Vingt minutes avant l'affrontement d'hier, dans le vestiaire d'Équipe Europe, l'entraîneur-chef Ralph Krueger avait les yeux rivés sur un écran de télé.

Jetait-il un ultime coup d'oeil aux stratégies d'Équipe Suède en avantage numérique? Écoutait-il les analyses des experts qui n'accordaient guère de chance à son groupe de remporter la victoire? Pas du tout! Il suivait avec intérêt les derniers instants d'un match de soccer anglais, dans lequel Southampton servait une leçon de 3-0 à West Ham United.

Ce résultat amorçait bien son après-midi. Car dans la «vraie» vie, Krueger est président du conseil d'administration de cette équipe de la Premier League anglaise, un travail dans lequel il s'implique à fond. Ancien entraîneur-chef des Oilers d'Edmonton, il a réorienté sa vie professionnelle après avoir perdu son poste en juin 2013.

Sans la création d'Équipe Europe en vue de la Coupe du monde de hockey, Krueger ne serait sans doute jamais revenu derrière le banc. Mais voilà: il fallait quelqu'un de crédible pour diriger cette formation éclectique, regroupant des joueurs de huit pays d'Europe où le hockey n'est pas un sport de premier plan.

On aurait pourtant compris Krueger de refuser l'invitation. Pourquoi aller se casser la gueule à la tête d'un club qui était, de l'avis général, le plus faible du tournoi? Et qui, par-dessus le marché, ne possédait pas le charme d'une autre équipe fabriquée de toutes pièces, celle des vedettes nord-américaines de 23 ans et moins. «C'est un projet qui faisait peur, a-t-il dit, après le match d'hier. Je savais que ce serait très difficile.»

Krueger a foncé dans l'aventure à la manière de gens d'affaires s'offrant une formation d'appoint dans une faculté de gestion. Ce défi, croyait-il, lui permettrait de «grandir» dans son rôle de leader, un volet de la vie l'intéressant au plus haut point. À l'âge de 57 ans, sa soif d'apprendre demeure aussi vive que durant sa jeunesse.

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Pour Krueger et son équipe de mal-aimés, les résultats sont au-delà des espérances. En battant la Suède en prolongation hier, Équipe Europe atteint, contre toute attente, la finale de cette Coupe du monde. La série deux de trois contre le Canada s'amorcera demain au Air Canada Centre.

Résultat, les amateurs de hockey de tout le Québec auront l'occasion de reprendre un vieux débat, qui a suscité des milliers de commentaires en 2009 et 2010: Price ou Halak? Eh! oui, les deux gardiens se retrouveront de nouveau en opposition, comme si cela faisait partie de leur destin! «Je ne pense pas à ça, affirme le sympathique Slovaque. Il [Price] est un des meilleurs gardiens de la LNH, sinon le meilleur. Je vais essayer de jouer aussi bien que lui.»

Rares sont ceux qui oseront parier sur les chances de l'Europe dans cette confrontation. Mais qui aurait misé sur celles du Canadien au printemps 2010, quand Halak a multiplié les arrêts sensationnels pour permettre aux siens d'éliminer coup sur coup deux puissances de la LNH, les Capitals d'Alexander Ovechkin et les Penguins de Sidney Crosby?

Cela dit, la tâche semble cette fois-ci trop considérable. «Nous voulons offrir au Canada et au monde une vraie bonne finale, dit Krueger. On a encore du hockey à jouer, on veut être compétitifs.» 

«On veut faire en sorte que ce soit difficile pour le Canada de l'emporter, on veut se placer dans son chemin.»

Krueger a des atouts en main. Il connaît la philosophie de Mike Babcock. «Douze heures après mon congédiement des Oilers, Mike m'a appelé pour m'offrir un poste avec Équipe Canada en vue des Jeux de Sotchi. C'est ça, Mike Babcock! On a parlé de hockey des heures ensemble. Je n'aurais pu espérer une meilleure clinique de coaching que tous ces moments passés avec Mike et les autres entraîneurs, Claude Julien, Ken Hitchcock et Lindy Ruff.

«À l'époque, une seule chose m'a attristé, poursuit-il. Comment utiliser ce nouveau savoir? J'étais maintenant dans le milieu du soccer. Finalement, tout cela me sert bien avec Équipe Europe.»

Doug Armstrong, le DG d'Équipe Canada, était aussi présent à Sotchi. Krueger, dit-il, était un élément important du groupe. «Il était de toutes nos rencontres d'entraîneurs, il savait comment on voulait s'y prendre pour battre les clubs européens.» Puis, il ajoute: «Le coaching est important, mais au bout du compte, ce sont les joueurs qui font la différence par leur exécution sur la patinoire.»

Et sur ce plan, même si Armstrong a la délicatesse de ne pas l'ajouter, l'avantage de son club est évident.

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Pour les joueurs d'Équipe Europe, participer à la finale de la Coupe du monde est un accomplissement extraordinaire. Non seulement parce qu'ils sont la surprise de ce tournoi, mais aussi parce qu'ils n'ont jamais connu de réels succès internationaux avec leurs pays respectifs.

«Au mieux, ils essaient de se qualifier pour les Jeux olympiques», explique Krueger, rappelant qu'un podium est presque inaccessible. Il espère que les performances d'Équipe Europe inspireront les jeunes de ces «pays périphériques du monde du hockey», comme il les surnomme. «Si c'est le cas, peut-être deviendront-ils dans 10 ou 12 ans des joueurs de la LNH. J'espérerai alors que ce tournoi aura contribué à leur réussite.»

Non, les bons gars ne finissent pas toujours derniers. Cette fois, ils prendront la deuxième place, ce qui est déjà remarquable.