Samedi après-midi, à la radio, Gérald Larose chicanait gentiment Bernard Landry d'avoir continué sa collaboration au Journal de Montréal après le lock-out. Je ne sais pas si M. Landry avait déjà annoncé à ce moment-là sa volte-face, mais les deux péroraient en s'envoyant des finesses, je trouvais Larose insupportablement indulgent, et Landry mielleux et même un peu gluant, tortillant du cul pour chier droit comme souvent les gens qui ne sont pas bien dans leur baskets.

Je m'étais promis de ne pas écrire là-dessus, mais là c'est trop.

Il fut un temps où ne pas traverser un piquet de grève ne disait pas si vous étiez de droite ou de gauche. Cela relevait de l'étiquette sociale, du savoir-vivre. On ne traversait pas un piquet de grève, point. Sans doute étaient encore présentes dans l'air de ce temps-là les très dures luttes ouvrières qui avaient permis d'édifier une société plus humaine - la réglementation sur le travail des enfants, les vacances payées, la semaine de 40 heures, la sécurité au travail, un minimum d'assurances sociales. On ne traversait pas un piquet de grève, c'était culturel, une culture qui impliquait du respect à ceux qui s'étaient battus, et comme un remerciement pour leurs acquis.

J'entends aujourd'hui des gens jouer sur les mots. En ce temps-là, la ligne était claire: on ne traversait pas un piquet de grève, même le facteur ne le traversait pas, même le livreur de pizza. Il y avait bien sûr des briseurs de grève, des scabs qui formaient avec les délateurs et les shylocks comme une sous-classe d'humains.

Je parle d'une autre époque. Au temps d'aujourd'hui, la question du droit prime la morale sociale ou ce qu'il en reste. On s'en désolera une autre fois. Prenons acte. C'est comme ça. La question n'est plus est-ce bien ou mal, mais: est-ce que j'ai le droit? Ben oui, Chose, ben oui t'as le droit.

Tout le monde a le droit de traverser un piquet de grève, sauf M. Landry.

Comme premier ministre, M. Landry s'est mille fois vanté de défendre les valeurs de la social-démocratie. S'il y avait un collaborateur du Journal, un seul qui n'avait pas le choix, c'était bien lui. Question de cohérence, de fidélité à lui-même. Je n'énonce ici rien de très nouveau. Mes collègues Marc Cassivi et Yves Boisvert l'ont déjà dit et à peu près dans les mêmes mots.

Si j'en rajoute une couche aujourd'hui, c'est juste pour dire que les raisons que M. Landry donne de sa volte-face le mettent plus minable encore que les raisons qu'il donnait de collaborer. Quand M. Landry a réalisé qu'il s'était trompé de côté - notez que je ne dis pas qu'il s'était trompé de camp - quand il a réalisé que oups, il n'était pas au bon endroit au bon moment pour garder l'estime de ses amis de gauche comme M. Larose, il a pris la première sortie qui s'offrait. S'avisant soudain que la mise en pages du journal était faite à Toronto, enlevant ainsi du travail aux gens d'ici dans un secteur sensible, il a mis fin à sa collaboration parce que, je le cite: «Moi qui ai passé l'essentiel de ma vie à contribuer à la création d'emplois, cela va à l'encontre de mes idéaux.»

Ce sont justement ces idéaux qui me gratouillent.

M. Landry est de ces vieux lettrés de province dont la culture se paie surtout de mots.

Ici par exemple au lieu de «à l'encontre de mes idéaux», il aurait dû avoir la sobriété de dire: à l'encontre de mes intérêts.

ENCORE LES NÈGRES - L'école Royal-George était (il y a de cela quelques années) la seule école francophone de la commission scolaire anglophone du South Shore. Cette année-là, les cinquièmes secondaires ont décidé de monter Dix petits nègres, d'Agatha Christie, comme spectacle de fin d'année, ce que refusa aussitôt le South Shore School Board. Pas question d'annoncer un spectacle ayant pour titre Dix petits nègres.

Les professeurs et les parents eurent beau en appeler, comme je le faisais dans une récente chronique, à Senghor, à Césaire et à mille textes sur la négritude, niet.

Finalement, la pièce fut jouée en français, mais sous son titre original anglais, je vous le donne en mille: Ten Little Indians. (Merci à Philippe Said)

ENCORE LA MORT - Dans une récente chronique, je vous rapportais avoir relu avec un plaisir fou, pendant les Fêtes, la trilogie des Rabbit de John Updike. Ramassant un des tomes qui traînaient sur le piano, un ami en visite: ah tiens Updike! Cout'donc y'es-tu mort?

Ça fait un boutte, avais-je décrété. (Or il était encore vivant puisqu'il est mort la semaine dernière seulement.)

Samedi, dans le New York Times, un poème de Updike, cet extrait: Quand je vais mourir, personne ne va dire: quel malheur, si jeune, si plein de promesses. Je le sais vous allez tous dire: I thought he died a while ago! (Merci à Nicolas Bérubé).

ENCORE LES VIEUX - Je lisais votre chronique celle où vous dites que vous n'êtes pas le vieux qu'on voudrait que vous soyez, je vis la même situation sauf que j'ai 16 ans, je n'arrive pas à être l'adolescente qui parle de mode, de musique populaire, de chaussures, de garçons. J'écoute du jazz et je fais du crochet. Je vous remercie de casser les moules. (Katherine Laprade)

Du crochet, mademoiselle? Quand j'étais petit, il y avait dans ma rue une dentellière qui travaillait au crochet, elle s'appelait madame Romanance, elle avait un amant, M. Pucheux, c'est le docteur qui m'a opéré des amygdales. Le mari de la dentellière travaillait avec mon papa dans la construction. Il était toujours soûl, ça lui apprendra.

ENCORE UN MIRACLE - Dimanche dernier, en l'église de Saint-Blaise (pas loin de Saint-Jean), une messe spéciale a été célébrée en l'honneur de saint Blaise, patron des gorges (oui, oui, patron des cous et des amygdales). C'est comme ça tous les ans, le premier dimanche de février, le curé prononce la formule magique: Par l'intercession de saint Blaise, évêque et martyr, puisse Dieu vous délivrer de vos maux de gorge, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Pis t'embrasse la relique, un os de saint Blaise incrusté dans une pierre ronde et t'as pas mal à la gorge de tout l'hiver.

Pour les genoux, c'est à saint Calixe le deuxième dimanche d'octobre. Pour le cul, je sais pas. (Merci à Denise Vallée).