Cela fera plaisir au maire Labeaume: c'était mieux à Québec. Tout, l'ambiance, le décor, la course. Pourtant on a eu droit exactement au même scénario à Québec qu'à Montréal. Une échappée dans les premiers tours qui dure longtemps (trop) et un final haletant. Mais à Québec il y avait quelque chose d'excitant dans l'air, je ne sais pas quoi exactement. Peut-être cela tient-il au décor: le chemin Saint-Louis est quand même plus pittoresque que l'avenue du Parc.

Un long dimanche après-midi. Devant, les échappés ne roulaient pas si vite que ça. Derrière, le peloton dormait. Et nous, sur le bord du chemin, un petit peu aussi.

Premier tour, cette échappée, donc, avec des coureurs comme Seeldraeyers ou Tjallingii ou encore comme Gorka Izagirre Insausti... Ce ne sont pas des noms qu'on oublie, c'est juste qu'on n'en avait jamais entendu parler.

Deuxième tour. Les échappés ne roulaient pas si fort que ça, je l'ai dit. Derrière, le peloton faisait ce qu'il pouvait pour ne pas les rattraper parce que s'il les avait rattrapés, tout aurait été à recommencer, du dérangement pour rien, la sieste interrompue, c'est plus long à se rendormir après.

Troisième tour, rien. Quatrième tour, rien. Cinquième, sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, onzième tours, rien.

Sur Camillien-Houde, je demandais aux gens: savez-vous quel tour on est? Ils disaient: huitième; pour vous dire comme le temps ne passait pas vite, on était juste au cinquième. Pas tant de monde que ça. Moins que je croyais qu'il y en aurait. Un public averti, des gens vélos, des cyclos venus en famille. Ils étaient venus voir Hesjedal, Sanchez, Gesink, Leipheimer. Vous ne les verrez pas avant les derniers tours, je leur disais.

Le peloton passait, en tête les coureurs parlaient comme s'ils étaient dans leur salon, je disais aux gens: regardez, ils se promènent. Ils montaient à la moulinette, sur des pignons de cyclos, 39x21, même 39x23. Pas pressés que la course commence.

Les Montréalais sont tellement fiers de leur montagne, surtout les cyclos qui se farcissent Camillien-Houde cinq ou six fois par semaine, qu'ils ne comprennent pas que ces gars-là puissent l'escamoter comme un vulgaire pont de chemin de fer. C'est pourtant ce que les coureurs du Pro Tour ont fait tout l'après-midi hier.

Les RadioShack, Chris Horner et Machado ont mis le feu au 12e tour. Sont partis avec Gavazzi, Sorensen, l'Italien Daniel Oss. Ils ne s'en allaient pas gagner l'étape, ils allaient juste mettre la table pour leurs leaders.

Le premier des favoris à bouger a été Hesjedal. Une attaque pas très incisive. Gesink et Leipheimer ont pris sa roue facilement. C'était pas non plus le bon moment. Il est vrai que Hesjedal n'a pas tellement le choix. Comme il avance comme un lave-vaisselle au sprint, il faut qu'il brasse la cage avant, qu'il mette les autres dans le rouge et idéalement qu'il arrive seul. Il n'avait pas le tranchant pour le faire hier.

Ce que Hesjedal a raté au 14e tour, Robert Gesink de la Rabobank l'a magnifiquement réussi dans le dernier tour. Comme une leçon de choses: regarde, Ryder, c'est comme ça qu'il faut faire. À l'époque où je couvrais le Tour, les coureurs disaient: poser une mine. Gesink a posé une mine et derrière ils ont tous sauté. Le Néerlandais a tout de suite pris 50 mètres, pour 100. Il n'a jamais été plus de 20 secondes devant. La bouche ouverte comme pour manger la route.

Derrière, ils étaient six lancés à ses trousses, les plus forts du peloton, Sagan, Sanchez, Hesjedal, Zubeldia, Monfort.

Gesink pouvait presque sentir leur souffle dans son dos. Il a tenu huit kilomètres comme ça, le dernier kilomètre debout sur les pédales. Il franchit la ligne et se casse en deux aussitôt comme pour vomir. Il suffoque, il a du mal à garder l'équilibre, et puis une joie toute simple le submerge.

Ici, quand même, un petit mystère: comment six coureurs, parmi les meilleurs de l'heure, vent de face, lancés à la poursuite d'un échappé seul qui ne les devance que de 4 secondes, comment peuvent-ils ne pas le rejoindre?

Puis-je suggérer qu'ils ont essayé de jouer au plus fin comme cela arrive couramment dans ce genre de final? Qu'au lieu de tout donner dans la chasse, ils en gardaient un peu sous la pédale pour le sprint final, et qu'ils se sont fait baiser par ce petit calcul-là?

----

Bilan express de ces deux courses du Pro Tour qui nous sont tombées dessus par la grâce de Serge Arsenault, qui a évité de me saluer toute la journée, je me demande bien pourquoi: du très, très beau vélo. Un organisation irréprochable. Une intendance super efficace. Et je le redis parce que c'est vrai: c'était bien mieux à Québec.

Québec s'est donné tout entier. Québec a vibré. Montréal a seulement prêté sa montagne, une montagne que les coureurs se sont amusés à escamoter tout l'après-midi comme si c'était un pont de chemin de fer.

----

Personne n'a parlé de dope? Je vais le faire. Essentiellement parce que l'actualité cycliste nous ramène sur terre avec un cas que je trouve exemplaire en même temps que bouleversant. Un cas qui va contre tous les clichés populaires, contre toutes les niaiseries dont on nous afflige à chaque nouvelle affaire de dope, un cas qui, pour moi, va au coeur du problème.

Le coureur s'appelle Roy Sentjens, il est belge. Il court pour l'équipe allemande Milram (qui avait une équipe ici).

Mercredi, on apprend que Sentjens s'est fait prendre lors d'un test inopiné: positif à l'EPO. Vendredi, comme ils le font tous, il nie tout. Samedi il s'effondre, reconnaît qu'il s'est dopé et annonce qu'il met fin à sa carrière. Il a 30 ans. Son meilleur résultat en 2010: une 9e place dans une étape du Tour d'Autriche.

Lisez ses explications et ne vous dépêchez pas de les trouver faciles...

Je voulais un contrat. J'ai une nouvelle maison, un enfant, une voiture, j'ai besoin de travailler... J'ai pris la voiture, je suis allé à Barcelone, j'étais prêt à faire toutes les pharmacies, à la deuxième j'ai trouvé ce dont j'avais besoin...

On oublie souvent les traites de la maison et de la voiture quand on débat de la dope. Je les regardais rouler hier après-midi et je me demandais combien, parmi eux, n'avaient pas de contrat pour la saison prochaine.