Coin coin

Ce n'est pas pour me vanter, mais l'autre jour je me suis acheté des culottes de bicyk, des cuissards de marque Agu. Des culottes exprès pour une performance extrême.

Arrête donc de dire des niaiseries, m'a dit ma fiancée.

C'est écrit sur l'étiquette, lis, j'ai dit en agitant les culottes sous son nez, lis: Pour une performance extrême. Ah tu vois. Peut-être te demandes-tu comment des culottes peuvent favoriser la performance extrême? Par une régulation supérieure de l'humidité, et c'est encore plus convaincant en anglais, on y parle de superior management de la moisture. Peut-être t'interroges-tu, maintenant, femme de peu de foi, sur le lien de cause à effet entre la régulation de la moisture et pédaler plus vite?

C'est très bien expliqué ici: parce qu'il est prouvé que cela réduit le rythme cardiaque. Proven to reduce heart rate, rallenta il battito cardiaco. Plus t'as le cul au sec, plus ton rythme cardiaque est lent, et plus ton rythme cardiaque est lent, plus tu pédales vite...

Pourquoi?

C'est comme ça, c'est tout. Armstrong dans l'Alpe d'Huez était à 72, moi, je suis à 188 en dormant.

Parlant de performance extrême, je me suis trouvé, aux États, une nouvelle drogue pour rouler, un gel au miel avec du ginseng, cela s'appelle Hony Stinger, le dard au miel, c'est du miel fait par des abeilles qu'on laisse tremper quelques heures dans une décoction à base d'EPO, d'amphétamines et de stéroïdes, avant de les envoyer butiner les fleufleurs sauvages.

Sérieux, c'est de loin le meilleur truc que j'ai pris pour rouler, je parle ici de saveur. Pour l'efficacité, bof, c'est comme tous les autres trucs, ça dépend de la dose de caféine qu'ils foutent dedans.

Anyway, cela ne s'annonce pas comme une grande saison de vélo, l'année dernière j'avais 1000 km à la mi-avril, je n'en aurai pas la moitié cette année à la même date.

Je reprends doucement possession de mes paysages, un par un, ému comme toujours par l'harmonie des volumes, la fluidité des lignes, le silence mou des champs encore tout en boue. Samedi, sur le chemin des sapins, j'ai levé deux colverts. Dans le plat du Ridge, j'ai entendu les grenouilles pour la première fois ce printemps.

Je pars avec une idée, une pensée que je mouline avec l'intention d'en faire un texte, mais ce n'est jamais arrivé, je la perds toujours en chemin. Suffit de deux colverts au-dessus de ma tête, elle s'envole avec eux, mon idée, coin coin.

À la terrasse de l'OEuf, j'ai pris un chocolat chaud en pensant à rien.

Les masques

L'autre jour mon collègue Patrick Lagacé chroniquait sur les faux-nez, jolie traduction de sock-puppet, sujet qui me passionne, mais dans sa forme la plus pure: quand le faux nez épouse exactement le vrai.

Quelqu'un ôte son masque, surprise, son visage est exactement comme le masque.

Un faux-nez, c'est un type qui fait la promotion d'une personne, ou d'un commerce ou d'une idée sous un faux nom, avec cette seule intention: en faire la promotion. Ou le contraire: dénigrer la chose.

Tu cherches un hôtel à Lyon sur le Net, les 10 premiers noms qui sortent ne sortent pas les 10 premiers par hasard. C'est arrangé pour que ça arrive comme ça. Et les commentaires des soi-disant clients satisfaits ne viennent pas tous de clients satisfaits. Reste que le Net n'a pas inventé les faux-nez, les pages de lecteurs des journaux sont pleines de faux-nez depuis la nuit des temps.

Je veux juste attirer votre attention sur le fait que ce n'est pas toujours la belle-soeur du proprio du resto qui écrit pour dire que oh là là c'était bon et pas cher. Ou le contraire, la même belle-soeur, pour parler du resto en face: on a mangé quelque chose de pas frais, on a été malade, il faudrait qu'il y ait plus d'inspecteurs dans la restauration, c'est une question de santé publique...

Cela se complique considérablement quand le faux-nez épouse exactement le vrai.

Le nom aussi est vrai. Et la photo. L'auteur de cette lettre est président d'une société d'investissement privé... il critique férocement, ne me dites pas, le modèle québécois. L'auteure de cette lettre est responsable du comité de la condition féminine dans une centrale syndicale... elle proteste vivement contre le projet d'embauche prioritaire d'instituteurs masculins. L'auteur de cette lettre est président de la chambre de commerce de la Beauce... il énumère 10 raisons pour lesquelles les Québécois doivent voter contre le Bloc.

Vous êtes-vous déjà demandé qui finançait la chaire en études stratégiques et diplomatiques Raoul-Dandurand? Quand vous entendez un expert vous dire que le nucléaire est sans aucun danger, vous demandez-vous qui finance son projet de recherche à l'université où il travaille?

Vous savez ce qu'est un blurb, comme disent les Français? C'est un bandeau autour d'un livre qui porte un commentaire à la fois bref et enthousiaste d'un écrivain ou d'un artiste, ou d'une personnalité, par exemple: absolument délicieux, le commentaire d'Anna Gavalda sur le bandeau d'un petit livre (1) pas si délicieux que ça. Le procédé est très répandu. Les auteurs n'ont rien à refuser à leur éditeur, as-tu lu le dernier Nancy Houston? T'as aimé? Me ferais-tu quelques lignes?

Je connais un type, un sale type en fait, ici au Québec, qui m'a parié un repas que son commentaire - un modèle d'ambivalence préméditée (2) - deviendrait un blurb limpide, il a gagné, son blurb figure sur le bandeau d'un livre très vendu ces jours-ci en librairie.

Méfiez-vous des faux-nez qui épousent exactement le vrai.

(1) Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates.

(2) Ambivalence: caractère de ce qui se présente sous deux aspects, sans qu'il y ait nécessairement opposition ou ambiguïté.