Dans l'histoire du baseball majeur, quelle a été la première équipe à attirer 4 millions de spectateurs en une saison? Les Dodgers de Los Angeles? Les Cards de St. Louis? Pas du tout! Les Blue Jays de Toronto ont réussi l'exploit en 1991.

À cette époque, les Jays étaient une puissance des majeures. Au cours des deux saisons suivantes, ils ont remporté la Série mondiale, attirant de nouveau des assistances colossales. Toronto, disait-on alors, était une véritable ville de baseball.

La suite a été plus difficile. Les partisans des Blue Jays ont attendu 22 ans avant que leurs favoris se qualifient de nouveau pour les séries éliminatoires. Et l'ampleur des foules s'en est ressentie. Moins de 2 millions de fans ont franchi les guichets dans plus de la moitié des saisons entre 2000 et 2014.

«On a connu des années difficiles, dit John Gibbons. La saison dernière, nous avons retrouvé le bon chemin et les amateurs sont revenus en force. Ça explique pas mal ce que tu as besoin de savoir. Propose un bon produit sur le terrain, les gens aiment ça, gagne des matchs et ils viendront t'encourager.»

Le gérant des Blue Jays connaît bien le marché de Toronto. À l'image de Michel Therrien chez le Canadien, il en est à son deuxième tour de piste à la barre de l'équipe. Il l'a dirigée de 2004 à 2008 avant, à la surprise générale, d'être réembauché par le DG Alex Anthopoulos en vue de la saison 2013. Toronto, dit-il, est semblable à presque toutes les villes des majeures. 

«Avec une bonne équipe, les gens seront au rendez-vous. Sinon, c'est plus difficile, parce que ce n'est pas un spectacle économique.»

Cette saison, les Blue Jays ont surfé au sommet de la vague. Non seulement les gradins étaient bondés, mais les cotes d'écoute de leurs matchs au réseau Sportsnet ont atteint la moyenne de 1 million de téléspectateurs, selon le magazine Forbes. On parle ici de 162 rencontres, dont plusieurs disputées dans l'Ouest américain et diffusées tard le soir dans le marché de Toronto.

Ces succès ont fait des Blue Jays «l'équipe du Canada», un atout de marketing qu'ils exploitent à fond. Même les joueurs disent souvent leur fierté d'être appuyés par tout un pays. Leurs deux matchs pré-saison à Montréal depuis 2014 s'inscrivent dans cette stratégie de rayonnement national. Et durant la série de championnat contre les Indians de Cleveland, une portion de l'hymne national a été chantée en français.

Remarquez que le baseball majeur est ouvert au bilinguisme. Dans les coulisses du Rogers Centre, toutes les pancartes directionnelles (les vestiaires par là, la salle d'entrevue de ce côté) sont en anglais... et en espagnol! L'éventuel retour des Expos ajouterait peut-être le français.

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L'exemple de Toronto est intéressant pour Montréal. Le maire Denis Coderre répète souvent que le baseball fait partie de notre ADN et que le souhait de retrouver les Expos n'est pas un truc de nostalgie.

J'ai plutôt tendance à penser comme lui, mais cette opinion ne fait pas l'unanimité. La jeune génération n'a pas expérimenté le baseball comme celles l'ayant précédée et la pratique de ce sport, malgré un rebond au cours des dernières années, a diminué. Collectivement, nos «repères baseball» ont perdu de leur intensité.

La triste fin des Expos a aussi noirci le portrait. Sans compter que du «Blue Monday» de 1981, lorsque les Z'Amours ont raté leur chance d'atteindre la Série mondiale, à la grève de 1994, les occasions de célébrer ont été rares. Il existe une limite à vendre de l'espoir aux partisans. Tout à coup, il faut des résultats. Les Blue Jays ont relevé ce défi durant leur histoire, mais pas les Expos. Il s'agit d'une énorme différence entre les deux villes.

Au fond, cela revient au gros bon sens de Gibbons: pour s'imposer dans son marché, une équipe doit gagner sa part de matchs. Les amateurs savent que leurs favoris ne participeront pas aux séries chaque saison. Mais l'espoir d'en être, ou à tout le moins d'aller dans la bonne direction, doit exister.

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La popularité des Blue Jays se maintiendra-t- elle au même niveau au cours des prochaines saisons? Assisterons-nous plutôt à une période de transition semblable à celle ayant suivi leurs deux conquêtes de la Série mondiale?

Les prochaines semaines nous en diront plus long. Mais l'équipe, à n'en pas douter, subira de profondes transformations. Jose Bautista et Edwin Encarnacion, deux des piliers offensifs, deviendront joueurs autonomes. Les chances que «M. Bat Flip» demeure à Toronto sont minuscules. Et une autre organisation pourrait bien proposer à Encarnacion un contrat largement supérieur à toute offre éventuelle des Blue Jays.

Si les deux frappeurs quittent la Ville Reine, les Blue Jays amorceront une mini-période de reconstruction. On ne remplace pas si facilement des joueurs ayant profondément marqué l'histoire récente de l'équipe. Mais les fans des Blue Jays pourraient accepter ces changements sans trop rechigner. Rajeunir une équipe est une tendance forte dans le sport professionnel d'aujourd'hui.

Même les Yankees de New York, qui ont longtemps misé sur le marché des joueurs autonomes pour améliorer leur formation, ont adopté cette voie en cours de saison, échangeant des vétérans contre des espoirs de premier plan.

Après leur élimination d'hier, on verra comment la direction des Blue Jays articulera son plan en vue de 2017. Pour attirer plus de 3 millions de spectateurs comme cette année - un gros défi, qu'à peine 7 des 30 équipes du baseball majeur ont relevé cette saison -, l'équipe devra de nouveau lutter pour une place en séries jusqu'à la fin du calendrier.