La compétition est terminée depuis une heure. Dans les coulisses de l'amphithéâtre, sa médaille d'or autour du cou, Rosie MacLennan raconte son parcours des derniers mois. « Si je n'aimais pas autant ce sport, j'aurais abandonné », dit-elle.

L'histoire commence l'été dernier lorsque Rosie subit une commotion cérébrale à l'entraînement. Un mois plus tard, elle encaisse un nouveau choc à la suite d'un accident bête : la portière d'un coffre d'auto la heurte à la tête.

Dans son esprit, un doute s'installe : réussira-t-elle à se qualifier pour les Jeux de Rio ? « J'éprouvais parfois des maux de tête et j'étais étourdie. Ce n'est pas comme une fracture où, après six semaines dans le plâtre, tu es guérie. Je n'avais aucune idée du temps dont j'aurais besoin pour me remettre. »

Le trampoline est un sport dangereux. Pour sauter à des hauteurs aussi impressionnantes, il faut être en parfait contrôle de son corps. Et maintenir ses repères visuels afin d'atterrir au bon endroit. Or, Rosie éprouvait parfois des ennuis à ce niveau, comme si ses yeux allaient dans toutes les directions. Résultat, la peur s'est lentement installée, surtout dans les manoeuvres les plus risquées.

« J'ai eu besoin de temps avant de surmonter cette peur et cette incertitude, dit-elle. En janvier dernier, j'étais parfois terrifiée en exécutant certains mouvements. Mais peu à peu, j'ai repris confiance. Et à la mi-mars, je me suis enfin sentie bien. »

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En défendant avec succès son titre olympique de 2012, Rosie a montré un formidable panache. Durant la ronde finale, où un seul exercice établit le classement final, sa performance a été exceptionnelle. En attendant l'affichage de sa note, son entraîneur Dave Ross et elle souriaient. Leur choix d'opter pour un programme légèrement moins risqué avait été le bon.

À l'annonce du résultat, Rosie était première. Mais deux concurrentes demeuraient en lice, chacune d'elles capable de lui ravir l'or : la Chinoise Li Dan et la Biélorusse Tatsiana Piatrenia.

Peut-être psychologiquement ébranlées par la performance de Rosie, elles en ont été incapables. Piatrenia a même glissé à la cinquième place, pendant que Dan obtenait la médaille de bronze. Et contre toute attente, la Britannique Bryony Page, deuxième des huit finalistes à s'élancer, a remporté l'argent. Effondrée, elle a pleuré toutes les larmes de son corps en constatant avoir réussi l'impossible. « Mes jambes ne me soutenaient plus... »

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Dave Ross est un homme de 66 ans, calme et s'exprimant à voix basse. « Rosie ? Elle est coriace, constante et motivée. Chaque champion a ses caractéristiques. Dans son cas, c'est la détermination. »

En discutant avec Rosie, on comprend très bien ce que Ross veut dire. 

Mais cette volonté de fer, qui lui a permis de retrouver son meilleur niveau à temps pour les Jeux de Rio, ne la définit pas entièrement. Elle est aussi une passionnée. 

Ainsi, quand un collègue lui demande ce qu'elle aime dans le trampoline, sa réponse est presque poétique : « C'est la combinaison parfaite de puissance, de beauté et de force. On pousse toujours nos limites, il y a toujours quelque chose de nouveau à conquérir. »

Les yeux brillants, Rosie rappelle les défis du trampoline : l'impressionnante force G ressentie, l'élancement dans les jambes durant ces sauts de 25 pieds et cette fraction de seconde où tout peut basculer si le mouvement n'est pas parfaitement coordonné.

Mais au-delà de sa maîtrise de ces aspects techniques, elle attribue son succès à un facteur beaucoup plus personnel : l'appui de sa famille. La « délégation McLennan » était d'ailleurs nombreuse dans les gradins : ses parents, ses deux frères, sa soeur, sa belle-soeur, son beau-frère, sa nièce, deux tantes, son copain...

«  Leur amour et leur appui me donnent tellement de force, dit-elle. Ce sont eux qui m'ont aidée à garder la tête haute dans les moments d'incertitude. Je sais que peu importe si je réussis la performance de ma vie ou si je tombe face contre terre, ils m'aimeront et m'appuieront. »

Rosie MacLennan est une athlète impressionnante.

Rencontre avec une championne

Du centre de presse, on se rend en navette à la compétition de trampoline, présentée à l'Arène olympique de Rio. Le trajet est une affaire d'une poignée de minutes. Mais à quel arrêt débarquer ? Le Parc olympique de Barra compte de nombreux amphithéâtres. Et quand on ne les connaît pas, il faut un moment pour se repérer.

À mes côtés, une femme au regard sympathique, portant un maillot de l'équipe russe, cherche manifestement le même endroit. Elle baragouine un peu d'anglais, assez pour comprendre quand je lui dis avoir trouvé l'information.

- Vous êtes journaliste ? me demande-t-elle. De quel pays ?

Après lui avoir répondu, je m'informe à mon tour : « Vous travaillez avec l'équipe russe ? » Sourire au visage, elle répond : « Moi, je suis championne olympique !  »

Irina Karavaeva a marqué l'histoire du trampoline. Elle a été la première à remporter une médaille d'or lorsque la discipline a été inscrite au programme des Jeux de Sidney, en 2000. Aujourd'hui à la retraite, elle est à Rio en compagnie d'un groupe d'anciens olympiens de son pays, des gymnastes, des nageurs et des boxeurs, venus assister aux Jeux.

- Pourquoi avoir choisi le trampoline, Irina ?

- Parce que je pouvais sauter et voler...

Plus tard, en faisant un peu de recherche, j'apprends qu'au-delà de son formidable parcours sportif, Irina Karavaeva a accompli un geste remarquable en 2001.

Après avoir remporté le Championnat du monde à la suite d'une erreur manifeste d'un juge, elle a cédé sa première place à la concurrente ayant terminé au deuxième rang. L'ancien président du Comité international olympique (CIO), Jacques Rogge, a salué ce geste généreux en lui remettant le Prix international du fair-play.

Irina Karavaeva travaille maintenant comme directrice sportive à Krasnobar, dans le sud de la Russie. Elle m'a quitté sur un sourire, heureuse de retrouver la grande famille du trampoline, le temps d'un après-midi à Rio.