Il est arrivé un truc au début du mois de juin que tout le monde raconte pour expliquer pourquoi l'Anglais Bradley Wiggins va gagner le Tour de France un doigt dans le nez et l'autre je ne vous dirai pas où.

C'était dans le Dauphiné Libéré qui, pour parler comme au théâtre, est un peu la générale du Tour. Les favoris s'y observent, et parfois s'y frottent un peu. Ce jour-là, en basculant dans la descente du Grand Colombier rendue difficile par une petite pluie, Cadel Evans, Nibali et deux ou trois autres ont attaqué Wiggins et lui ont pris rapidement plus d'une minute.

Il s'est alors passé deux choses. La première: les Sky, l'équipe de Wiggins, ont ramené leur leader à 20 secondes de Cadel Evans et Nibali en laissant une très forte impression de puissance et de discipline.

Mais c'est la deuxième chose, plus inhabituelle qui a marqué les esprits: quand les Sky ont été à 20 secondes des échappés, Wiggins lui-même, tout seul, sans attendre que son équipe finisse le travail, a fermé le trou, un doigt dans le nez justement et l'autre je ne vous dirai pas où.

Coucou il a dit à Cadel Evans, en arrivant à sa hauteur. Non il n'a pas dit ça. C'est pas un baveux, Wiggins. C'est pas Lance Armstrong du tout. C'est un grand échalas tout maigre, un peu maladroit, paraît-il très drôle, mais qui ne rit jamais comme souvent les Anglais. S'il gagne le Tour, ce sera le premier Anglais à le faire. Wiggins est, selon l'excellent magazine anglais Cycle sport: the most ostentatiously smooth pedalling style in cycling...

Permettez-moi un soupir: je me meurs qu'on écrive un jour sur ma tombe, Foglia 1940-2087, the most ostentatiously pedalling style in Montérégie and surroundings.

Wiggins, 32 ans, vient de la piste où il a déjà gagné trois médailles d'or olympiques en poursuite. Cette année, outre le Dauphiné il a gagné le Tour de Romandie et Paris-Nice. Évidemment très bon dans les contre-la-montre, or ce Tour de France qui en compte trois se gagnera dans les contre-la-montre.

Vous me direz que Cadel Evans, le sympathique Australien vainqueur du Tour de l'an dernier aussi est bon contre-la-montre.

C'est bien pourquoi, ces jours-ci, vous ne trouverez à peu près personne sur la planète vélo pour vous donner un autre pronostic que celui-ci: 1. Bradley Wiggins. 2. Cadel Evans.

Ou le contraire, l'Australien premier, le Londonien second, mais c'est beaucoup par sympathie qu'on place Cadel devant Bradley. Sur la planète vélo on aime aimer Cadel même s'il n'est pas beau. On l'aime parce qu'il est gentil. Parce qu'il est sérieux, extrêmement méticuleux. Parce qu'il vient d'adopter un petit garçon éthiopien. Parce que sa femme italienne, la Chiara Passerini, n'est pas une foutue poupoune comme les femmes des sprinters, c'est une pianiste de concert. Ça vous en bouche un coin, non? Nommez-moi un seul joueur de hockey dont la fiancée joue du Chopin en concert, ha, voyez. Elles jouent du pipeau, pas du piano, les femmes de joueurs de hockey. Et des fois elles grimpent aux arbres. Qu'est-ce qu'on disait?

Ah oui, Cadel. On l'aime aussi parce qu'il n'a jamais été mêlé, de près ou de loin, à quelque histoire de dope que ce soit. Wiggins non plus d'ailleurs. Ce qui ne prouve absolument rien, je dis ça juste pour semer le doute et la confusion dans votre esprit. J'aime quand vous êtes confus, vous atteignez alors des sommets de drôlerie.

Puisqu'on est dans la dope parlons-en une seconde, le temps de dire que la grande nouveauté en ce domaine n'est pas tant dans les nouvelles dopes que dans le mode d'emploi scientifiquement revisité de dopes parfois anciennes, par exemple les corticoïdes, et la bonne vieille EPO, mais consommée maintenant à doses homéopathiques.

Revenons à la course. Son profil. Ce Tour 2012 qui part aujourd'hui de Liège se distingue donc par ses deux très longs contre-la-montre, aussi par un peu moins de hautes montagnes que d'habitude, par un peu plus de bosses moyennes parfois très abruptes comme celle qui conclut la septième étape, côte curieusement rebaptisée exprès pour le Tour de France «La Planche des Belles Filles». Jusque-là, elle s'était toujours appelée la côte Marcel Proust, du nom du célèbre auteur qui avait un chalet dans le coin.

