À Alma, tout le monde connaît Roger Filion, même à Chicoutimi ou à La Baie. Anyway, quand t'es dans ce coin-là, tu dis aux gens que tu connais Réjean Tremblay et ils te répondent ouin, pis? Mais dis-leur que tu connais Roger Filion: ils t'invitent à souper.

Roger a été longtemps à Air Alma, mais c'est surtout monsieur vélo, il a couru, il organise des courses dont une coupe du monde annuelle des U23, des randonnées populaires, lui-même roule pas mal, tous les ans, à l'automne, il vient dans mon coin avec sa gang de bleuets à pédales, ils logent au Bed du village, ils font les cols alentour, Jay, Smugglers Notch...

Les premiers lacets de la descente du versant sud de Smugglers Notch (vers Stowe) sont très à pic, il tombait une petite pluie, Roger venait de dire à sa gang faites attention, c'est hyper dangereux, c'est lui qui a dérapé et plongé dans le ravin. Multiples fractures, une vertèbre écrasée. Trois jours à l'hôpital à Burlington, puis transfert à l'hôpital de Chicoutimi.

Toute une équipée. Deux infirmières, une qui conduit, l'autre qui fait la navigatrice, Roger geint dans son corset en arrière. C'est parti pour 700 kilomètres en ambulance. Les deux infirmières américaines n'ont évidemment aucune foutue idée où peut bien se trouver Chicoutimi, pas grave, elles ont leur GPS... qui les enligne sur Montréal, leur fait prendre le pont-tunnel Louis-H, pour les envoyer sur la 40.

Mais non, pas par là, proteste Roger de son lit de douleur, pas le pont-tunnel, fallait prendre la 20.

À Trois-Rivières, les filles se trompent encore et les voilà à Shawinigan où quelqu'un leur dit tant qu'à être rendues ici, passez donc par La Tuque, mesdames...

Non, pas par La Tuque, proteste Roger, c'est beaucoup plus long pour aller à Chicoutimi.

Ferme ta gueule, Roger, t'es malade.

À La Tuque, les infirmières se trompent encore, prennent vers La Bostonnais, fait noir, la route s'en vient cahoteuse, elles s'arrêtent pour demander leur chemin, reviennent vers Roger un peu désemparées: le monsieur ne parle pas français ni anglais. Ils étaient dans une réserve.

Roger a poussé un long cri déchirant, un loup a répondu au loin.

Pour sortir de là, ils auront à passer sur un pont couvert, une infirmière sur le pont pour guider celle au volant, ça frottait à droite, ça passait juste en haut, sont arrivés à Chicoutimi au milieu de la nuit. Les filles sont reparties le lendemain. Elles ne sont toujours pas rentrées à Burlington, elles auraient été aperçues avant-hier dans un dépanneur de Chibougamau où elles tentaient d'échanger leur GPS contre des cartes géographiques.

Roger est rentré à la maison.

MON AMI GEORGES - Vous connaissez Georges Laraque? Moi aussi, lalalère. Il m'a téléphoné hier. Vous trouvez que j'ai l'air de m'en vanter? Un peu. Faut me pardonner. C'est normal que je sois tout excité, là où je suis, dans les champs, c'est pas souvent qu'une vedette m'appelle, en fait, les vedettes ne m'appellent jamais, ja-mais. Jamais une chanteuse, un chanteur, une actrice, un joueur de hockey, quelqu'un qu'on voit à la télévision, Marie-Josée Croze, tiens, elle m'a jamais appelé, Marie-Josée Croze, Roy Dupuis non plus, fait que Georges Laraque, je me dis que c'est un début, après ça va peut-être débouler...

Pierre, c'est Georges!

Non, attendez, c'est le contraire. Il m'avait laissé un message. Je l'ai rappelé...

Georges, c'est Pierre!

Bref, il m'appelait pour le lancement de son livre. Il me dit - et je vous jure qu'il m'a bien dit ça, vous lui demanderez si vous ne me croyez pas, il m'a dit: Réjean Tremblay sera là.

Vous êtes pas sérieux, Georges! Réjean sera là?

Oui, il a promis, il va y avoir de la bouffe aussi, gratis.

C'est trop, Georges.

Et là, il m'a rappelé que lorsqu'il était junior, je ne sais plus trop où, il m'a écrit. Vous souvenez-vous que je vous ai écrit, M. Foglia?

Tu parles que je m'en souviens. Je m'en suis vanté un million de fois à mes collègues des sports, chaque fois qu'il était question de Laraque, mine de rien, je leur glissais, ce gars-là, vous le croirez pas, il m'a déjà écrit.

Ouais, tu nous l'as déjà dit!

Sont jaloux, vous imaginez pas. Jalousez tant que vous voulez, collègues, non seulement il m'a écrit, mais il m'a téléphoné, et même deux fois. Je venais de raccrocher, il rappelle, Pierre, c'est Georges, j'ai oublié de te dire l'heure pour le lancement.

Je me souviens plus de l'heure qu'il a dite, mais je me souviens d'avoir pensé que c'était une sacrée belle heure.

Quand je suis parti pour le bureau ce matin, en franchissant le pas de la porte, j'ai laissé tomber, ah oui, chérie, ça se pourrait que Georges rappelle. Ou Marie-Josée. Ou Roy.

DOUBLE SALTO ARRIÈRE - La scène se passe au club vidéo de Cowansville. J'attends avec ma fiancée pour payer la location d'un film. Devant nous un préado - autour de 12 ans - qui est en train d'acheter des bonbons. Il tend un sac à la caissière, c'est combien?

C'est 2,20, dit la caissière.

Le garçon prend un second sac, plus gros, celui-ci?

C'est 3,30, dit la caissière.

Les deux, ça fait combien? demande le garçon.

Ça fait 5,50, répond machinalement ma fiancée. Le préado la regarde comme si elle venait de faire un double salto arrière.

La caissière (la vingtaine rebondie) pitoune, pardon pitonne, 2,20 plus 3,30... la dame a raison, concède-t-elle de sa petite voix acidulée, ça fait bien 5,50.

Mettons 2,29 plus 3,37, je comprendrais. Mais 2,20 et 3,30, sacrament! Déjà qu'ils n'apprennent plus à lire, ce que j'appelle lire, parce que c'est trop souffrant, ils n'apprennent plus à compter non plus?