Roman Polanski? Mon sujet serait plutôt l'Atlantique. De ce côté-ci, la quasi-unanimité de l'intelligentsia québécoise, canadienne, nord-américaine qui veut envoyer Polanski devant son juge, même si la victime elle-même plaide pour un pardon. De l'autre côté, le flou artistique d'une bonne partie de l'intelligentsia européenne, du moins les Français (et quelques Italiens) que je suis allé lire sur le Net.

Différente conception de la justice? Du statut de l'artiste? Du pardon? De la notion d'asile? Rien de tout cela.

Quoi alors?

Le cul, madame. Le cul ici et le cul là-bas. Pas pareil du tout. Le cul dans la culture, dans l'éducation, dans la morale, dans l'art, dans le quotidien, sur les murs du métro, le cul collectif, le cul dans la tête des gens. Le cul, malade ici comme là-bas, mais différemment.

 

Pensez à Berlusconi. Ses partouzes. Ici, il serait fini. Là-bas, il s'en trouve beaucoup pour le trouver admirable d'éjaculer à son âge. S'il se sort de cet autre scandale, il pourrait très bien être réélu. Quel homme.

Pensez au viol. Sanctionné (reconnu?) par les tribunaux de là-bas bien après ceux d'ici. Pensez à la pédophilie, longtemps banalisée là-bas, sinon par la littérature elle-même, par les moeurs de quelques-unes de ses grandes figures, de Gide à Nabokov...

Les enfants mieux protégés ici, alors?

Je ne jurerais pas de cela. Plus de lois ici. Plus de protections, je pense à l'indispensable DPJ. Mais plus d'hystérie aussi, ici. Dites «pédophile» et voyez comme la justice ne suffit plus, tout à coup. Voyez comme mon oncle Alfred devient subitement mon beauf Alfred, et sa fiancée une furie; voyez-les chercher une paire de tenailles pour cisailler les couilles de ces enculeurs. Allez lire les 12 456 courriels d'insultes qu'a reçus Cassivi pour n'avoir pas écrit, comme tout le monde, qu'il fallait livrer Polanski à la justice. (Comme tout le monde sauf, encore une fois, Odile Tremblay du Devoir. Chère Odile.)

Ainsi, monsieur le chroniqueur, vous pensez qu'on devrait foutre la paix à Polanski?

Oui, mais je n'en fais pas une montagne, même pas une chronique, ce n'est pas mon sujet. Son arrestation ne m'interpelle que par les réactions qu'elle a provoquées. L'unanimité ici. Le flou artistique là-bas.

Unanimité que je ne qualifierai pas de pathologique, mais comment dire? Qui en annonce peut-être une, pathologie. Je note, par exemple, que tous les papiers rappellent que la gamine a été sodomisée. Je comprends qu'on veuille souligner la gravité du crime, la persistance du rappel me trouble quand même un peu.

Et puisque vous allez me hurler dessus de toute façon, je vais oser conclure avec une dernière image qui vous fera hurler un peu plus, et c'est bien le but de l'exercice, pas de vous faire hurler mais d'aller touiller dans le glauque, disait Louis-Ferdinand.

Qu'on enferme un pédophile dans une prison régulière et la population régulière de cette prison le tuera. Notons que les plus empressés à lui faire la peau seront sûrement les motards qui gèrent les salons de massage et les clubs de danseuses où des gamines tout juste majeures font des pipes à des vendeurs d'assurance vie entre deux lignes de coke, je ferme la parenthèse.

La justice, moins carnassière que la société, a justement prévu des prisons spéciales où les pédophiles ne deviendront pas des victimes expiatoires.

On comprend les criminels d'avoir besoin de victimes expiatoires. D'avoir besoin de tuer le monstre (en eux).

Mais la société? Mais mon oncle Alfred?

Allez voir expiatoire dans votre dictionnaire, le hasard fera peut-être qu'il vous renverra à la même citation de Lautréamont que le mien:

Par ce moyen expiatoire tu effaçais les taches du passé

Quel passé, mon oncle Alfred?

LA LANGUE PLOUC Il y a une quinzaine d'années, je faisais visiter mon coin à un ami quand il est tombé en arrêt devant une de ces invitations à la prudence affichées à l'entrée de certains villages, celle-ci disait (et dit encore): Attention à nos enfants c'est peut-être les vôtres. Mon ami s'en était amusé: Absolument pas. Mes enfants ne peuvent pas être les vôtres.

Ils pourraient être les vôtres. L'hypothèse induit le conditionnel. Au présent, la mise en garde prend une tournure à la fois lourdaude et loufoque. À l'époque, j'avais rédigé quelques lignes là-dessus. J'étais revenu sur le sujet deux ans plus tard. Dix ans ont passé. J'y reviens une dernière fois: OK, oublions le barbarisme. Allons au sens: Comme ça, je devrais faire attention à vos enfants parce qu'il se pourrait qu'ils soient les miens? Il ne suffit donc pas que ce soit les vôtres?

Combien on parie que le plouc qui a écrit cela fait des farces sur le franglais des Français?

LA VIE SAUVE J'étais à vélo. Je sortais du village de Stanbridge East. J'ai fait mon stop bien comme il faut avant de traverser la route des Vins (la 202). Regarde à gauche, c'est beau. À droite, des camions de la voirie stationnés sur le bas-côté me cachent la vue en partie. Je viens de m'engager quand, du coin de l'oeil, j'enregistre le gyrophare d'une voiture de police de la SQ qui surgit de derrière les camions. Sont sur un call. Doivent rouler à 200 km/h. Sont déjà sur moi. Je fige au milieu de la route. Je ferme les yeux dans l'attente du choc...

Un quart de seconde plus tard, je suis toujours vivant. La voiture est passée. Je ne comprends toujours pas comment, peut-être est-elle passée par-dessus? Je la vois qui redresse un peu plus loin tandis que je crie à pleins poumons: hostie de con!

Mais à bien y penser, je lui dois aussi la vie, à ce flic. Alors voilà, je voulais lui dire: du rouge, du blanc ou du cidre de glace? À quel nom dois-je la laisser au poste?