Ce qui ne différera pas des autres tours, ce seront bien sûr ces interminables étapes de plaine aux toujours vaines échappées, cinq heures d'ennui pour 10 secondes de suspense: Cavendish ou Greipel? Les sprints massifs vont beaucoup se jouer entre Cavendish et André Greipel. Et Renshaw. Et Farrar. Peut-être le vieux Petacchi. Anyway je les ayiiis tous, les sprinters aux grosses cuisses. Chaque fois qu'il en arrive un nouveau, il est pire que les autres comme ce Marcel Kittel tiens (Argos-Shimano), qui a l'air du fils qu'Arnold Schwarzenegger aurait pu avoir avec Cheetah.

Et Hesjedal, me demandez-vous, notre Ryder national qui vient de gagner le Giro, peut-il gagner le Tour cette année? Curieusement, je suis un des rares à ne pas répondre carrément non. Remarquez je ne dis pas oui non plus. Je dis qu'il a plus que zéro chance.

Sur papier, le Tour de France est moins dur que le Giro: moins de montagnes, moins de pentes aux pourcentages délirants, mais dans la réalité de la course, le Tour est beaucoup plus explosif, plus nerveux, et Hesjedal a un petit côté diesel qui le laisse un peu sans argument quand des Contador ou des Andy Schleck font leur numéro.

Ça tombe bien: pas de Contador (suspendu), ni de Andy Schleck (blessé), cette année. Des Cadel Evans et des Wiggins qui sont eux-mêmes un peu diesel tout en étant, il est vrai, nettement supérieurs au Canadien dans les contre-la-montre.

Alors pourquoi pas Hesjedal troisième, derrière ces deux-là?

VOUS ALLEZ EN ENTENDRE PARLER

Peter Sagan, le Slovaque de la Liquigas, ce sera ma seule prédiction. Sagan devrait gagner une, deux, trois étapes. Je déconne? Il en a gagné cinq au Tour de Californie. Tiens, il gagne sa première demain à Seraing.

Vous allez beaucoup entendre parler de l'équipe Sky qui fait figure de monstre à deux têtes, avec Cavendish pour gagner des étapes, Wiggins pour gagner le Tour et les trois contre-la-montre. Pour les aider, des domestiques de super luxe comme Boassom Hagen, Michael Rogers, Richie Porte, l'Anglais Froome, second de la Vuelta, les Sky font peur.

Vicenzo Nibali superdescendeur, pas pire grimpeur, moyen contre-la-montre, Nibali pourrait voler la troisième place sur le podium à Hesjedal.

Vous entendrez moins parler des coureurs français en général et de Thomas Voeckler en particulier, héros de l'an passé. Toute la France attend qu'il répète ses exploits, cela n'arrivera pas pour toutes sortes de raisons qui n'ont qu'un très lointain rapport avec [sa douleur au genou]. Je vous expliquerai une autre fois.

Vous n'entendrez pas parler du tout d'Ivan Basso, rétrogradé au rang de domestique au service de Vincenzo Nibali. Du club des 40, Hincapie (équipier de Cadel Evans), Chris Horner, Kloden, Leipheimer, de toute l'équipe RadioShack sur laquelle plane toujours l'ombre de Lance Armstrong.

Enfin, vous n'entendrez pas du tout parler non plus de Hartmut Rosa, un sociologue allemand (de l'école de Francfort) dont je suis en train de lire Aliénation et accélération. Je l'ai acheté parce que je pensais que ça parlait contre les sprinters du Tour de France, pas du tout, mais c'est bien quand même, ça parle de la vie, ça dit que tout va trop vite et nulle part, c'est pas faux, comme certaines chroniques d'ailleurs.

À LA TÉLÉ

Louis Bertrand, qui va décrire le Tour en direct à RDS, et son analyste Dominique Perras ont tous les deux Cadel Evans et Wiggins sur leur podium; les deux affichent une préférence disons sentimentale pour Evans. Dominique a couru avec Evans, il a même été son coéquipier, il a même «chambré» avec Evans. Allez Dominique, raconte-nous, c'est toi ou c'est pas toi qui remplace Bernard Vallet?

Louis voit Hesjedal troisième, Dominique fait une fixation sur le Slovène Janez Brajkovic.

Pour ce qui est de mon ami Marinoni, c'est Wiggins puis Cadel Evans puis le Hollandais Robert Gesink le leader de la Rabobank, mais il a rien contre Hesjedal ou Nibali.

En passant, Marinoni songe sérieusement à s'attaquer au record de l'heure des 75 ans et plus (33,6 km), cet automne au vélodrome de Montichiari dans le nord de l'Italie près de Breschia.

Pour revenir à Bernard Vallet, je ne sais pas pour vous, je ne sais pas pour vous, mais je vais m'en ennuyer, je vais m'en ennuyer.

Allez, bon Tour.