Pas de bilan, m'a dit mon boss. O.K., Paul-Émile. Pas de bilan 2012. Mais un bilan depuis le début de l'humanité, je peux?

C'est pour dire que les choses avancent.

Ah si! Si! Elles avancent. Elles ont avancé en 2011. Imperceptiblement. Inéluctablement. Je déconne même pas. Je crois qu'arrivera un jour la fin des dictatures, la fin du capitalisme, la fin des idéologies et des religions. Je crois à la démocratie partout sur la Terre même si c'est terriblement difficile d'aller voter en sachant que l'imbécile qui, le lendemain de Noël, a fait 47 fois le tour du parking du Walmart avant d'y trouver une place, va aller voter aussi. Je crois à un ordre citoyen, je crois à l'extension, à la grandeur de la planète, des principes de liberté et d'égalité, je crois même qu'un jour, les animaux aussi vivront dans un monde meilleur. Voilà, c'est dit: je crois à un monde meilleur qui n'arrivera pas par une révolution, pas par un [grand soir], on ne verra pas la chose se produire en direct à la télévision, et cela n'arrivera pas en 2012 ni en 2020, cela arrive en ce moment même, imperceptiblement, inéluctablement.

Bref, les choses avancent, c'est dans leur nature.

Est-ce aussi dans la nature de l'Homme et de sa Fiancée? Ça, c'est moins sûr.

J'ai parfois l'impression que les choses avancent et que l'Homme et sa Fiancée reculent, j'ai parfois l'impression d'un grand vide, docteur.

Où ça?

Au milieu, docteur. Forcément. Si les choses avancent et que l'Homme recule, il y a un vide au milieu qui s'agrandit tous les jours un petit peu.

Mais enfin, monsieur le chroniqueur, vous dites n'importe quoi encore une fois. Comment les choses pourraient-elles avancer si l'Homme recule? N'est-ce pas l'Homme qui fait avancer les choses?

Vous avez raison. C'est l'Homme qui va inventer l'ordinateur qui effectuera 1000 milliards d'opérations en une seconde. L'Homme qui va trouver le vaccin contre le sida. L'Homme qui va imaginer des solutions économiques, agronomiques, humanitaires, écologiques à la famine et à la pauvreté. Des solutions éthiques aussi. S'il a été capable d'imaginer une Bourse du carbone, pourquoi pas une Bourse de la compassion? L'Homme ne fait pas seulement avancer la chose technologique, mécanique, scientifique, il fait avancer aussi les choses du coeur. Quand je dis qu'il recule, je ne parle surtout pas sur le plan du coeur; le coeur de l'Homme est de plus en plus gros, dégouline de plus en plus d'intelligence émotive. Ah l'intelligence émotive! il en met partout.

Quand je dis que les choses avancent, je dis cela aussi: il y a de plus en plus de gens de bien et de moins en moins de trous du cul.

Quand je dis que l'Homme recule, je parle de ce qu'il est quand il a fini de faire le bien, de faire avancer les choses, quand il quitte son bureau de pédiatrie sociale ou son bureau de député de l'opposition, quand il revient du festival de l'humour, quand il est seul avec lui-même dans son salon...

Justement, il est de moins en moins seul avec lui-même.

Quand il prend un livre.

Justement il prend de moins en moins souvent un livre.

Quand il lit un poème.

Ne me faites pas rire.

Quand je dis que l'Homme recule, je parle de culture, bien sûr. Je parle de ce dont on ne parle pas à l'école, au conseil de sécurité de l'ONU, dans les Parlements, dans les conférences sur le climat, de ce dont Harper ne parle jamais, mais Obama non plus. Je parle du beau, du laid, du goût, d'émancipation, de l'accès aux oeuvres, du sens critique, de tout cela qui touche au soi, qui touche à la construction du soi, de tout cela qui est le matériau même de l'Homme, qui le fait différent de la bête. Vous me suivez? Pas très bien? Je le savais. Vous avez toujours de la misère avec ce sujet-là. C'est pour ça que je vous ai préparé un dessin, une caricature.

En fait la photo qui est dans cette page.

Il s'agit de la photo d'une sculpture, cadeau de Poutine et du peuple russe aux États-Unis, en souvenir des victimes du 11-Septembre. Cette sculpture, installée à Bayonne, petite ville du New Jersey, est alignée sur la statue de la Liberté. Elle fait 33 mètres de haut. 100 pieds exactement.

Non, cela ne représente pas un vagin. Cela représente une tour fendue. La bouboule qui pendouille au milieu de la fente? Devinez. Allons, un petit effort... Ce 11 septembre 2001 a-t-il été un événement heureux? Triste, alors? Très, très triste? Qu'est-ce qu'on fait quand on est très, très triste? On pleure! C'est ça. Vous y êtes. La bouboule, c'est une larme.

Savez-vous combien elle pèse?

Quatre tonnes. Une larme de 4 tonnes, c'tu assez triste pour vous?

L'Homme recule en cela qu'on lui dresse une merde de 33 mètres dans la face, pure expression du réalisme socialiste dont l'ambition était d'être compréhensible par tous - la culture populaire -, une merde absolue pour commémorer un des plus grands drames de son histoire et il ne hurle pas, l'Homme. En fait, il trouve ça plutôt bien, une grosse larme pour un gros chagrin.

L'Homme recule en cela que ses larmes sont de plus en plus lourdes et son cerveau, de plus en plus léger.

Photo: Reuters

Cette sculpture de 33 mètres de hauteur est un cadeau du peuple russe aux États-Unis, en souvenir des victimes du 11-Septembre. Elle est installée à Bayonne, petite ville du New Jersey.