En mai 2014, les Rangers n'ont pas seulement battu le Canadien sur la patinoire. Alain Vigneault a aussi remporté la bataille des entraîneurs contre Michel Therrien.

On l'a un peu oublié aujourd'hui : la blessure de Carey Price, atteint à un genou lorsque Chris Kreider a foncé vers le filet du CH dès la première rencontre, n'a pas été la seule controverse de cette série. Les accrochages entre les deux coachs ont été nombreux, ce qui a nourri la tension.

Vigneault a lancé le bal après le deuxième match. Il a affirmé avoir su la veille que Price serait absent, une information alors tenue secrète par le CH. Comment avait-il obtenu ce renseignement? «Le hockey, c'est un p'tit monde...», avait-il répondu, sourire narquois au visage.

Vigneault comptait-il vraiment sur des espions à Montréal? Chose certaine, cette insolence avait déplu à Therrien. Il a tenté de reprendre l'avantage dans les jours suivants, accusant notamment les Rangers d'espionner l'entraînement du CH. Mais il était trop tard. Vigneault, qui possède le don de la réplique, a aussi un talent de comédien. Il joue avec facilité la carte de l'indignation ou de la colère. Il possède aussi le sens de l'humour et l'utilise en public.

Malgré ses évidentes qualités, Therrien ne s'est jamais illustré dans ces duels verbaux entre entraîneurs. Sauf, ironiquement, face à Claude Julien en 2014. Il est demeuré zen toute la série alors que Julien, l'entraîneur des Bruins, était tendu comme une barre de fer dès le matin du premier match. Le contraste entre eux était saisissant.

Cela dit, Julien sera un coriace rival pour Vigneault. Après tout, il a remporté la plus vive confrontation les ayant opposés. En 2011, ses Bruins ont battu les Canucks, dirigés par Vigneault, dans le septième match de la finale de la Coupe Stanley, à Vancouver. Aucun des deux n'oubliera ce moment-clé de leur carrière.

«Tout au long des séries, avant de les rencontrer en finale, on se souhaitait bonne chance en se disant qu'on se verrait à ce moment-là, raconte Julien. Malheureusement, dans un cas pareil, un des entraîneurs est extrêmement content et l'autre, extrêmement déçu.»

La série terminée, Julien a pensé à la manière dont il se serait senti s'il s'était retrouvé à la place de Vigneault. «Alain a connu beaucoup de succès à Vancouver et il était à un match près de gagner la Coupe Stanley. C'est pas facile, ça te tracasse longtemps...»

Au complexe d'entraînement des Rangers, hier matin, Vigneault a confirmé les propos de Julien. «J'ai toujours eu une bonne relation avec Claude, a-t-il dit à mon collègue Guillaume Lefrançois. Pour être honnête, la défaite dans le septième match a fait un petit accrochage dans la relation. C'était dur de s'en remettre, mais c'est terminé.»

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Julien (56 ans) et Vigneault (55 ans) sont originaires de l'Outaouais et se connaissent depuis le hockey mineur.

«On a ensuite été coéquipiers à Salt Lake City, la filiale des Blues de St. Louis dans l'ancienne Ligue centrale. On était de bons amis. Alain Lemieux, le frère de Mario, était avec nous. On était souvent les trois ensemble. Des amitiés comme celles-là, que tu bâtis dans ta carrière de hockey, te restent pour toujours», dit Claude Julien.

Les deux hommes n'ont pas atteint un rêve important de leur carrière sportive : devenir un défenseur régulier dans la LNH. Julien n'a disputé que 14 matchs avec les Nordiques et Vigneault, 42 avec les Blues.

Si le premier s'est résigné à évoluer dans les circuits inférieurs durant plusieurs saisons, le deuxième a vite fait une croix sur sa carrière de joueur, choisissant un retour aux études. «Je ne voulais pas faire la navette entre la LNH et les mineures durant des années», m'avait-il expliqué en 1997, après sa nomination à la barre du Canadien.

Malgré des approches différentes, les choses ont bien tourné pour eux. Ils ont fait leurs classes comme entraîneur et sont devenus des canons du métier. Ils gagnent chacun des millions par saison pour diriger leur équipe.

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Au bout du compte, ce sont les joueurs qui feront la différence entre le Canadien et les Rangers. Mais au-delà de leurs choix tactiques, ne minimisons pas les décisions et les déclarations des entraîneurs sur l'allure d'une série. Ils donnent souvent le ton, surtout quand la première controverse éclate. Leurs propos peuvent dicter la trame narrative de l'affrontement. Et celui qui s'impose sur ce plan en tire un avantage psychologique.

Alors à quoi s'attendre entre ces deux hommes qui se côtoient depuis l'adolescence, qui connaissent leurs forces et leurs faiblesses? À quelques solides passes d'armes, aucun doute là-dessus!

«Tout le monde est compétitif, tout le monde appuiera et défendra son équipe», dit Julien, en parlant de Vigneault et de lui. «On le fait de bonne foi et pour les bonnes raisons. Moi, je ne crois pas à la tactique de dire quelque chose pour déranger l'autre équipe, ce n'est pas mon genre. Mais je vais défendre mon équipe quand ce sera le temps.»

L'affrontement entre le Canadien et les Rangers sera intense. Et même s'ils ne cherchent pas la chicane, Julien et Vigneault se doutent sûrement que des situations corsées surviendront. Et qu'ils n'auront pas la même interprétation des faits.

«Dans le passé, on s'est déjà lancé de petites flèches dans les médias, avoue Julien. Mais ç'a n'avait rien à voir avec le côté personnel, et tout à voir avec le côté professionnel. On est tous deux capables de séparer ces choses-là.»

Julien et Vigneault sont des amis de longue date. Mais à compter de demain, ils seront des rivaux de premier plan. Ce choc entre deux entraîneurs crédibles et expérimentés représente une petite série à l'intérieur de la grande. Elle sera passionnante à observer.

AP

Alain Vigneault