Même si je n'ai pas regardé le débat des chefs en français, ni la télé ce soir-là, la rumeur de Mme Paillé m'est parvenue dans les minutes qui ont suivi la fin du débat, par un ami dont je résume ici le coup de téléphone: sois heureux, journaliste de mon coeur, par la grâce des médias qui adorent ce genre de distraction, la vedette du débat sera donc cette dame Paillé qu'on va retrouver - combien veux-tu parier? - candidate de l'ADQ ou du Parti vert dans une prochaine élection provinciale... Combien on parie aussi que les médias ne la reconnaîtront pas? Qu'elle aura attrapé «la langue de bois» par... peur des médias justement, ainsi la boucle sera bouclée, née du tintamarre médiatique et à la fin étouffée par lui.

(À la décharge de mon ami, professionnellement très impliqué dans la campagne, il était fort déçu qu'on ne proclame pas «son chef» unique vainqueur du débat).

Comme trois douzaines d'autres confrères, j'ai appelé Mme Paillé chez elle hier, à Sainte-Angèle-de-Prémont. Bonjour madame, avez-vous l'intention de vous porter candidate pour un parti à une prochaine élection?

Non, monsieur. Si tant de gens se sont tout à coup souciés de mon opinion, c'est précisément parce qu'ils ont senti que je parlais librement. Je vais faire en sorte de garder cette liberté de parole.

Excusez-moi, mais dans trois jours, les médias ne vous appelleront plus, la liberté de parole pour parler à qui et de quoi?

Si les médias ne m'appellent pas, moi je vais les appeler pour leur donner des nouvelles du dossier.

Le dossier?

J'ai posé une question aux politiciens: que comptez-vous faire pour la création d'emplois dans ma région... Ce dossier-là de l'emploi, je vais le suivre. Je n'ai pas demandé à MM. Duceppe, Ignatieff, Layton et Harper de me trouver une job, ce n'est pas leur travail, même si c'est ce qui intéresse le plus les médias: et puis? vous a-t-on offert une job, Mme Paillé? Ça fait un an que je cherche un emploi, je ne demande pas qu'on m'en trouve un, je sais qu'il n'y en a pas. Je demande qu'on fasse en sorte qu'il y ait des emplois pour tous ceux qui veulent travailler et qui sont en chômage, dans ma région, au Québec, au Canada.

Pour qui allez-vous voter, Mme Paillé? Excusez-moi, je voulais dire: avant toute cette histoire, aviez-vous une préférence pour un parti et est-ce que cela a changé?

Oui, j'avais une préférence, et non, cela n'a pas changé.

(Je ne sais pas pourquoi, je mettrais un petit deux qu'elle ne votera pas conservateur.)

Mon ami, celui du téléphone, a tout faux finalement. Les médias n'ont pas «fabriqué» le succès de Mme Paillé.

Il est arrivé une sorte de miracle. Une madame toute simple mais pas simpliste, déjà là on est devant une rareté.

Une madame avec une préoccupation centrale qui rejoint bien des gens: l'emploi. Elle s'offre en illustration: j'ai 53 ans, je suis sans emploi, mais le mot-clé de sa question c'est région, que comptez-vous faire pour la création d'emplois dans ma région? Sans agressivité, la question renvoie les quatre chefs de parti à l'essentiel: oui, oui, l'éducation, la santé, la justice, la langue, mais d'abord, par-dessus tout, du travail.

La question renvoie aussi à un autre principe de représentation que celle à laquelle nous sommes habitués: je ne vous demande pas d'être empathique, je vous demande d'avoir des solutions. La question renvoie aussi à un autre type de campagne électorale qui cherche plus à éclairer qu'à séduire.

Il est arrivé une sorte de miracle. Mme Paillé est devenue immensément populaire en quelques heures sans devenir populiste pour autant. Pour une fois, Twitter et Facebook ne se sont pas emparés de n'importe quelle conne pour en faire une superstar.

Réjouissons-nous, mais n'allons pas nous imaginer que cette minuscule éclaircie sortira cette campagne de son hébétude.

Il reste deux longues semaines de campagne que vous pouvez comparer à un match de hockey en reprise. On sait déjà le résultat: 6 à 0 pour les bleus.

M. Ignatieff, que j'aime plutôt bien, ne deviendra pas premier ministre du Canada à moins qu'il ait menti - ce qui serait tout de même un peu gros - sur son intention de prendre la tête d'une coalition.

Je ne suis plus capable de voir M. Layton faire un clown de lui-même chaque fois qu'il évoque la possibilité de devenir premier ministre du Canada, c'est à peu près comme si j'évoquais la possibilité de devenir moi-même le prochain président du Congrès juif.

Chaque fois que je vois M. Duceppe, je ne peux m'empêcher de penser combien il serait plus utile à la tête du PQ.

Mais si je me tiens loin de la campagne, c'est d'abord parce que M. Harper me rend malade. J'ai déjà dit le contraire, je sais. Mais c'était alors un autre homme, du moins un autre politicien. Allumé par sa victoire sur Martin, M. Harper pétait le feu à cette époque, formidablement de droite évidemment, mais au moins on savait qu'un janséniste menait le pays. Vous l'avez voulu? Vous l'avez eu.

Est-ce son état de «minoritaire» qui a fini par l'user? Il est devenu rampant, la bouche en cul-de-poule depuis le début de la campagne (et bien avant aussi), il ne cesse de susurrer des demi-vérités dans le but évident de plaire aux demi-imbéciles qui forment, on le sait, le gros de l'électorat.

Comme vient de me le dire un lecteur d'origine roumaine (qui mériterait bien d'être le petit cousin de Cioran), le passé a été misérable, le présent est atroce, heureusement qu'on n'a pas d'avenir.