J'ai écouté les vociférations et les commentaires youpilaye-il-est-mort et les compliments bravo-les-gars-pour-votre-bel-assassinat de M. Harper et de M. Obama. L'impression que tout le monde voulait un petit morceau de Kadhafi comme lorsqu'on tuait le cochon quand j'étais petit, à la fin de l'après-midi, chacun s'en retournait chez lui avec son petit bout de cochon.

Ma tante Ferrovia -ça veut dire chemin de fer en italien- on l'appelait comme ça parce que la voie ferrée passait au bout de sa cour, ma tante Ferrovia élevait des poules et un cochon par année. Le cochon faisait partie de la famille élargie, si je puis dire, ainsi ma mère mettait de côté les épluchures pour le cochon, une autre tante les croûtons de pain rassis, il fallait le voir frétiller et arriver d'un trot guilleret quand je l'appelais en agitant mon sac d'épluchures, ou quand ma tante allait verser ses eaux de vaisselle dans son auge. Cela faisait partie de notre visite dominicale. On allait voir le cochon.

Vautré sur son tas de fumier dans l'arrière-cour du monde, s'cusez, dans l'arrière-cour de la ferme, il avait un air de prospérité bien que tout crotté de sa propre merde séchée en croûte à ses flancs.

On le raillait en le flattant. On le disait intelligent tout en le calomniant, comment, à te nourrir de nos eaux de vaisselle, peux-tu donner d'aussi bons jambons, gros cochon?

On le tuait fin octobre. Toujours un dimanche. Mon oncle allait le chercher sur son tas de fumier, lui flattait le col, lui levait une patte pour lui passer, mine de rien, un noeud coulant, puis le tirait vers la cour sans le presser, en lui disant viens, viens grosse bête, viens voir la fête qu'on t'a préparée.

Le cochon se mettait à hurler en entrant dans la cour en voyant les hommes qui l'attendaient au centre, dont mon père, le plus petit du comité des tueurs mais pas le moins excité, pas le dernier à promettre au cochon que tout allait bien se passer, laisse-toi faire, mon gros...

Plus loin, en demi-cercle, les femmes attendaient avec leurs récipients pour recueillir le sang. Elles aussi étaient excitées, riaient haut comme parfois le samedi soir.

Se baissant tous ensemble, les hommes, au moins quatre, se saisissaient du cochon qui hurlait encore plus fort. Je n'ai jamais vu où ils plongeaient leurs couteaux, j'avais les yeux fermés bien dur.

Plus tard, en faisant déjà bouillir les tripes, il s'en trouvait toujours un ou une pour dire que dans le cochon, tout est bon. Dans l'homme et sa fiancée, je suis moins sûr.

LA PEUR - On l'aura remarqué, je m'intéresse peu aux commissions d'enquête. D'autant plus qu'elle changent de nature toutes les cinq minutes. M. Charest vient tout juste d'annoncer en ouverture du congrès des libéraux à Québec, vient tout juste d'annoncer quoi au fait? Une commission self-service? On s'en servira comme on veut? Des fois elle pourra contraindre les témoins à comparaître, des fois pas, pour l'immunité on ne sait pas encore. C'est pas clair. Mais comme je vous le disais, je ne suis pas un expert

On a vraiment l'impression que M. Charest ne sait plus où se garrocher. Je ne lui jamais vu un air aussi buté que ces jours-ci, ni un air aussi las lorsqu'il répond aux questions des journalistes.

On a toujours su qu'il pouvait facilement devenir arrogant mais cette première version d'une commission-qui-n'en-était-pas-une jetée comme un os au bon peuple pour qu'il arrête d'aboyer, c'était presque du mépris.

D'où ma question: cet homme trop intelligent pour ne pas savoir qu'il ne peut pas avoir raison contre tout le monde, aurait-il peur?

Ce n'est pas la première fois que la peur rendrait con un homme intelligent.

LA FICTION - Au début du film Marécages, on voit Pascale Bussières plonger sa main dans le ventre d'une vache pour aller y chercher un veau qui se présentait mal. La chose se fait couramment dans les étables des fermes laitières. Elle est plus rare sur les plateaux de cinéma.

J'ai trouvé madame Bussières absolument extraordinaire dans cette scène, tellement extraordinaire que c'est Pascale Bussières, l'actrice, que je n'ai cessé de voir dans cette scène, pas la fermière qu'elle était censée incarner, Pascale Bussières le bras dans le cul de la vache jusqu'à l'épaule, je me disais quand même, quelle performance, c'est pas un métier facile des fois, j'espère qu'ils sont bien payés.

Je ne sais pas si vous me suivez. Par la liberté qu'elle permet, la fiction est un outil extraordinaire pour approcher la vérité des choses, des lieux, des gens, plus précisément pour toucher à la complexité de la vérité.

Mais si tu veux juste les montrer, ces choses, parce que tu les trouves spectaculaires, des fois, c'est mieux de faire un documentaire. Ou de te faire inviter à La semaine verte.

Si j'ai aimé Marécages? J'ai préféré, et de loin, le livre: Il faut qu'on parle de Kevin.

LE COEUR À L'ENVERS - Parlant de film et de complexité de la vérité, vous devriez voir Another Year, du cinéaste anglais Mike Leigh, formidablement doué pour plonger sa main dans le cul, non pas des vaches, mais des spectateurs qui regardent son film et, par cette voie-là, remonter jusqu'à leur coeur et le leur arracher un petit peu. C'est exactement ce que fait Mike Leigh dans presque tous ses films: il nous arrache le coeur. Another Year, another film de Mike Leigh sur les braves gens. Ah, les braves gens. Ah, les putes.