La crise économique, c'est la faute des gens. Parce qu'ils ne consomment pas. Si les gens consommaient, il n'y aurait pas de crise économique. Les gens ne consomment pas parce qu'ils n'ont pas d'argent. Moi non plus je ne consomme pas. Pourtant, moi, j'ai de l'argent. En fait, la crise économique, c'est surtout de ma faute. Je m'excuse.

Tous les jours à la radio ou à la télé, y a un type qui dit ça: la crise économique, c'est parce que les gens ne consomment pas. Je me sens coupable, vous n'imaginez pas. Je me sens comme un traître. Tous les jours, je me dis: faudrait quand même bien que j'aille acheter quelque chose pour aider l'économie.

 

Attendez que j'y pense... Si on ne compte pas les livres, la dernière fois que j'ai acheté quelque chose, je ne niaise pas, c'était il y a deux mois dans une animalerie à Birmingham, en Alabama, une sorte de plumeau pour amuser Zézette, qui n'a même pas joué avec. 1,87$. Pur gaspillage.

Jeudi, ma fiancée avait rendez-vous chez le dentiste à Saint-Jean. Je me suis lancé: j'y vais avec toi, j'ai dit. Pendant que tu seras chez le dentiste, je vais aller faire des courses. Elle n'aurait pas été plus surprise si je lui avais dit que j'allais me faire vasectomiser.

Des courses! Où ça? J'ai répondu ce qui m'est venu: Chez Sears!

Chez Sears! De quoi as-tu besoin?

De rien.

Hélas, la triste vérité. J'ai eu beau me creuser la tête durant le trajet auto, il ne me venait que des pensées négatives: pas besoin de toaster, pas besoin de parapluie, pas besoin de marteau, pas besoin de piscine hors terre (je ne sais pas nager), pas besoin de chemise, j'en ai déjà trois si c'est pas quatre. Pas besoin de meubles, un ami qui s'en va en Afrique vient de me donner son sofa, fait que je vais pouvoir jeter celui que m'avait donné ma belle-soeur voilà quelques années, même s'il est encore bon (vous le voulez?).

J'ai laissé ma fiancée chez le dentiste: T'as besoin de rien, toi?

Comme quoi?

Je ne sais pas, des trucs pour la maison, des ampoules électriques, des bols en Tupperware, j'adore acheter des bols en Tupperware, je me sens utile. Une teutonnière? T'as pas besoin d'une teutonnière? Bleue? Allez, pour encourager l'économie...

Chez Sears, je me suis tout de suite retrouvé dans la section des télévisions. La dame m'a accueilli avec une grande nouvelle: c'est déjà nos soldes des séries.

Les séries? Elle m'a expliqué: le meilleur moment pour acheter une télé, c'est juste avant le début des séries de la Coupe Stanley. Cette année, à cause de la crise, les soldes commencent plus tôt.

Et si le Canadien ne fait pas les séries?

Elle m'a laissé tomber pour se précipiter vers un couple qui, en moins de 15 minutes, est reparti avec une des télés en démonstration à612$ au lieu de780$. En fait, non, disait la vendeuse, 780$, c'est le solde des séries. Le vrai prix, c'est 1020$.

Six cent douze au lieu de 1020? s'est récriée, ravie, la dame du couple. Tu te rends compte? elle a dit à son compagnon. On aurait juré qu'ils n'achetaient pas une télé pour vrai mais qu'ils jouaient dans une pub de Sears. Ou une pub de la chambre de commerce de la Montérégie: et voilà, mesdames et messieurs, comment nous allons sortir de la crise. On les applaudit.

J'étais subjugué. J'allais essayer de me rendre utile avec le même allant que ces deux-là. Allez, c'est décidé, cette fois, je me lance. J'achète quelque chose. Quoi? Je n'en savais encore rien. J'irais à l'inspiration. Je peux vous aider, monsieur? Je traversais la mercerie. Je peux vous aider?

Oui, je voudrais un chapeau. L'inspiration. Un chapeau! Quelle bonne idée. Mais la vendeuse a tout de suite tout gâché: Quel genre de chapeau? Un chapeau chapeau ou une casquette? Un béret peut-être? J'étais tout débandé. Grinçant, j'ai dit: Vous ne faites pas les turbans?

Elle ne faisait pas.

En repassant par le boulevard du Séminaire pour aller chercher ma fiancée chez le dentiste, je me suis arrêté au Canadian Tire pour acheter des bottes de caoutchouc, les miennes sont percées. Y en avait pas de ma pointure.

Y a des journées comme ça où tu ne peux pas aider l'économie même si c'est ton voeu le plus cher.

THÉORIE DU PROGRÈS - J'en parle légèrement, n'empêche que pas de consommation, pas de progrès. Ah si.

L'autre jour, il y avait un prof d'économie à la radio qui expliquait ça - sur ce ton, vous savez, ce ton fatigué d'avance d'avoir à expliquer une autre fois le b. a.-ba de l'économie à une bande de nuls comme vous et moi. Je vous résume ce que disait le type: la consommation est le moteur principal du progrès. C'est parce que vous achetez des télés comme des fous qu'on a pu mettre au point la haute définition. C'est parce vous êtes tout le temps en train d'acheter n'importe quoi de complètement inutile et ridicule que d'immenses progrès peuvent être faits en science, en médecine, en communication.

Vous comprenez bien le sens de cette théorie?

Plus vous dépensez , plus vous achetez n'importe quoi n'importe comment, plus vous vous précipitez pour acheter le dernier iPod, le dernier portable, plus vous avez besoin, pour exulter et peut-être pour exister, de consommer, bref, plus vous êtes un peu con, plus vous contribuez au progrès.

Le monde est drôlement bien fait, quand même.

Et à l'inverse, quand, sans être frugal, vous n'êtes pas obsédé par l'«avoir», quand, dans la vie, vous tirez votre satisfaction non pas de l'acquisition mais de la conservation, quand vous êtes assez allumé pour échapper à la pub et à l'obsolescence programmée de la technologie, quand votre petite voisine que vous connaissez depuis qu'elle est haute comme ça vient vous présenter son nouveau chum en première année aux HEC et que ce petit crisse, déjà plus à droite que Mario Dumont et Facal ensemble, vous balance au bout de deux minutes de conversation que la consommation est «le fondement de notre psychologie comportementale» et que vous lui répondez va donc, hé, fondement toi-même, alors c'est que vous êtes contre le progrès.

Je suis, bien entendu, contre le progrès.