D'un côté, il y a cet homme lucide capable d'analyser dans une perspective globale la place du sport et des Jeux de Rio dans la société. De l'autre, il y a ce politicien consommé n'hésitant pas à emprunter des raccourcis pour justifier son action.

Peu importe notre opinion de Thomas Bach, entendre ses propos n'est jamais banal. Il en a donné un exemple, samedi, dans sa conférence de presse de clôture des Jeux. À la fin de l'exercice, j'étais toujours perplexe. Le président du Comité international olympique (CIO) deviendra-t-il un véritable réformateur ? Ou se contentera-t-il d'être un conservateur se drapant dans la modernité ?

Tenez, après son élection à la tête du CIO en septembre 2013, Thomas Bach a innové en implantant l'Agenda 2020, ensemble de mesures visant à rendre l'organisme plus transparent et à stopper l'explosion des coûts encourus par les villes accueillant les Jeux.

En revanche, confronté aux ahurissantes révélations à propos du dopage d'État en Russie, il s'est comporté avec mollesse, refusant de sanctionner sévèrement cette puissance mondiale. Pourtant, l'intégrité même des Jeux de Sotchi, les premiers présentés sous sa présidence, est en cause.

Les critiques à ce propos lui font mal. Surtout que beaucoup de ses compatriotes allemands sont sans merci à son endroit. Voilà pourquoi il a de nouveau justifié son approche samedi.

« En 1980, j'étais le porte-parole des athlètes allemands et j'ai défendu notre droit de participer aux Jeux de Moscou, a-t-il raconté en substance. On m'a dit que si je persistais dans cette voie, ça ferait de moi un traître et un communiste. La pression politique était immense. Notre pays a finalement boycotté les Jeux. Plus tard, les gens ont compris que c'était la mauvaise décision. »

Thomas Bach raconte cette histoire pour illustrer le fondement de son principe : on ne peut pénaliser des athlètes innocents en les privant des Jeux. Le respect des droits individuels est fondamental, dit-il. Résultat, exclure toute la délégation russe des Jeux de Rio aurait été injuste.

Le rapprochement est intrigant, mais mal choisi. Le boycottage des Jeux de Moscou était lié au conflit Est-Occident à propos de l'Afghanistan, où les troupes russes faisaient la guerre. Cela n'avait rien à voir avec le sport. Des athlètes ont vu leur rêve brisé pour des motifs géopolitiques décidés par leurs dirigeants.

Cette fois-ci, l'affaire est purement liée au sport. Ou, plus précisément, à la tricherie dans le sport. Le rapport McLaren, déposé le mois dernier, a décrit les stratagèmes des autorités russes pour que leurs athlètes se dopent en toute impunité.

Pour appuyer sa thèse, Thomas Bach ajoute un autre élément : le dopage en Allemagne de l'Est avant la chute du mur de Berlin en 1989.

« Les services secrets de cet ancien pays étaient impliqués dans l'affaire. On l'a su avant les Jeux de Barcelone en 1992. Pourtant, personne n'a demandé que les athlètes de l'Allemagne réunifiée soient bannis de ces Jeux. Il était clair que leurs droits devaient être respectés. »

Encore une fois, le rapprochement fait par Thomas Bach est boiteux. L'Allemagne de l'Est n'existait plus à l'époque. Et nous sommes en 2016, les choses ont changé. La lutte au dopage s'est intensifiée. Plus que jamais, il faut envoyer un message clair aux tricheurs et à leurs conseillers.

En écoutant Thomas Bach, on comprend qu'il entretient malheureusement toujours un doute à propos des faits exposés dans le rapport McLaren.

« Si c'est vrai, il s'agit d'une attaque sans précédent contre l'intégrité des Jeux. Cette question sera étudiée par le CIO après les Jeux de Rio. Si tout cela est prouvé, nous prendrons les mesures appropriées. Nous avons déjà posé des gestes provisoires en refusant d'accréditer pour Rio le ministre des Sports de Russie. »

Quelles seraient ces mesures additionnelles ? Thomas Bach n'en parle pas. Mais s'il estime qu'exclure un ministre des Jeux de Rio est un geste fort, les Russes ne doivent pas s'inquiéter outre mesure.

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À propos des Jeux de Rio, Thomas Bach s'est exprimé en homme de son temps.

« Ces Jeux ont été organisés dans un pays n'étant pas au sommet du classement mondial du PIB et dans une ville aux prises avec des problèmes sociaux. Et la vraie vie a continué pendant les deux dernières semaines. En ce sens, les Jeux ont été plongés dans la réalité, ce qui est bon pour tout le monde. Nous avons vu les défis de la société brésilienne, nous n'en avons pas été isolés dans une bulle.

« Cela nous permet de mettre le sport en perspective. D'un côté, nous voyons comment le sport peut aider, comment il peut unir les gens. De l'autre, nous devons comprendre que le pouvoir du sport a des limites. »

Plus tard, un journaliste a demandé au président du CIO s'il avait un message pour les organisateurs des Jeux de Tokyo en 2020. « Il faut être authentique, ne pas importer un modèle de Jeux ayant été tenus ailleurs. Les Jeux doivent être le reflet de la culture du pays dans lequel ils sont tenus. »

Bien dit, non ? On verra maintenant si le paradoxal président du CIO, dans sa gestion de la crise du dopage en Russie, fera preuve de cette authenticité qu'il admire tant. Ou s'il se comportera en politicien soucieux de préserver ses arrières.