Cela fait plus de 30 ans que je n'habite pas à Montréal. N'empêche que le Plateau, c'est moi. Pas juste moi. Mais j'en suis, je crois, un insigne représentant. Par l'esprit comme par le coeur. Je l'ai toujours assumé. À une époque, plus difficilement qu'aujourd'hui. À une époque, il y a 20 ou 30 ans, c'était vrai qu'ont était une clique. J'aime bien la définition musicale de «clique»: ensemble des clairons et des tambours d'une musique militaire. C'est vrai qu'on jouait fort du clairon et du tambour, qu'on faisait marcher le Québec au pas de la social-démocratie et de la culture subventionnée.

Ça fait longtemps que c'est fini. Si vous avec lu Le Meilleur des mondes, le Plateau, c'est la réserve des Sauvages, un vestige de société ancienne. Une curiosité anthropologique.

C'est moi aujourd'hui: une curiosité journalistique. Influence zéro. Et c'est très bien. Sauf que j'entends dire, avec stupéfaction, que ma clique et moi - Homier-Roy, Charette, Lagacé, Guy A. -, nous faisons toujours la pluie et le beau temps de l'information, nous faisons la culture, l'humour, l'économie, les modes. La gogauche comme avant, quoi.

N'importe quoi! Charette, gogauche? Faudrait d'abord qu'elle reconnaisse sa gauche de sa droite. Jeudi, sur ce même sujet - la clique du Plateau -, ce n'était pas évident. Elle était juste contente d'avoir un débat comme Bazzo, sans se rendre compte qu'il y avait un imbécile dans le lot - le chroniqueur du Journal de Québec - qui plombait son débat. Pas parce qu'il était de droite. Parce qu'il est imbécile.

C'est pourtant pas compliqué. La droite est au pouvoir partout dans le monde sauf au Brésil, au Venezuela, à Cuba, au Manitoba et en Nouvelle-Écosse - deux provinces affligées d'un gouvernement NPD -, en Corée du Nord et sur le Plateau, qui a élu Amir.

Le débat politique, social et culturel ne se fait plus entre la droite et la gauche, mais entre la droite et la droite plus ultra. Ainsi, Facal, qui incarne toute l'arrogance, toute l'autorité de la science économique, Facal est devenu le Plateau. Y a au moins ça de comique. Pour la droite libertarienne, ou la droite populiste du grand Québec, Facal, c'est la nouvelle gogauche.

Le Plateau n'est plus qu'un quartier, alors que la droite, c'est le fond de l'air, la trame de toute la province. La religion officielle. La religion du salut de l'humanité. Déréglementer, réduire la taille de l'État, privatiser, plutôt le chômage que l'inflation, désocialiser l'économie, tout cela a déjà été affaire d'opinion. C'est fini. C'est maintenant de la science. On ne peut pas aller contre la science.

Mais, madame David, pour distribuer la richesse, il faut d'abord en créer...

Aussitôt, 7 millions de Québécois hochent la tête en disant: Mais c'est vrai, ça! La conne, elle n'y avait même pas pensé.

Vous rappelez-vous comment finit le bon Sauvage de Huxley dans Le meilleur des mondes? L'ultime appel qu'il reçoit de la science...

Imbécile, ignare! lui cria le Moniteur de la Science Fordienne, pourquoi ne prenez-vous pas de soma?

Une petite anecdote révélatrice. Au printemps 2009, une jeune collègue de La Presse fait la critique d'un documentaire remarquable: L'encerclement, la démocratie dans les rets du néolibéralisme, de Richard Brouillette, documentaire dont on a très peu parlé ici, devinez pourquoi. Primé au festival de Berlin et signalé - très élogieusement - dans Le Monde, Vanity Fair, le New York Times. Une oeuvre pédagogique de presque trois heures en noir et blanc, la pensée néolibérale depuis ses tout premiers think tanks financés par les multinationales jusqu'à aujourd'hui.

À la suite de sa critique, modérément favorable, ma collègue reçoit un courriel d'un prof de philo de Baie-Comeau qui la traite d'ignorante en matière d'économie. Jusque-là, c'est correct. Mais il ajoute ceci: Vous ne me semblez pas - idéologiquement parlant - à votre place à La Presse, mademoiselle!!!

On peut rêver de ce qui arrivera si celui-là lâche la philosophie pour la direction de l'information de La Presse. Plus loin, il passe aux menaces: j'espère encore lire La Presse malgré votre étonnante participation, mais s'il m'est donné de lire sous votre plume d'autres balivernes de gauche, vous me placerez dans l'obligation d'adresser une note à qui de droit...

À qui de droit? M. Desmarais? M. Crevier? M. Pratte? Il termine en conseillant à ma collègue d'aller parfaire son éducation «dans les nombreuses pages libertariennes du web».

Imaginez le même courriel d'un prof de gauche qui conseillerait à ma collègue d'aller lire Chomsky, Chossudovsky, Susan George, Marx, dans le même but de s'abreuver au bon catéchisme. Imaginez ce que les radios-poubelles de Québec pourraient faire d'un tel courriel.

La droite a pris le plancher partout, dans les pépinières même de la gauche de jadis. Mais cela ne lui suffit pas d'avoir tout le plancher. Ces jours-ci, elle s'énerve énormément contre l'irréductible Plateau, qu'elle aimerait bien raser. Elle pointe particulièrement les journalistes. Selon ses statistiques, les quatre cinquièmes des journalistes de la province viennent du Plateau. Tous de gauche. Tous unis pour sauver la social-démocratie. Complotant pour empêcher la privatisation de la santé. La hausse des frais de scolarité. La baisse des impôts. L'exploitation du gaz de schiste.

La caricature est grossière. Mais il n'est peut-être pas tout à fait faux qu'une majorité de journalistes aient toujours le coeur à gauche.

Étant donné les ruines du Plateau et ce que sont devenus les profs de philo, je trouve que c'est plutôt une bonne nouvelle pour la démocratie.