La fausse nouvelle: le taux d'échec des cégépiens francophones à l'épreuve de français de 2008-2009 est le plus haut des 10 dernières années (17,2%).

La vraie nouvelle: pour être élevé, ce taux n'en est pas moins incroyablement bas en regard de ce qu'il serait si la correction de cette épreuve - une dissertation critique de 900 mots - n'était pas une correction bidon (1), notamment si les correcteurs comptaient vraiment les fautes et appliquaient la règle d'un échec automatique au-delà de 30 fautes.

Mais laissons les correcteurs. Ils n'ont pas le choix. Ils sont partie de cet incroyable projet éducatif qui tourne autour d'un impératif: éviter l'échec.

Au nom de quoi? Je ne sais trop. Tout ce que je sais, c'est qu'après chaque chronique comme celle-ci, on vient me murmurer à l'oreille: Bougre d'abruti, tu n'as donc pas encore compris ce que l'échec scolaire avait d'odieux: il élimine les enfants défavorisés d'abord.

Vous allez voir qu'ils vont me faire brailler, encore cette fois.

Qu'est-ce que l'éducation? Une image me vient. Naïve j'en ai peur, comme l'image que les âmes simples se font du Ciel, avec des anges qui jouent de la harpe. Je vois une classe de philo dans un cégep. Une classe de techniques policières, 25 futurs flics attentifs à ce qu'est en train de leur raconter un prof enthousiaste. Le cours porte disons sur Descartes et sur le doute. «Je doute donc je suis.» Mais peu importe le sujet, je me représente surtout un cours très animé. Un futur flic lève la main. M'sieur, comment ce Descartes qui doutait de tout en est-il arrivé à croire en Dieu?

Pour moi, l'éducation est essentiellement dans cette image, idyllique: un prof habité par la passion, des futurs policiers allumés. Ben non, ben non, ils ne parleront pas de Descartes le cours fini, ni dans leur auto de police cinq ans plus tard. Mais l'école leur a appris à organiser leur pensée, elle a surtout éveillé leur curiosité intellectuelle.

C'est un mirage bien sûr. Cela supposerait de la part des apprentis flics une maîtrise certaine du langage.

Descartes: «...je me résolus à feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées dans l'esprit n'étaient pas plus vraies que les illusions de mes songes.»

C'est déjà pas facile-facile. Si en plus ils ne savent pas ce que feindre veut dire, c'est foutu pour Le discours de la méthode. La maîtrise du langage. Pas la maîtrise du discours philosophique, ou des mathématiques, ou de l'écologie, qui ne sont que des matières. Le langage. La mère-matière. La passerelle vers toutes les autres.

Comment y parvenir autrement qu'en s'y prenant dès le primaire, par l'analyse de textes qui mène à la découverte du sens?

Un prof de français dans un cégep me disait l'autre jour: J'ai parfois l'impression de donner mon cours à des étrangers. Depuis le début, on leur a appris le français comme une langue étrangère, des mots, des phrases pas trop compliquées, juste ce qu'il faut pour se faire comprendre. Avec ça on leur a donné aussi une prof en forme de boîte à outils, et pas de matière à transformer. Démerdez-vous.

C'était le dernier dimanche de septembre à la radio de Radio-Canada, dans un reportage sur ce nouvel examen de français auquel devront satisfaire désormais les futurs enseignants. C'est trop difficile, se plaignaient plusieurs, dont une qui est venue dire: Moi je suis en enseignement spécialisé, je travaille avec des enfants qui ont des gros retards académiques; qu'est-ce que ça peut bien faire si je fais des fautes?

En effet. Ça lui servirait à quoi d'être un peu moins niaiseuse pour enseigner à des mongols, de toute façon? On ne trouvera pas meilleure illustration du pragmatisme de notre projet éducatif.

La société savante. Moi je suis policier. Moi je suis couvreur. Moi je pose des tuiles de céramique. Moi je suis inspecteur des viandes. Moi je répare des vélos. Moi je suis pompiste. Moi je tiens un Couche-Tard. C'est moi qui fais les signaux quand votre avion s'approche du débarcadère. Moi je suis à la maison avec trois enfants. On a tous notre DEC. Lalalère. Et que Descartes mange d'la marde.

Dans une lettre aux parents, cette prof écrit: «Les vacances sont terminées et l'année scolaire est bel et bien commencé.» Je trouve que ça commence plutôt mal, ou plutôt que ça continue comme l'an passé, m'écrit la mère de l'enfant qui poursuit: C'est la même prof qui, l'an dernier, notait sur le bulletin de mon fils cette fois: «Bonne chance dans ta nouvelle école. J'espère que de nouveaux projets te stimulera

Bof, stimulera, stimuleront, pas de quoi en faire un fromage. Ce qui m'inquièterait moi, comme parent, c'est cette allusion à des projets. Tout fonctionne par projet à l'école d'aujourd'hui. C'est quoi ton projet, ma chérie? Julie Payette. Le jardin de mon grand-père. La Chine. L'écologie. Sur 27 élèves dans la classe, 12 font leur projet sur l'écologie. Trois ont eu le même flash de prendre en photo leur bac à recyclage. Sont vites, les petits mosus.

L'étude des formes et des structures de la phrase qui mènent à la curiosité intellectuelle, au sens, éventuellement à Descartes, je veux dire au doute, ce doute qui est au coeur même de l'apprentissage, ne peut malheureusement se faire par projet. Ça prend des profs. Pas des boîtes à outils.

(1) Lire dans La Presse de jeudi la chronique de Rima Elkouri, «La réussite bidon».