Il était 18h, hier, et François Dumontier rayonnait, dans son petit bureau à deux pas du circuit. Le Grand Prix du Canada avait - enfin! - été présenté dans la sérénité. Je ne me souviens pas de l'avoir vu aussi détendu à l'issue de son plus gros week-end de l'année.

Songez un peu : pas de menaces de Bernie Ecclestone sur l'avenir de la course, pas de délai additionnel pour la reconstruction des paddocks, pas de course de Formule E plus tard dans l'été pour créer un autre psychodrame de sport automobile au Québec, pas de tensions à propos de son propre contrat de promoteur avec la Ville de Montréal...

«C'est plus facile de travailler, j'ai moins de poids sur les épaules, dit Dumontier. Et je peux me concentrer sur les bonnes affaires. L'année 2017 a été marquée par des changements importants. L'arrivée de Liberty Media comme propriétaire de la Formule 1 a conclu un règne de plus de 40 ans de Bernie...»

Signe de ce renouveau, les dirigeants de Liberty ont convié les promoteurs des 21 courses au calendrier à une séance de travail, à Londres, en janvier dernier. Ça ne s'était pas vu à l'époque d'Ecclestone. En fait, ceux-ci avaient très peu de liens entre eux.

«On a soupé ensemble et, le lendemain, on a participé à différents ateliers, explique-t-il. Bernie travaillait seul, ça n'existait pas, des départements de marketing, de communications et de recherche et développement. Liberty les a créés. Et ils nous ont fait part de leur vision pour les cinq prochaines années.

«On a aussi travaillé en petits groupes et je me suis retrouvé avec mes collègues français et russes. Ç'a vraiment été intéressant. Et ce qui se dégage de la relation avec Liberty, et je ferai un jeu de mots, c'est la liberté. La liberté qu'on a pour agir et la confiance qu'ils nous portent. Ils sont très ouverts à nos idées.»

Un des moments forts de la journée d'hier a été le tour de piste de Jacques Villeneuve au volant de la Ferrari pilotée par son père Gilles lors de sa victoire dans l'île Notre-Dame en 1978. Avant de présenter l'idée aux dirigeants de Liberty, Dumontier a préparé ses arguments : il leur expliquerait combien ce serait un moment fort pour les fans à l'occasion de ce 40e anniversaire. Leur réponse est tombée d'un trait : «Go!»

Sous le régime précédent, Dumontier en est convaincu, le projet n'aurait pas été aussi facile à concrétiser. Tout comme celui de la Grande Marche de vendredi soir sur le circuit, où des fonds ont été recueillis pour lutter contre les maladies cardiovasculaires. Liberty a fait la promotion de cette initiative sur ses propres plateformes. Résultat, Dumontier a parfois l'impression de les étonner en demandant leur accord pour des projets semblables. «Mais j'ai encore ce réflexe...»

Toute l'ambiance dans le paddock, estime Dumontier, est plus décontractée depuis le départ d'Ecclestone.

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Valérie Plante a assisté à la course d'hier. La présence de la mairesse a réjoui Dumontier. Ses liens avec l'ancien maire Denis Coderre ont été très difficiles. «La relation avec la nouvelle administration se porte mieux que celle avec la précédente», dit-il simplement.

Dans ce contexte où les nuages au-dessus de sa tête se dissipent enfin, François Dumontier était heureux de constater que ses ventes ont augmenté de 28% par rapport à 2017.

Comment expliquer cette réussite? Dumontier a modernisé sa structure administrative, ce qui a eu un impact positif, tout comme l'appui marketing de Liberty Media. Mais la présence de Lance Stroll est un facteur déterminant. Une tribune d'environ 10 000 places a été nommée en son nom. Hélas, compte tenu de son accident peu après le départ, le coureur québécois n'a pas été en mesure de l'atteindre ! Les gens ont pu l'applaudir lors des tours de préparation, mais pas en course.

L'abandon presque immédiat de Stroll n'a pas favorisé le spectacle, plutôt soporifique, avouons-le. Après tout, ce qui donne son cachet à une compétition sportive, c'est la surprise, le coup d'éclat, l'exploit inattendu... Voilà pourquoi les séries éliminatoires de la LNH ont été si captivantes. Au début de la première ronde, qui aurait envisagé une finale entre les Golden Knights de Vegas et les Capitals de Washington? Et en janvier dernier, qui croyait les Eagles de Philadelphie capables de remporter le Super Bowl avec leur quart-arrière substitut aux commandes?

Tous les matchs ou les grands tournois ne peuvent prendre fin sur une surprise, c'est l'évidence même. En revanche, lorsqu'un sport en propose trop rarement, une impression d'ennui s'en dégage. C'est le cas actuel de la Formule 1, et ce Grand Prix du Canada en a fourni une nouvelle preuve. Comment une série où la vitesse, le risque et le danger sont au rendez-vous peut-elle devenir si prévisible?

Encore une fois, une voiture du «gros trio» Ferrari-Mercedes-Red Bull a remporté la course. Personne ne s'en étonnera, c'est la même chose depuis trop longtemps. La Formule 1 est devenue une ligue à deux vitesses, où des écuries dominantes se battent pour la première place tandis que les autres espèrent un miracle. Le mieux qu'une équipe de «deuxième division» puisse espérer est une place au bas du podium, comme Lance Stroll l'a réussi en Azerbaïdjan la saison dernière.

Si, au moins, les six meilleures voitures nous offraient à chaque course un spectacle enlevant, avec des dépassements et des retournements de situation, la situation serait plus acceptable. Cela arrive, mais pas assez souvent. Hier, par exemple, nous avons assisté à une procession.

Après la course, le gagnant Sebastian Vettel a répondu avec aplomb à une question à ce propos. «La Coupe du monde de football commencera bientôt et certains matchs ne seront pas excitants, je vous le garantis», a lancé le pilote de Ferrari. C'est vrai. Mais cela ne règle pas l'immense problème de la Formule 1.

Les règles actuelles sont valides jusqu'à la fin de 2020. Liberty Media souhaite des changements pour rendre la Formule 1 plus concurrentielle, mais trouver un accord sera difficile. Les intérêts des écuries les plus riches sont différents de ceux de leurs rivales plus modestes. Et compte tenu du rôle clé de Ferrari dans la popularité de la Formule 1, toute entente nécessitera l'accord de la Scuderia.

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Dumontier a déjà hâte au Grand Prix de l'an prochain. Les nouveaux paddocks seront terminés et donneront un élan supplémentaire à l'épreuve montréalaise. Et, avec un peu de chance, Lance Stroll aura plus de succès qu'hier.

D'ici là, Dumontier travaillera à renforcer encore la place du Grand Prix dans les grands rendez-vous montréalais. Plus serein, il estime avoir enfin «les coudées franches», ce qui n'a pas toujours été le cas. «J'ai moins l'impression de me faire mettre des bâtons dans les roues... à tous les niveaux.»