Au Parc équestre des Jeux de Rio, la tension est à son comble. Le Britannique Nick Skelton, un doyen de 58 ans, est à deux pas d'obtenir la médaille d'or au concours individuel de saut d'obstacles. Un seul rival peut encore le vaincre : le Montréalais Éric Lamaze, de 10 ans son cadet.

Pour s'emparer de la plus haute marche du podium, Lamaze doit réussir un parcours sans faute dans un temps inférieur à celui de Skelton, 42,82 secondes.

Aux guides de Fine Lady 5, le cavalier canadien franchit avec succès les six premiers obstacles. Mais le septième et avant-dernier lui est fatal. Sa jument fait tomber une barre. Du coup, Skelton devient champion olympique, et Lamaze obtient la médaille de bronze, derrière le Suédois Peder Fredricson.

« Le chrono de Nick faisait en sorte que je devais aller très vite, a expliqué Lamaze. Et je savais que même en cas de faute, une médaille demeurait possible. Ma jument n'a habituellement pas d'ennui avec ce saut. Mais elle a glissé un peu... »

Lamaze aurait bien aimé répéter son exploit des Jeux de Pékin, en 2008, lorsqu'il a remporté l'or. Mais il était serein après la compétition.

« À l'époque, on s'attendait à ce que mon cheval Hickstead obtienne du succès. Cette fois, je comptais sur une petite jument qui m'impressionne beaucoup. Je savais qu'elle pouvait bien faire. Elle saute avec son coeur. Mais tout devait tomber en place correctement. C'est une chose très différente que de mener le favori. »

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Big Star, c'est le nom de son cheval. Mais ça pourrait tout aussi bien être le sien. Car dans l'univers de l'équitation au Royaume-Uni, personne n'est plus une grosse étoile que Nick Skelton.

Imaginez : après les Jeux de Londres en 2012, la reine l'a fait Officier de l'Empire britannique. En raison de son palmarès, bien sûr, mais aussi de sa résilience. Douze ans plus tôt, il s'est brisé le cou à deux endroits à la suite d'une terrible chute. On croyait sa carrière terminée. Contre toute attente, il est remonté en selle. Et vendredi, 28 ans après avoir participé à ses premiers Jeux olympiques à Séoul, il a enfin remporté un titre olympique individuel.

Premier à s'élancer dans la séance de barrage regroupant six concurrents, Skelton a choisi l'audace en complétant son parcours à un train d'enfer. Pour lui, il s'agissait d'un quitte ou double. Si sa vitesse lui avait fait commettre une faute, il aurait perdu toute chance de médaille. Mais si ça passait, la pression sur ses concurrents devenait énorme. Et c'est ce qui s'est produit, deux de ses rivaux heurtant même le premier obstacle.

Lorsque Lamaze s'est amené à son tour, Skelton, les nerfs en boule, n'a pas osé trop regarder. « Éric m'a donné une petite sueur », a-t-il reconnu.

Comment Skelton célébrera-t-il sa victoire ? Il n'en a pas parlé. Mais le quotidien The Telegraph rappelait récemment qu'il était propriétaire du pub de sa ville, un établissement fréquenté par son « bon ami » Tony Iommi, guitariste de Black Sabbath. Une pinte ou deux sera sûrement vidée pour célébrer cette médaille d'or.

« Compléter ma carrière de cette façon, à mon âge, c'est fantastique, a-t-il ajouté. J'ai remporté des médailles dans de grands championnats. Mais le faire aux Jeux olympiques, c'est exceptionnel. Je suis tellement heureux. »

Skelton n'est pas le plus vieux médaillé d'or olympique. Aux Jeux de 1912, le Suédois Oscar Swahn a remporté une médaille au tir à l'âge de 64 ans.

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Tiffany Foster, la deuxième concurrente canadienne, a terminé au dernier rang du groupe de finalistes. Qu'à cela ne tienne, elle était rayonnante après l'épreuve. « Je viens de connaître mes meilleurs Jeux olympiques ! », a-t-elle lancé.

Ces propos représentaient une allusion caustique aux Jeux de Londres, il y a quatre ans. Invoquant une petite lésion à une patte, la Fédération équestre internationale avait disqualifié son cheval peu avant sa première compétition. L'affaire avait suscité la peine de Foster et la colère de son coéquipier Lamaze, en plus de générer une immense controverse. « Cette année, j'ai pu monter mon cheval au-delà du premier jour des Jeux », a-t-elle blagué.

Tiffany Foster parle d'équitation avec une passion unique. « Les chevaux sont des animaux magnifiques avec un coeur d'or, dit-elle. Pour atteindre les Jeux olympiques, il fait passer beaucoup de temps avec son cheval et apprendre à le connaître. Pour qu'ils soient parfaits avec toi, tu dois être parfaite avec eux. C'est un travail d'équipe. Tous ceux qui sont bons dans ce sport aiment les chevaux. C'est pour ça qu'on le pratique. »

La Portugaise Luciana Diniz, elle, est presque poétique en parlant de son sport. Quand un cavalier et sa monture atteignent l'équilibre parfait, dit-elle, c'est « comme une danse ».

- Une danse ?

- Oui ! Quand les choses vont bien, le parcours a le rythme d'une danse. C'est dur à expliquer. Ça arrive, tout simplement.

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Pour certains autres cavaliers, la journée de vendredi a été pleine de déception. Le Suisse Steve Guerdat, médaillé d'or des Jeux de Londres, s'est qualifié pour la séance de barrage, mais son cheval Nino Des Buissonnets a commis une faute dès le premier obstacle. Sa peine était grande.

Mais le cavalier le plus triste était sûrement le Hollandais Jeroen Dubbeldam. Le concours olympique était son dernier aux guides de Zenith, un cheval avec qui il remporté de grands succès. Ses propriétaires ont cependant décidé de l'offrir en vente lors d'un encan qui aura lieu le mois prochain. « Il a été extraordinaire avec moi », a-t-il, réprimant difficilement un sanglot.

Comme bien d'autres avant lui, et Lamaze en est le parfait exemple, Dubbeldam devra tout reprendre à zéro avec un nouveau cheval, des bêtes qui valent souvent une fortune. En 2013, par exemple, le remarquable Palloubet d'Halong a été vendu 15 millions US.

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Éric Lamaze souhaite participer aux Jeux de 2020. « Ian Millar m'a aussi dit vouloir se qualifier pour Tokyo. S'il y va, j'irai avec lui ! »

Millar n'a pas été retenu au sein de l'équipe canadienne en vue des Jeux de Rio. Mais malgré ses 69 ans, il n'a rien perdu de ses ambitions. Ce n'est pas étonnant. Pour les cavaliers, les Jeux olympiques représentent l'ultime expérience. Et ceux qui y connaissent du succès s'en souviennent à jamais.

« Les gens oublient vite qui a gagné un Grand Prix, a ajouté Lamaze. Mais une médaille olympique reste avec toi pour toujours. »