoi, aux Jeux?

Tennis.

Tu joues comment?

Comme Federer. Je joue offensif.

PERFORMANCE - Antoine Côté, de Rimouski, descend du même autocar. Antoine court le 3000 mètres en 10 minutes.

C'est très vite, je lui ai dit.

Il m'a regardé de côté avec un petit sourire qui disait: ne te force donc pas, tu sais très bien que ce n'est pas si vite que ça.

Il a raison, c'est pas si vite que ça.

CONFRÈRE - Frédérick Crasnier, 15 ans, Brossard, triathlon. Il arrêtait pas de me poser des questions: Pourquoi? Pour qui? Quel journal? T'as pas d'appareil photo? Je lui ai donné mon carnet: tiens, fais-la donc, l'entrevue...

Ton nom?

Pierre Foglia.

Comment ça s'écrit? Ton sport? Ton âge? Marié? Des enfants? Est-ce que je ferais un bon journaliste?

Tu ferais un bien meilleur flic. Remarque, des fois, c'est pareil.

LES ÎLES - Trois Madelinotes, Lise-Élaine Langford, de Havre-aux-Maisons, Judith Vigneau et Évangeline Leblanc, de L'Étang-du-Nord. Elles jouent au volleyball, en stage depuis trois semaines à La Pocatière... Un stage comme pour aller aux Jeux olympiques, cinq ou six heures d'entraînement par jour, six jours sur sept, durant trois semaines. Et ce ne sera peut-être bien même pas assez pour gagner. Pour s'amuser, les Jeux du Québec?

Pour s'amuser si tu veux. Pour aller à Rio aussi. Surtout pour aller aux Jeux après Rio. J'ai dit à Évangeline: c'est drôlement beau, Évangeline. Elle a rougi en disant: oui, c'est parce que c'est vieux. Pas de DPJ dans la vie, je l'aurais embrassée aussi, celle-là.