Deux ou trois fois par année, je vous fais une chronique bestioles avec mes chats, un ou deux coyotes et plusieurs ratons laveurs. Changeons de ménagerie. Je vous propose aujourd'hui un lion, un phoque, un crocodile, des animaux malades de la peste, des rats, une bécasse, un âne et, pour commencer, une éléphante.

L'éléphante

Le Evening News de la chaîne américaine CBS se termine souvent par une histoire «cute» d'animaux. Celle-ci se passe au Tennessee, dans un refuge qui recueille les vieux éléphants de cirque et de zoo. Une des éléphantes s'est liée d'amitié avec la chienne des maîtres du refuge. Les deux bêtes jouaient toujours ensemble, se promenaient ensemble, mangeaient ensemble, dormaient ensemble quand la chienne est soudainement tombée malade, paralysée de l'arrière-train. Les deux amies séparées, l'éléphante était si déprimée qu'on a craint qu'elle se laissât mourir. Il fallut lui amener la chienne en la portant. Le reportage nous a montré les retrouvailles: l'éléphante toute ragaillardie qui fait des minouches avec sa trompe à son amie qui, elle, bat malaisément de la queue.

C'est le reportage qu'on a vu en janvier.

Suite cette semaine. La chienne est guérie. CBS nous montre les deux amies redevenues inséparables. Le refuge a reçu des dizaines de cadeaux, des sous, des offres de bénévolat et... une proposition de Disney, qui veut absolument faire un film.

C'est ici que l'histoire devient vraiment cute: le refuge a refusé la proposition de Disney.

Le lion

Je n'ai jamais cru que le lion était le roi des animaux. Il ne règne pas: il garde. S'il n'était pas lui-même si souvent dans une cage de zoo, il pourrait très bien être le gardien du zoo. Le lion a l'âme ombrageuse d'un gardien.

Un lion se pavanait un jour dans son bout de savane quand des lapins qui se faisaient la course se retrouvèrent dans ses jambes et le firent trébucher.

Pouvez pas faire attention, non?

C'est toi qui es dans notre sentier, se rebiffèrent les lapins.

Le lion s'en étouffa. Quoi! Ces malappris ne savent-ils donc pas qui je suis? Je suis le lion. Ce territoire est sous ma juridiction. Je peux si je veux empêcher les lapins de courir. Ce qu'il fit en faisant installer des chicanes sur le sentier des lapins.

Le phoque et le marketing

On le sait, le phoque n'hésite pas à faire de la peine à ceux qu'il aime en allant faire tourner des ballons sur son nez. Guy Laliberté est-il un phoque? Il s'apprête à faire de la peine à bien des gens en allant faire tourner la planète sur son nez.

Ce qui fait grincer, semble-t-il, c'est le prétexte poético-écologique que M. Laliberté s'est donné pour s'envoyer en l'air. J'ai lu là-dessus un très bon papier dans mon propre journal, sous la signature d'un consultant en marketing qui commence son article en frappant fort d'entrée: Au Québec, nous célébrons la créativité, dit-il.

Ce qui est très juste. Au Pérou, en Hongrie, en Thaïlande, wouache, beurk, la créativité! Ces cons-là préfèrent les clichés.

Nous étions tous très confortables avec l'image de M. Laliberté en riche exubérant, nous aurions tous applaudi à son voyage, assumé comme un caprice de milliardaire, avance le même consultant.

Tous? Hélas, non, monsieur. Le croiriez-vous? Je connais des gens dans ce pays, des gens si peu créatifs qu'ils se contrecrissent, vous ne soupçonnez pas, que M. Laliberté aille passer ses vacances sur la Lune ou au Nouveau-Brunswick.

Le crocodile

Pourquoi je pense à Mme Harel? Elle a pourtant un sourire formidable et, que je sache, les crocodiles ne sourient pas. Même s'ils souriaient, ils ne pourraient jamais avoir ce sourire de lune qui donne à Mme Harel son air de bonté.

Pourquoi crocodile, parlant de Mme Harel? Pour leur commune capacité de flottaison dans les eaux dormantes. Pour leur capacité aussi à se faire oublier. Pour leur patience de grands sauriens. Il y a ce mouton qui bêle et qui bêle à la mairie. Elle ne bronche pas. Elle attend.

Il y a aussi que, comme le crocodile, Mme Harel est un animal préhistorique; et je ne parle pas ici de son âge, je parle des idéologies et des utopies qui l'ont portée jadis. Je sais bien lesquelles puisque ce furent aussi les miennes. Mais tandis que je vis en naufragé de ces utopies-là, tandis que je vais de bouée de sauvetage en bouée de sauvetage, elle, elle flotte. Sereine. Comment faites-vous, madame?

Les rats

L'urubu n'est pas un hurluberlu. Le phénix n'a jamais existé. Le cochon n'est pas du tout cochon, la hyène n'est pas méchante, le corbeau n'annonce pas la mort, la cigogne n'apporte pas de bébés, la chauve-souris n'est pas chauve ni souris, la mante religieuse n'est pas chrétienne et, bien entendu, les rats qui gèrent le Fonds de solidarité de la FTQ ne sont absolument pas solidaires.

La bécasse

Vous savez, bien sûr, que la bécasse est un oiseau (im) migrateur à la chair très estimée. Vous savez aussi qu'elle se nourrit surtout de petites larves. Mais saviez-vous encore qu'elle adore manger du coeur cru de phoque ? Ah, voyez, on ne sait jamais tout.

Les animaux malades 

Un mal qui répand la terreur/Mal que le ciel en sa fureur/Inventa pour punir les crimes de la terre/La peste puisqu'il faut l'appeler par son nom/Faisait aux animaux la guerre.

Cette fable de La Fontaine raconte que, décimés par une pandémie, tous les animaux de la création se sont réunis et ont convenu d'avouer leurs fautes pour défâcher le ciel. Ont convenu aussi que ceux-là qui avaient commis les plus grosses fautes seraient sacrifiés pour apaiser le courroux céleste. Je ne me souviens plus, mais les lions, les loups, les tigres, s'étaient tous trouvé de bonnes excuses: ce n'était vraiment pas leur faute. Ce furent finalement les papillons qui furent sacrifiés. Et cela avait très bien marché, je crois, le ciel avait pardonné.

Sur ce modèle d'expiation ciblée, je dis bien ciblée, ne pourrait-on pas tenter quelque chose du même genre pour éviter la terrible pandémie A(H1H1) qui nous menace? Je ne parle pas de cibler encore les Juifs, ou les gais, ou les Noirs, qui ont déjà largement donné, mais je ne sais pas, moi, on pourrait, cette fois, sacrifier les Luxembourgeois ou les consultants en marketing.

L'âne 

Et vous, monsieur le chroniqueur ? Sous quelle forme apparaîtrez-vous dans ce bestiaire? Moi? Je suis l'âne. Ce n'est pas de la fausse modestie, ni de la vraie, d'ailleurs, Dieu me garde d'être modeste. L'âne n'est pas l'idiot que l'on dit, sans être non plus un esprit supérieur comme le babouin. L'âne veut comprendre, même si cela lui prend du temps. Je suis un âne par cette lenteur à comprendre et par autre chose encore: je brais comme lui.

Avez-vous déjà entendu braire un âne?

C'est absolument tonitruant. L'âne brait plus fort que 10 éléphants qui barrissent ensemble. Tous les gens qui ont entendu un âne braire vous le confirmeront: on jurerait qu'il veut nous dire quelque chose.

Mais quoi?

C'est ça qui n'est pas très clair.