Reconnaissons à Laura Flessel le mérite de parler franc. Ministre des Sports de la France, elle a déclaré cette semaine que les athlètes de son pays ne participeraient pas aux Jeux olympiques de PyeongChang en février prochain si leur sécurité n'était pas assurée.

L'avertissement de Mme Flessel tranche avec les propos lénifiants du Comité international olympique (CIO). Son président, Thomas Bach, dit « surveiller » la crise entre la Corée du Nord et les États-Unis, dont les présidents multiplient les sorties incendiaires, chacun promettant à l'autre la colère et le feu.

Hier, réagissant à la déclaration de Mme Flessel, le CIO a affirmé que personne n'entretenait de doute à propos de la tenue des Jeux d'hiver de 2018. Non, les oeillères ne sont pas populaires seulement en équitation...

Cela dit, il est sans doute normal que la première réaction des membres de l'establishment olympique soit de minimiser la gravité de la situation. Ou de trouver du réconfort là où il n'y en a pas. Ainsi, selon l'agence Reuters, le Comité olympique national italien s'est dit rassuré après s'être entretenu avec Bach cette semaine : ces Jeux seront sûrs !

Comment le président du CIO peut-il en être aussi certain ? Mystère et boule de gomme. Remarquez que lorsqu'on s'apprête à balayer sous le tapis l'immense scandale de dopage des Jeux de Sotchi, en se contentent d'imposer une amende à la Russie, on n'est certes pas d'un naturel très gêné.

Je sais, il est difficile d'imaginer que les Jeux puissent être annulés. Il est tellement plus simple de croire que la crise se résorbera, que Kim Jong-un réalisera qu'il est engagé dans une voie sans issue, que la Chine lui fera entendre raison, que les sanctions économiques feront leur effet, que Donald Trump diminuera les tensions plutôt que de les exacerber...

Puis, juste au moment où on se convainc de tout ça, la réalité nous rattrape. On apprend qu'un autre missile parti de Corée du Nord a survolé le Japon avant de s'écraser dans la mer. Et on entend Trump évoquer la possible « destruction totale » de la Corée du Nord. Et on lit que Kim Jong-un songe à tester une bombe à hydrogène dans l'océan Pacifique. Et on réalise que, loin de s'amenuiser, l'affaire prend des proportions plus dangereuses chaque semaine.

Les Jeux olympiques ne vivent pas en vase clos, à l'abri des dangers du monde. La fameuse « trêve olympique » est un concept sympathique, mais seuls ceux qui croient à la fée des dents y voient un réel outil de paix.

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À moins d'être irresponsables, les gouvernements et les comités olympiques nationaux de tous les pays inscrits aux Jeux d'hiver devront à leur tour se poser la question osée par la France : envoie-t-on les athlètes en Corée du Sud peu importe le contexte politico-militaire ? La réflexion va au-delà de la sécurité. Il s'agit carrément d'un enjeu éthique.

La ministre française des Sports, dans ses remarques qui ont fait le tour du monde, a précisé qu'il était trop tôt pour prendre une décision si lourde de conséquences. Mais le seul fait qu'elle ait publiquement évoqué cette possibilité est significatif.

Pourquoi ? Parce que la France est une grande nation sportive qui, de surcroît, vient tout juste d'obtenir la présentation des Jeux d'été de 2024. Son engagement envers le mouvement olympique est profond. Alors si son gouvernement s'interroge sur la participation de ses athlètes aux Jeux de PyeongChang, d'autres pays le feront à leur tour. L'Allemagne et l'Autriche ont d'ailleurs entrepris l'exercice. Et le CIO ne pourra davantage éviter cette douloureuse remise en question.

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En attribuant les Jeux de 2018 à PyeongChang, le CIO était heureux de récompenser cette ville, deux fois coiffée au fil d'arrivée dans la course à l'obtention des Jeux. D'abord par Vancouver, en 2010, puis par Sotchi, en 2014.

Cette fidélité lui a permis d'enlever le morceau devant Munich et Annecy, dont les dossiers n'étaient pas bien ficelés. Le CIO donnerait sûrement beaucoup aujourd'hui pour que ces Jeux aient lieu dans une de ces deux villes...

Depuis sept ans, PyeongChang prépare les Jeux dans la discrétion. Au point que le CIO a reproché aux organisateurs la faiblesse de leur promotion internationale. La critique ne manque pas de fondement. La décision de la LNH de faire l'impasse sur ce rendez-vous le démontre bien. Le commissaire Gary Bettman n'a vu aucun intérêt commercial - et au diable l'aspect sportif ! - dans cette aventure.

Quant aux ventes de billets à l'étranger, elles étaient faméliques avant même que les nuages noirs ne planent au-dessus de ces Jeux.

Jusqu'au milieu de l'été, les Jeux de PyeongChang ont suscité un très mince intérêt. L'abondante actualité olympique a été alimentée par le tragique héritage des Jeux de Rio, les histoires de corruption, le lourd dossier du dopage russe à Sotchi et le choix de Paris et Los Angeles comme villes organisatrices des Jeux d'été de 2024 et 2028.

Mais voilà que ces Jeux se retrouvent soudainement au coeur de l'actualité pour une raison que personne n'aurait imaginée il y a un an à peine.

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Si les Jeux de PyeongChang commencent comme prévu le 9 février prochain, il est possible qu'ils se déroulent en toute sécurité. Le réalisme politique, et non pas la trêve olympique, incitera - peut-être - la Corée du Nord à la prudence durant cette période. Des athlètes de tous les pays, dont ceux de ses puissants voisins chinois, seront sur place. Mais encore faudra-t-il se fier à la retenue de Kim Jong-un, un pari pour le moins risqué. Tous les pays seront-ils prêts à le prendre ? La France, elle, ne cache plus ses doutes.

Mais pour l'instant, le problème est davantage lié à ce qui se produira d'ici là. Si les menaces se précisent, si les essais nucléaires se poursuivent et si la tension monte encore, qui peut prévoir la suite des choses ?

Dans son bureau de Lausanne, Thomas Bach est sûrement beaucoup plus inquiet qu'il ne le laisse paraître.