Cette fois, Usain Bolt n'a pas raté son départ, comme il le rate presque chaque fois. Cette fois, il n'a pas ralenti dans les derniers mètres. Cette fois, il a tout donné.

9.58! Neuf cinquante- huit! Il retranche plus d'un dixième à son propre record du monde. Et bien entendu, devient champion du monde tout juste un an après être devenu champion olympique.

Il avait fait signe juste avant le départ qu'il allait décoller. Une autre pitrerie? Peut-être. Mais il a véritablement décollé. Il est même passé très haut au-dessus du stade, au-dessus de tous les sprinters de l'histoire de l'athlétisme. On l'a regardé s'envoler, la bouche ouverte. On est plusieurs à ne l'avoir pas encore refermée. Usain Bolt a fait exploser les sprints une nouvelle fois. On le savait déjà, c'est encore plus clair: il y a lui et les autres. Une foulée incroyable. Puissance. Fluidité. Décontraction.

Après Pékin, il a fait la foire, paraît même que le party a duré tout l'hiver, ses premiers chronos de l'année (10.00 à Toronto) laissaient pointer une inquiétude. Même hier soir, en demi-finale, il s'est payé un faux départ, il a fait le clown comme jamais (pour gagner sa demi en 9.89 tout de même!), et j'étais de ceux qui croyaient qu'il se désunirait quand il sentirait le souffle de Tyson Gay dans les premiers 20 mètres.

Gay ne s'est jamais approché assez prêt pour lui souffler dans le cou, le chrono de Gay (9.71) est pourtant le troisième meilleur de l'histoire.

Les billets trop chers? L'Olympiastdion était loin d'être plein, les absents n'ont peut-être pas eu si tort. Jusqu'à l'exploit de Bolt, la soirée avait été un peu languissante, les dernières épreuves de l'heptathlon, les qualifs du triple saut, le deuxième tour du 100 femmes, rien pour s'énerver.

En fait, on était tous là pour la même raison: Usain Bolt.

Et on a eu Usain Bolt.

Étrange bibite. Mi-clown, mi-cheval. Il m'avait agacé à Pékin. Hier, peut-être parce que la soirée était un peu plate, j'ai trouvé ses pitreries plutôt drôles. En fait, il est drôle par contraste avec le sérieux des autres. Les sept autres sur la ligne sont hyperconcentrés, dans leurs bulles comme y disent. Lui fait l'andouille. Rien de prétentieux, ni de malicieux. Un ado qui fait le clown pour amuser la classe pendant que le prof a le dos tourné.

S'entraîne-t-il? Bien sûr que oui. Mais il donne l'impression que non. Il donne l'impression du gars qui débarque: je peux courir avec vous les boys? Pourquoi vous faites ces têtes-là? Détendez-vous. Ça va bien plus vite quand on est détendu. Je vais vous montrer.

Ça, c'est pour l'attitude. Du jamais vu dans le monde du sprint. Pour l'athlète: un cheval. Du jamais vu non plus. Je ne suis pas un grand spécialiste, mais si vous m'aviez demandé hier encore quel est le plus grand sprinter de tous les temps, je vous aurais dit Jesse Owens, parce que tout le monde le dit et aussi parce qu'il avait tellement écoeuré les nazis, dans ce même Olympiastadion où j'étais hier soir, que Hitler était parti plutôt que d'avoir à lui serrer la main.

Après Jessse Owens, je vous aurais dit Carl Lewis. Pour la fluidité. J'ai détesté les «bodybuildés» qui sont venus ensuite, les Bailey, les Greene, les Gatlin. Je n'aime pas beaucoup non plus Tyson Gay.

De toute façon, la question ne se pose plus et ne se posera plus pour longtemps. Le plus grand sprinter de tous les temps, c'est Usain Bolt. 100, 200 et s'il s'en donne un jour la peine, 400. Pensez-y, il n'a pas encore 23 ans.

Revenons un instant à cette finale du 100 mètres. C'était trois choses. C'était le grand contre le petit. Gay 173 cm. La première fois que Bolt l'a planté à New York l'an dernier, Gay avait benoîtement observé: je cours aussi vite que lui sauf qu'il a des plus grandes jambes. Effectivement. Bolt: 196 centimètres répartis comme suit: 194 centimètres de jambe, deux centimètre pour tout le reste.

Cette finale était aussi un duel tout allemand: Adidas contre Puma. Les frères ennemis. À prendre au pied de la lettre. Puma est née de la chicane des deux frères qui ont fondé Adidas. Notez l'absence de Nike, qui a complètement raté le bateau.

Enfin, cette finale était la revanche qu'attendait Gay. Mal remis d'une blessure contractrée lors des sélections américaines, Gay s'est fait sortir en demi-finale à Pékin.

Ce ne sera pas pour tout de suite.

En passant

Ce que je fais à Berlin? Je passais. En ces temps malaisés, je n'aurais pas osé demander qu'on m'envoie couvrir des Championnats du monde d'athlétisme, post-olympiques de surcroît, post-olympique, cela veut dire que tout le monde s'en crisse un peu, ceux qui avaient à gagner des médailles l'ont fait l'été dernier à Pékin. À Berlin cette semaine, ce seront un peu des finales consolation, plus la répétition du festival jamaïcain de Pékin.

Je suis à Berlin pour autre chose, mais comme c'était dimanche, je me suis dit: tiens je vais aller à la messe. J'ai toujours tenu l'athlétisme pour une messe. Sauf que l'église est de plus en plus petite, même quand le stade est grand. Je me comprends. L'athlétisme est de plus en plus une chapelle. Et je crains que même Bolt ne réussisse pas à renverser la vapeur.

Vous en connaissez, vous, des jeunes qui font de l'athlétisme? Vous en connaissez des jeunes qui courent? Je veux dire, sans que le prof d'éduc leur botte le cul?

Je passais, donc. Ne pensez pas que je suis à Berlin pour faire l'inventaire de l'athlétisme canadien. Je ne serais pas aller si loin pour ça. Il est vite fait. Deux coureuses de haies Perdita Felicien et Priscilla Lopes, un coureur de 800, Gary Reed, il y avait aussi une heptathlonienne, Jessica Zelinka: elle est enceinte, et un lanceur de poids, Dylan Arsmtrong, surprenant quatrième à Pékin, il a lancé samedi matin sans réussir à se qualifier pour finale en soirée.

Le sprint canadien? Vous plaisantez? À ces Championnats du monde, un seul inscrit canadien au 100 mètres, il n'a pas survécu au premier tour avec un chrono de 10.42. C'est pas des farces: 10.42 aux Championnats du monde! Ça donne une idée de combien sont loin les Bruny Surin et Donovan Bailey du milieu des années 90. Et puisque vous me le demandez, non, je ne sais pas ce qu'il est advenu de Nicolas Macrozonaris. Je crois que lui non plus n'en sait rien.

Le plus drôle, c'est que Gary Reed pourrait très bien gagner le 800 dimanche prochain, Perdita et Priscilla pourraient très bien monter sur le podium du 100 haies, et hop là, trois médailles cacheront le désert.