C'est quand même incroyable qu'on soit là, à la mi-septembre, à parler d'une course de bécyk ProTour à Québec! À Québec! Des coureurs partout dans les boutiques de la rue Saint-Jean, des mécanos qui parlent flamand, je leur ai demandé:

Vous êtes des coureurs?

Mais non, des mécanos, voyez pas, on est gros.

Un peloton de 173 coureurs qui ferait l'envie de n'importe quelle course d'un jour en Italie ou en France, ici, à Québec, aujourd'hui, et à Montréal, dimanche. C'est un peu comme si la Ligue nationale de hockey décidait que les deux premiers matchs de la série Canadien-Toronto seraient joués à Noirmoutiers et à Angoulême. Quelle drôle d'idée.

Pourquoi Québec et Montréal? Dans une province, j'ai la douleur de vous le rappeler, qui n'organise presque plus de courses de vélo? Où on ne voit jamais nos meilleurs coureurs à l'oeuvre parce qu'il n'y a pas de courses! Pourquoi l'UCI a-t-elle ouvert cette parenthèse chez nous? À la quête de quel improbable marché?

C'est quand même incroyable. Pourquoi ici?

Parce que Serge Arsenault.

Je connais ce gars-là depuis 100 ans. Il était journaliste sportif à Radio-Canada, de cette vieille école d'annonceurs sportifs qui ne connaissaient rien au sport mais avaient de bien belles voix.

Il connaît rien au vélo non plus. Il ne connaissait rien au marathon quand il l'organisait. Un organisateur, alors? Un vendeur.

Ce gars-là, vous ne me croirez pas, a déjà vendu des moissonneuses-batteuses à des Esquimaux. J'étais là. L'Esquimau protestait: oui, mais M. Arsenault, on n'a pas de blé. Arsenault, tout sourire: on va en faire pousser, monsieur. On va mettre un dôme sur la banquise pour la réchauffer, avec un toit ouvrant pour que les abeilles puissent venir butiner parce qu'on va avoir aussi des ruches.

Il a fait le même coup à Labeaume. Le Grand Prix cycliste de Québec sera vu en direct dans 789 pays sur la planète, M. Labeaume. Il me fait rire, M. Labeaume. Il pense qu'il a inventé la bullshit. J'ai des petites nouvelles pour lui. Les fonctionnaires esquimaux du provincial et du fédéral n'ont rien vu non plus. Roulés dans la farine comme les autres. Les retombées, mon vieux, les fameuses retombées, des millions de retombées.

On ne sait plus, là, monsieur le chroniqueur, l'aimez-vous ou pas?

Arsenault? Je n'irais pas passer un après-midi dans sa datcha de Kwnolton à parler de la vie, c'est sûr, on ne s'entendrait sur absolument rien. Mais ça n'empêche pas l'admiration. Quand je parle d'Arsenault avec mes amis de vélo, on commence toujours par dire non, mais quel con, sauf qu'on se dépêche d'ajouter:

N'empêche que c'est grâce à lui. Basso, Popovych, Hesjedal, Dionne, Rollin, Ballan, Voigt, Tiralongo, Michael Rogers, Botcharov, Robert Gesink, Chavanel, Sagan, Horner, Cunego, Sanchez, Leipheimer, c'est grâce à lui. C'est presque de la prestidigitation. Et attendez, ce n'est pas fait n'importe comment.

Les coureurs n'en reviennent pas d'être traités comme des princes. Le Château Frontenac est assez loin des ternes hôtels périphériques dans lesquels on les entasse habituellement. L'accueil a été somptueux. La bouffe, c'est la bouffe de Jean Soulard, pas le patate-frites du coin. On leur a monté une immense tente pour les vélos où les mécaniciens ont leurs aises. Le service de presse est impeccable. L'intendance irréprochable. Les journalistes absolument formidables, imaginez qu'ils n'ont pas posé une seule question sur la dope. Ces gens-là vont rentrer en Europe en disant: Oh lalala, le Québec, terre de cyclisme, mon vieux. Ça ne m'étonnerait pas que, dans les mois qui viennent, on constate à nos frontières une demande très accrue de demandes d'asile politique de cyclistes maltraités en Bretagne ou en Auvergne...

Les événements d'Arsenault sont toujours organisés première classe. Toujours. Si ça coûte cher? C'est effrayant, madame, comme ça coûte cher. Des revenus? Pas tant que ça. Ici on a un petit problème de comptabilité, c'est vrai. Une première année dans le rouge. Une deuxième année aussi. Pis la troisième, la troisième... d'habitude y'a pas de troisième année.

Ça ne l'empêche pas de rebondir cinq ans plus tard, avec une nouvelle idée... Attends, Serge, laisse-moi deviner: une classique ProTour à Québec, départ sur les Plaines, on leur fait monter la côte de la Montagne?

***

La côte de la Montagne avec ses 13% de dénivelé n'a rien à envier à bien des cols des Alpes, s'enthousiasmait dans son journal un jeune collègue qui est peut-être bien le cousin de Régis Labeaume, en tout cas, il le mériterait. J'imagine le petit sourire des coureurs en prenant leur café ce matin: les Alpes! Hein!

Non seulement la côte de la Montagne n'a de la montagne que le nom, mais elle est loin d'être la côte la plus tuante de la ville de Québec. J'aurais aimé voir le peloton se disloquer dans la côte Gilmour, par exemple. Mais attention, ne me faites pas dire que ce circuit, tel qu'il est dessiné, pfft, c'est rien du tout. Ce que je dis, c'est que ce sont les coureurs qui font la course, pas le circuit.

À quel genre de course peut-on s'attendre? J'ai bien aimé l'honnêteté de Basso qui dit qu'il n'est pas au mieux de sa forme, de Voeckler qui ne promet rien non plus, alors que Leipheimer, lui, ne dit pas non. Il n'y aurait rien d'étonnant de voir aux avant-postes, aujourd'hui, la grosse équipe des RadioShack. RadioShack, c'est la gang d'Armstrong sans Armstrong. Ils sont en crisse d'avoir été refusés au Tour d'Espagne et pourraient bien se défouler ici avec Brajkovic, Paulino et avec Leipheimer à Montréal.

On ne jouera pas aux prédictions. Mais un qui sera là pour sûr, qui veut, qui déborde de plaisir de courir, c'est le Canadien Ryder Hesjedal, septième du Tour de France.

Il rayonnait hier après-midi en conférence de presse, il a dit son envie de couronner sa magnifique saison par une victoire ici où à Montréal dimanche, où le terrain lui convient peut-être mieux. C'est ce que tout le monde dit, mais on devinait, hier, que Hesjedal n'avait pas fait une croix sur le circuit de Québec.

Hesjedal a en tête d'effacer sa douloureuse deuxième place à l'Amstel Gold Race en début de saison où il s'est fait battre (par Philippe Gilbert) sur une arrivée en faux-plat semblable à celles d'aujourd'hui sur le chemin Saint-Louis et de dimanche sur Parc.

On ne jouera pas aux prédictions, disais-je, sauf celle-ci: une des deux à Hesjedal.