Un peintre repeignait la porte de la Chazy Presbyterian Church quand je m'y suis arrêté. J'ai accoté mon vélo à la grosse cloche noire curieusement posée sur le gazon et me suis assis sur les marches de l'église pour y manger ma banane. Chazy est une petite ville du nord de l'État de New York, au milieu des champs, dans la vallée du lac Champlain.

Le peintre est venu s'asseoir à côté de moi: Ça ne vous dérange pas que je vous tienne compagnie? Vous allez où?

Mon auto est à Rouses Point.

Hon! a-t-il dit, déçu, c'est juste à côté d'ici, Rouses Point!

O.K., mon auto est à El Paso, c'est mieux comme ça? Il a ri en disant que j'étais un «funny guy». Lui-même était d'Alburg, au Vermont, juste passé le pont sur la rivière Richelieu. Il a dit que le Vermont était bien plus beau que l'État de New York, j'étais d'accord bien sûr, mais j'ai ajouté que, des fois, c'est plus beau quand c'est ni beau ni laid.

Il s'est gratté derrière la tête: looks better when it's ugly? C'est ce que tu dis? Pas exactement, Charly, mais c'est pas important. Je suis reparti par les chemins tout droits qui quadrillent une campagne ordinaire plantée de bungalows ni beaux ni laids. On venait de faire les foins dans les prairies. J'ai passé quelques coteaux couverts de vergers de pommes et même de quelques arpents de vigne où je me suis arrêté pour grappiller de tout petits raisins noirs très sucrés.

Des centaines, peut-être des milliers d'outardes caquetaient dans le delta que fait la Great Chazy River juste avant de se jeter dans le lac Champlain, mon portable a sonné: tu rapporteras du lait, m'a commandé ma fiancée, t'es où?

Je suis très exactement au carrefour de l'été et de l'automne, mon amour, et je ne suis pas sûr du tout d'être content d'être déjà rendu là.

T'es drôle...

Je sais, un funny guy.

***

Je suis rentré au Québec par le Vermont, la dernière douane, la route qui arrive à Clarenceville où je suis allé saluer Gilles Lacombe, luthier spécialisé dans la fabrication de vielles à roue. Il faut faire bien attention d'écrire vielle et non pas vieille, et écrire aussi roue au singulier parce que, contrairement à la bicyclette, la vielle à roue n'en a qu'une que le musicien fait tourner par une manivelle, tandis que, de l'autre main, il joue sur un clavier incorporé dans le corps de l'instrument.

La roue fait vibrer des cordes faites de boyaux de chèvres d'Écosse. C'est même pas une blague. D'Écosse, parce que génétiquement ces chèvres là ont, paraît-il, le boyau musical.

Il est très difficile de décrire une vielle, encore plus difficile d'expliquer comment ça marche, mais en fabriquer une, alors là! On n'imagine pas comment cela peut être compliqué de gosser des centaines de petites pièces en bois d'acajou ou de palissandre, parfois en os, de faire entrer dedans des pinouches minuscules, mais bon, ça pose son homme: vous faites quoi dans la vie, vous, monsieur?

Je suis luthier spécialisé dans la fabrication de vielles à roue. C'est pas comme facteur ou plombier ou même journaliste. Gilles a déjà fabriqué 10 vielles à roue, j'ai oublié de lui demander en combien de temps, mais sûrement plus de cinq ans. Bien sûr qu'elles sont à vendre. Gilles en a vendu trois, dont une à une jeune femme qui fait aussi du roller derby. Ce n'est pas une blague non plus. En plus de la vielle à roue et du roller derby, elle joue aussi de la mandoline. Tout ça pour s'amuser, son vrai métier, c'est hypnothérapeute.

En revenant à la maison, je n'ai pas arrêté de penser à la vie trépidante de cette jeune femme si bien que j'ai complètement oublié d'acheter du lait et que je me suis fait engueuler.

Mais enfin!

Mais enfin quoi? J'ai oublié, j'ai oublié.

Je l'aime, ma fiancée, c'est pas la question. Elle popote, elle tricote, elle fait des confitures, tout ça, mais du roller derby? De la mandoline? De l'hypnose? Ne lui en parlez même pas.

De la vielle à roue? Tu parles! Du vieux à clou des fois, mais de la vielle à roue, jamais.

POLITIQUE FICTION - Vous avez compris que je reprenais cette chronique le pied léger et c'est sans appuyer bien plus fort sur les pédales, en roue très libre, que je vous pose la question qui suit.

Cela vous est-il venu à l'esprit que c'est peut-être M. Charest qui veut une commission d'enquête à huis clos sur l'industrie de la construction? Pourquoi? Je ne sais pas. Peut-être pour ne pas avoir l'air de céder complètement à la volonté populaire. Il convoque M. Duchesneau, lui dit d'accepter l'invitation de Tout le monde en parle et d'y faire cette brillante suggestion: une enquête à huis clos.

Si c'est le gouvernement qui l'avait proposé, ça aurait chialé. Venant de M. Duchesneau, le super flic, tout le monde ou presque opine, même Amir: quelle bonne idée.

Cela ne sauvera pas M. Charest de toute façon, il est cuit tout comme Mme Marois, c'est écrit, M. Legault balaiera la province aux prochaines élections, tel un Jack Layton, et envoye donc, à gauche toute au fédéral, à droite toute au Québec et il s'en trouvera encore pour me demander pourquoi vous votez pas, M. Foglia?

Parce que.

LA MODE - C'est fou le nombre de lecteurs qui me demandent mais quand donc a été prise la photo qui illustrait votre reportage sur la mode, samedi.

Merci de me le rappeler, j'avais exactement la moitié de l'âge que j'ai aujourd'hui quand cette photo a été prise, et non, ce n'était pas ma tenue «normale», deux collègues de la salle de rédaction s'étaient mises en tête de me déguiser en «latin de lover», cela a duré une heure, le temps de prendre les photos, puis j'ai retrouvé mes oripeaux dont un manteau si fatigué que les deux mêmes folles, bonjour Louise, bonjour Ingrid, ont décidé un beau jour de le brûler.

Je suis allé m'en repiquer un où j'avais déjà piqué celui-là: sur le porte-manteau d'un bar de la place Ville-Marie.