Qui sera la plus grande vedette sportive au Québec dans sept ans? Lance Stroll, parce qu'il aura remporté le championnat des pilotes de Formule 1? Françoise Abanda, parce qu'elle aura accompli un exploit à Wimbledon ou à Flushing Meadows? Jonathan Drouin, parce qu'il aura conduit le Canadien à la conquête de la Coupe Stanley? Bien malin qui peut le prédire. Mais le nom de Félix Auger-Aliassime doit maintenant faire partie de cette conversation.

Bien sûr, la carrière de ce prodige du tennis prend tout juste son envol. À Indian Wells la semaine dernière, il est devenu le premier joueur né au XXIe siècle à remporter un match du Masters 1000, le plus haut niveau de l'ATP après les quatre tournois majeurs. Il a vaincu Vasek Pospisil en deux manches convaincantes. Voir Félix embêter ainsi son compatriote d'expérience était impressionnant. Devant des gradins bondés, il n'a jamais été intimidé, dictant le rythme de l'affrontement.

Deux jours plus tard, dans un autre duel entre Canadiens, Félix a baissé pavillon en deux manches de 6-4 devant Milos Raonic. Mais il a tenu son bout avec éclat contre un gars qui, après la saison 2016, occupait le troisième rang mondial. Avec son service de feu, Raonic aurait pu pulvériser son jeune rival. Ce ne fut pas le cas.

Félix est doté d'un talent exceptionnel. Mais l'histoire du sport nous rappelle que les habiletés ne sont qu'une partie de l'équation.

Des jeunes dotés d'un formidable potentiel, il s'en trouve des dizaines. C'est encore plus vrai dans le tennis, une discipline pratiquée aux quatre coins du monde.

Pour se hisser au sommet, il faut un coeur de battant. Mais y demeurer est une entreprise encore plus difficile. C'est là qu'un caractère trempé dans l'acier devient nécessaire. Garder sa concentration quand son nom devient connu sur la scène internationale est un exercice délicat.

Mais le parcours de Félix au cours des derniers mois, comme les propos qu'il a tenus hier lors d'une conférence téléphonique organisée par Tennis Canada, mène à cette constatation importante : ses pieds sont solidement ancrés au sol.

L'adolescent de 17 ans parle d'une voix douce, mais pleine de confiance. Il manifeste de l'optimisme pour la suite des choses, mais demeure réaliste face au travail à accomplir. Il réalise que sa vie n'a déjà plus rien d'ordinaire, mais se concentre sur le moment présent. Tout juste se permet-il d'avouer, presque du bout des lèvres, qu'il vit « plein de belles émotions » ces jours-ci.

À moins d'un changement radical, ce gars-là ne sera pas déraciné par le tourbillon du vedettariat.

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En décembre dernier, Félix a été invité au camp préparatoire de Roger Federer, à Dubaï. Entre les heures passées à frapper la balle, ils ont discuté de la vie d'un joueur de tennis professionnel.

« On a parlé de notre début de carrière, il m'a conseillé, mais de façon amicale, a dit Félix. Ce n'est pas comme s'il voulait me coacher ou s'il voulait absolument que je suive ses conseils. On a chacun parlé de nos expériences et il en avait évidemment pas mal à raconter ! C'était enrichissant d'entendre, dans ses propres mots, comment il avait grandi sur le circuit. »

Le grand champion lui a expliqué l'importance de tracer sa propre route. « Ce que j'ai retenu, c'est que même si tout le monde rêve d'être au niveau de Federer, chacun fait un peu son histoire à sa façon. »

Comment mesurer l'impact de ces entretiens privilégiés dans le développement de Félix ? Peu importe le secteur d'activité, qu'il s'agisse de la science, des arts, des affaires ou du sport, discuter avec les meilleurs de la profession est un avantage inestimable pour des jeunes en pleine progression.

Parions que dans 10 ans, lorsqu'il traversera les inévitables moments difficiles d'une longue carrière, Félix se rappellera une parole ou deux de Federer. Et que ce souvenir l'aidera à trouver des solutions. La transmission de la connaissance ne donne pas toujours des résultats instantanés. Mais pour qui sait écouter, il en reste toujours quelque chose d'utile au fond de la tête.

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Les entraîneurs de Félix feront preuve de souplesse pour gérer la suite de sa saison. On l'a vu cette semaine avec cette décision de l'inscrire aux qualifications du tournoi de Miami, un autre Masters 1000, plutôt que de rentrer au Québec. Sa performance à Indian Wells a été assez encourageante pour qu'on tente cet autre grand coup. Et Félix l'attribue en partie à sa participation aux qualifs.

« Ça m'a permis d'arriver dans le tableau principal avec confiance, sachant que j'avais battu deux bons joueurs faisant partie des 130 meilleurs au monde, a-t-il dit. Ça m'a fait croire que je pouvais battre Vasek au premier tour. »

Dans sa montée en grade, Félix profite aussi de l'exemple de Denis Shapovalov, qui célébrera ses 19 ans le mois prochain. « On est des amis depuis les juniors », a-t-il rappelé.

« C'est plutôt motivant de voir un proche réussir aussi bien sur le circuit. [Denis] ouvre un peu la voie. Ça prouve que c'est accessible, ça me permet de me dire : "Pourquoi pas moi cette année ou l'année prochaine ?" »

À Indian Wells, Shapovalov a été éliminé au deuxième tour dans un match qu'il aurait pu remporter en gérant mieux la fin de certains échanges. On l'a d'ailleurs vu un peu impatient sur le court, signe que ses attentes envers lui-même sont déjà très grandes. Ses succès en deuxième moitié de saison l'an dernier font en sorte que ses rivaux se méfient de lui. Il ne peut déjà plus compter sur l'effet de surprise. Tout le monde sait qu'il est redoutable.

Félix compte bien atteindre le niveau de son ami Shapo avant longtemps. Mais en bâtissant à sa manière, comme le lui a rappelé Federer. Au début de 2025, il aura 24 ans, et j'ai déjà hâte de voir où en sera sa carrière. Ne nous étonnons pas s'il nous en met alors plein la vue. Sa carrière se construit sur du solide.