J'entendais ce matin M. Taylor dire encore une fois que tout cela était la faute des médias. Si les médias n'avaient pas fait toute une histoire de cette jeune femme au niqab intempestif, eh bien... eh bien, il n'y aurait pas eu d'histoire. CQFD!

Je trouve au contraire que c'est une histoire qu'il fallait raconter. Loin de fausser les perspectives comme le déplore M. Taylor, elle a fait avancer les choses. Du moins les a précisées en ce qui concerne le niqab.

Nous voilà fixés. La majorité des Québécois approuvent le cégep Saint-Laurent d'avoir expulsé la jeune femme. La majorité des Québécois pensent que le port du niqab ne devrait pas être permis dans l'espace civique, que l'opinion publique semble commencer à distinguer, justement, de l'espace public. Si j'ai bien lu le reportage de ma collègue Michèle Ouimet samedi, les Québécois - les Montréalais, disons - n'en ont vraiment rien à foutre qu'une bonne femme porte le niqab dans la rue ou dans le métro.

Voilà le cas du niqab réglé. Ne reste plus qu'à s'entendre sur le voile!

Je plaisante, même si ce n'est pas drôle. J'entendais ce matin M. Taylor vanter encore une fois nos accommodements raisonnables, qu'il comparait aux déraisonnables conflits identitaires des Européens - des Français en particulier, mais aussi des Hollandais, des Allemands. Ah! M. Taylor! Comme il fait bon d'être Canadien, n'est-ce pas, et de marcher le coeur content, comme dans la chanson scoute, vous savez? La chanson scoute: Le ciel est bleu, le ciel est bleu... les oiseaux chantent sur les toits...

Vous ne trouvez pas qu'il y a quelque chose de scout dans le multiculturalisme canadien? On attache tout ça avec des bouts de ficelle, on patente des accommodements... Surtout, surtout ne rien couler dans le béton des lois. Cela donne un pays paradoxal, naïf et prétentieux à la fois, éparpillé. Cela donne Vancouver, tiens. L'arrivée du haut des airs est magnifique. Et puis on atterrit, et puis on marche dedans, et c'est n'importe quoi.

Cela donne aussi un titre dans mon journal de ce matin: Près du tiers des Canadiens seront nés à l'étranger en 2031. Pis? Il y a 100 ans, il y avait déjà près de 20% des Canadiens qui étaient nés à l'étranger. Dites-nous plutôt quel genre de pays fera du Canada cet arrivage d'Arabes, de Chinois, d'Indiens et de Luxembourgeois. Comment le Canada respirera-t-il en 2031? Je veux dire: quelle sera sa culture? Un Canada comme un parc à huîtres? Plein de petites cultures dans leurs coquilles fermées sur elles-mêmes? Une société qui trouve sa cohésion dans l'activité économique - essentiellement dans la consommation - et, pour le reste, une société comme Vancouver? Une mosaïque avec des Arabes ici, des Indiens là, et des Chinois partout?

Il n'est pas très utile de savoir, par exemple, que, en 2031, 31% de la population sera asiatique. Dites-nous plutôt combien parlerons le mandarin à la maison.

Dites-nous donc aussi si cela fera du Canada un pays laïque. Je plaisante encore. La laïcité est incompatible avec le multiculturalisme à la canadienne. Je sais, je sais, il est plusieurs laïcités. Au moins deux. La mienne, ancienne et dogmatique. La vôtre, canadienne et éclairée, une laïcité avec des salles de prière dans les écoles. Une laïcité avec des cours de religion (et société), mais sans l'athéisme en option. Une laïcité avec des garderies coraniques et hassidiques. Une laïcité comme une chanson scoute: le ciel est bleu, le ciel est bleu... les oiseaux chantent sur les toits.

LE CURLING, SUITE ET FIN - Hé, vous ai-je dit que mes boss étaient tellement contents de ma couverture olympique, ils m'ont senti si engagé, si enthousiaste, si transporté par la chose olympienne hivernale qu'ils ont décidé de me renvoyer à Vancouver pour les paralympiques, qui commencent demain? Je pars ce soir, je devrais arriver à temps pour la cérémonie d'ouverture et pour le premier match de curling en chaise roulante, qui opposera l'Arménie au Luxembourg.

Vous ai-je dit aussi, et je ne plaisante pas, que le président de la Fédération de curling du Québec (ou est-ce du Canada?), dans une lettre très officielle envoyée à mes boss, exige que je lui fasse des excuses publiques? Sinon il portera plainte au Conseil de presse.

Je lui ai recommandé la plainte. Sera-t-elle reçue par le Conseil? Je le souhaite. Serai-je blâmé? Je le souhaite aussi. Un blâme de «mon» Conseil de presse pour avoir dit: bien sûr que j'ai des préjugés sur les joueurs de curling, sur qui d'autre? Certainement pas les lesbiennes, les Noirs, les handicapés. Il ne reste plus guère en ce monde que les joueurs de curling et les Luxembourgeois qu'on peut traiter de débiles en toute impunité... être blâmé pour cela couronnerait magnifiquement ma carrière, moi qui n'ai jamais gagné aucun prix de journalisme - et, j'en rêve, cela me vaudrait peut-être même une mention dans une anthologie mondiale de l'humour absurde.

J'ai déjà demandé à mon épouse de faire graver un petit balai sur la petite boîte de mes cendres.

Cela dit, je remercie les nombreux joueurs et joueuses de curling qui se proposent de m'initier à leur loisir. C'est gentil, mais je joue déjà aux quilles tous les samedis après-midi avec ma fiancée au salon la Boule qui roule, à Farnham.