Comment ne pas être ému par cette histoire invraisemblable ? Une bande de joueurs dont la seule manière d'entrer au Temple de la renommée du hockey sera de faire comme nous tous, c'est-à-dire d'acheter un billet à la porte d'entrée, représentera le Canada aux Jeux olympiques de PyeongChang. C'était beau d'entendre leur joie, jeudi, lorsque leur place au sein du club a été confirmée.

Ce groupe hétéroclite, comptant plusieurs membres inconnus du public (Chay Genoway ? Marc-André Gragnani ? Cody Goloubef ?), défendra l'unifolié dans le plus canadien de tous les sports. Rude mission, on en conviendra. Mais si les joueurs se battent avec la détermination promise par leurs dirigeants, ils deviendront une des équipes chouchoutes du pays le mois prochain.

Leur présence apportera de la fraîcheur au tournoi olympique. Chacun d'eux aura une histoire unique à raconter. Les journalistes seront suspendus aux lèvres de ceux qui amorceront une entrevue en disant : « Le jour où j'ai décidé d'aller jouer en Russie... » Ce sera plus exotique qu'entendre un espoir du Canadien nous raconter ses allers-retours entre Laval et Montréal.

Tout cela est magnifique. La tournure des évènements fournit à ces passionnés de hockey l'occasion de briller sur la plus grande scène sportive du monde. Ils ont raison d'être fiers.

Mais une fois qu'on a dit cela, une fois qu'on leur a souhaité bonne chance, il faut regarder la réalité en face : leur participation est une regrettable anomalie. Les Jeux olympiques sont le rendez-vous des meilleurs athlètes du monde, pas de remplaçants, aussi bien intentionnés soient-ils.

Que dirions-nous si l'élite des skieurs faisait l'impasse sur PyeongChang ? Si seuls les patineurs artistiques n'ayant jamais brillé sur la scène internationale se disputaient les médailles ? Si le tournoi de curling était réservé aux équipes n'ayant pas dominé les matchs dans leur propre pays ? Si les champions néerlandais de patinage de vitesse étaient remplacés par des compatriotes n'ayant jamais atteint le même niveau ? Tout cela n'aurait aucun sens, bien sûr. Le même raisonnement s'applique au hockey.

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Qui est le premier responsable de cette absence des joueurs de la LNH à PyeongChang ? Le Comité international olympique (CIO) et la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG) auraient certes pu mieux gérer le dossier. Mais la faute incombe d'abord à Gary Bettman, davantage préoccupé par les intérêts commerciaux à court terme de son circuit.

Dès les Jeux de 2014 à Sotchi, il était évident que Bettman était opposé à la participation des joueurs de la LNH aux Jeux olympiques. Mais puisque ce rendez-vous était présenté en Russie, un pays fou de hockey qui fournit de nombreux joueurs de haut calibre au circuit, le commissaire s'est rendu à l'évidence : un refus aurait provoqué une crise et n'était pas envisageable.

Rien de tout cela en 2018. La LNH ne rêve pas d'une percée en Corée du Sud et le hockey n'a aucune racine dans ce pays. Bien sûr, les vedettes de la LNH (Carey Price, Sidney Crosby, Alex Ovechkin et combien d'autres) souhaitaient participer à ces Jeux. Mais Bettman n'a rien à cirer de leur opinion. La LNH aime les joueurs qui rentrent dans le rang, sans remettre en question l'autorité. Combien ont eu l'audace de livrer avec force le fond de leur pensée, à l'image de Marc-Édouard Vlasic ?

Dans les relations avec leurs patrons, les joueurs de la LNH ont encore des leçons à apprendre de ceux du baseball majeur. Le dossier olympique a permis à Bettman de leur rappeler cette vérité incontournable : si leurs droits ne sont pas consignés dans la convention collective, leur influence est nulle.

Avec les Jeux de PyeongChang, Bettman avait la chance de privilégier le sport plutôt que les affaires, de poursuivre cette merveilleuse fête du hockey olympique. C'était trop lui demander.

Il préfère l'insipide concept de Coupe du monde, dont la première mouture a eu lieu en septembre 2016 à Toronto. Il sait pourtant qu'on ne peut comparer le prestige des deux compétitions. Mais ce constat vient loin derrière sa véritable préoccupation : le contrôle des revenus.

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Peu après son arrivée aux commandes de la LNH, Bettman a autorisé la participation des joueurs de la LNH aux Jeux olympiques de Nagano, en 1998. « Nous sommes ravis, et plus important encore, nous sommes excités », avait-il dit, le jour de l'annonce officielle.

À cette époque, l'objectif de Bettman était d'augmenter le rayonnement international du hockey. Et il avait compris que les Jeux étaient une vitrine exceptionnelle. Le décalage horaire, qui empêchait la diffusion des matchs à heure de grande écoute en Amérique du Nord, ne le préoccupait pas.

Vingt ans plus tard, la LNH a extirpé tout le jus qu'elle juge possible des Jeux. Le sport est populaire comme jamais et le nombre de pays produisant des joueurs de premier plan est en ascension. Les tournois olympiques de 1998 à 2014 ont contribué à cette effervescence. Mais Bettman n'est pas du genre à renvoyer l'ascenseur. Il changera évidemment son fusil d'épaule en vue des Jeux de 2022, qui auront lieu à Pékin. La LNH salive déjà en pensant aux occasions d'affaires de l'immense marché chinois.

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Quel a été, et de loin, le meilleur match de hockey à Sotchi en 2014 ? Non, il n'a pas mis aux prises des vedettes de la LNH. Ce fut plutôt la finale du tournoi féminin entre le Canada et les États-Unis.

Rappelez-vous ces deux buts magiques de Marie-Philip Poulin : le premier pour créer l'égalité en fin de troisième période et le second en prolongation pour donner l'or. Cette victoire compte parmi les plus sensationnelles de l'histoire sportive canadienne.

Heureusement, les joueuses les plus douées du monde seront à PyeongChang. Et si la finale oppose de nouveau le Canada aux États-Unis, il s'agira encore d'un immense moment de hockey.

Les meilleures contre les meilleures, c'est ça, les Jeux olympiques. Ce ne sera pas le cas en hockey masculin et c'est bien dommage.