Dans l'avion me menant de New York à Rio jeudi, j'étais assis à côté d'un couple d'Américains à la retraite s'apprêtant à vivre à plein l'expérience olympique : voyage de 17 jours, des billets pour plusieurs épreuves et de l'enthousiasme à revendre.

Le virus du Zika ? La criminalité ? D'éventuels contrecoups de la crise politique au Brésil ? Rien de tout cela n'effraie Karl et Debbie. Assister à des Jeux d'été comptait depuis longtemps parmi leurs projets. Et comme leurs Yankees adorés ne connaissent pas une grande saison, oublier le baseball majeur durant deux semaines est plus facile.

Leur bonheur à l'idée d'assister aux Jeux de Rio m'a presque surpris. Car il se situe à contre-courant du ras-le-bol, du cynisme et de la colère ressentis par des milliers de personnes aux quatre coins du monde à la suite des récentes révélations concernant le dopage.

Beaucoup de ces gens entretiendront un doute lorsque les médaillés des nombreuses disciplines « à risque » monteront sur le podium au cours de la prochaine quinzaine. Il serait d'ailleurs plus sage de qualifier certains médaillés d'or de « champions olympiques provisoires ». Car qui sait ce que recèleront leurs échantillons d'urine s'ils sont de nouveau examinés au cours des 10 prochaines années, période durant laquelle ils seront conservés ?

Assisterons-nous alors à une hécatombe semblable à celle des dernières semaines, où des techniques d'analyse plus sophistiquées ont conduit à une augmentation spectaculaire de cas positifs durant les Jeux de Pékin (2008) et de Londres (2012) ?

Imaginez : cette année, 98 nouveaux tricheurs ont été démasqués. Et ce nombre augmentera sûrement puisque d'autres tests sont en cours. 

C'est donc dire que huit ans après les Jeux de Pékin et quatre ans après ceux de Londres, on ignore toujours à quoi ressemblera le tableau final des médailles !

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Dans ces circonstances, il est facile de perdre intérêt aux Jeux olympiques. L'intégrité est la condition essentielle du succès d'une compétition sportive. Si elle n'est pas respectée, le sport en souffre. Le cyclisme professionnel en constitue l'exemple parfait. Le Tour de France demeure un évènement hors du commun, mais une partie de sa magie s'est évaporée dans les nombreux scandales l'ayant touché.

Cette fois, et à une échelle beaucoup plus grande, c'est le mouvement olympique qui connaît des heures sombres. On ne parle plus de simples athlètes voulant contourner les règles avec l'aide d'un entraîneur ou d'un médecin trop heureux de les appuyer.

Il s'agit plutôt de dopage d'État, comme l'ahurissant récit des malversations au laboratoire des Jeux de Sotchi l'a démontré. Subtiliser de l'urine « sale » et la remplacer par de l'urine « propre », durant la nuit et par une ouverture camouflée au bas d'un mur, dépasse l'entendement. C'est pourtant ce que les autorités russes ont fait en 2014.

Bien sûr, le Comité international olympique (CIO) aurait envoyé un message clair s'il avait expulsé la délégation russe des Jeux de Rio en guise de sanction. Mais ce scénario, que Thomas Bach a comparé à une « option nucléaire » où les athlètes russes innocents auraient été des « victimes collatérales », n'est jamais venu près de se matérialiser.

Pourquoi ? Tout simplement parce que la Russie est un acteur majeur sur la scène sportive internationale. Et que ses liens avec le CIO sont tissés serré. Un exemple : Alexander Zhukov, le président du Comité olympique russe, est aussi membre du CIO. Il chapeaute la commission chargée d'évaluer les préparations en vue des Jeux d'hiver de Pékin en 2022, mandat uniquement confié à une personne très influente.

Au bout du compte, 118 athlètes russes sur les 389 prévus ont été exclus des Jeux de Rio, soit environ 30 %. À l'évidence, Bach ne souhaitait pas étirer davantage l'élastique. Cet homme-là est d'abord un politicien soucieux de ses appuis au sein d'une association internationale.

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Le problème du dopage dans le sport olympique ne se réglera pas d'un grand coup de balai. Ni par les déclarations de Thomas Bach, qui annonce un vaste chantier afin de proposer des réformes.

Pour progresser, il faudra de nouveau compter sur le courage des dénonciateurs, le travail journalistique et la qualité des rapports d'enquête commandés par l'Agence mondiale antidopage. La contribution de deux avocats canadiens, Richard Pound et Richard McLaren, a d'ailleurs été exemplaire à ce niveau. Dans des documents exceptionnels, ils ont démontré la véracité de deux grandes enquêtes journalistiques.

Le dopage systémique mis au jour au cours des 18 derniers mois, les dérives de la Fédération internationale d'athlétisme et le plan diabolique mis en place aux Jeux de Sotchi par les autorités russes suscitent l'indignation, c'est vrai. Mais la bonne nouvelle, c'est que ces scandales aient été révélés. Il s'agit d'un pas en avant, malgré tout le cynisme qu'ils suscitent. Pensons-y : la solution de rechange aurait été que tout cela reste caché, que la vérité n'éclate pas, ce qui aurait permis aux tricheurs de sévir encore sans être inquiétés.

Cela aurait été encore plus grave.

PHOTO MARK HUMPHREY, AFP

Le président du Comité international olympique, Thomas Bach, salue la foule lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux de Rio.