Qui l'aurait cru? On assistera sans doute au retour des Expos avant celui des Nordiques! Car au moment où le commissaire du baseball majeur multiplie les signaux positifs envers Montréal, celui de la LNH a assené une claque retentissante à Québec, hier, en l'écartant du processus d'expansion.

Les propos diplomatiques de Gary Bettman à l'endroit de la capitale nationale ne maquillent pas l'essentiel: cette nouvelle est un rude coup porté à la perspective de revoir les Bleus dans un délai raisonnable.

Bien sûr, Brian Mulroney, président du conseil d'administration de Québecor, avait récemment annoncé cette tournure des événements. Il n'empêche que la confirmation du verdict frappe en plein coeur des milliers de gens, partout au Québec, qui demeurent profondément attachés aux Nordiques.

Ce désarroi est compréhensible. Après tout, le dossier de Québec était solide comme le roc : un amphithéâtre magnifique, un propriétaire aux poches profondes, une économie vigoureuse, un appui indéfectible du maire, la contribution d'un ancien premier ministre du Canada, une passion du hockey qui ne s'est jamais démentie chez les citoyens...

En clair, les astres étaient magnifiquement alignés. Les éventuels néo-Nordiques possédaient même plus d'atouts financiers et politiques que les véritables Nordiques n'en ont jamais eu dans leur histoire. Ce ne fut pas suffisant pour enlever le morceau.

Comment expliquer cette décision? Jeremy Jacobs, président du Bureau des gouverneurs, a fourni la réponse en conférence de presse. Le critère de sélection le plus important, a-t-il dit, était de déterminer si une nouvelle concession «améliorerait la LNH et la rendrait plus forte».

Le commissaire et les propriétaires d'équipe les plus influents ont manifestement estimé que le retour des Nordiques ne servirait pas les intérêts supérieurs du circuit. Ce jugement fait mal.

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Peut-on identifier une date où Québec a perdu ses chances de réintégrer la LNH? Celle du 17 janvier dernier est sûrement significative. Ce jour-là, le dollar canadien a sombré à 0,68 $ US, un creux qu'on n'avait pas vu depuis des années.

Cette chute de la valeur du huard, malgré le rebond des mois suivants, est survenue au pire moment pour Québec. Elle a effrayé la LNH, mais aussi les dirigeants de Québecor. En mars dernier, Brian Mulroney et le PDG Pierre Dion ont d'ailleurs soulevé publiquement cet enjeu.

Gary Bettman a reconnu que le taux de change désavantageux avait été un facteur clé de la décision. «Et le groupe de Québec n'avait aucun contrôle là-dessus», a-t-il dit.

Tout cela est vrai. Mais cette baisse marquée du huard fut passagère. Depuis plusieurs semaines maintenant, le dollar canadien se négocie sensiblement au même taux qu'en septembre dernier, lorsque Québecor a présenté sa candidature à la LNH, lors d'une réunion à New York. À cette époque, Brian Mulroney avait pourtant affirmé que la valeur du huard n'était pas un obstacle au projet.

Cela dit, le dollar canadien continuera de fluctuer. D'où mes questions: quel niveau devra-t-il atteindre pour rassurer la LNH et Québecor? Est-ce 0,85 $ US ou plus encore? Et combien de mois ou d'années devra-t-il se maintenir à ce seuil acceptable?

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Québec, il ne faut pas s'y tromper, rate une occasion unique. La LNH ne relancera sans doute pas de sitôt un processus d'expansion. Elle voudra d'abord voir si l'équipe de Las Vegas se tirera d'affaire. Ce qui est loin d'être certain. Pour boucler ses frais, la nouvelle concession devra remplir les gradins, car ses revenus de télévision locaux seront modestes.

Mais même si la LNH envisage une nouvelle expansion dans trois ou quatre ans, Québec ne sera pas nécessairement choisie. Le passage du temps, hélas, ne servira pas ses intérêts. D'autres villes profiteront des prochaines années pour s'organiser.

Si, par exemple, Seattle bâtit un nouvel amphithéâtre, elle partira avec une immense longueur d'avance sur Québec. Et on le sait maintenant mieux que jamais: les candidates américaines auront toujours un atout face à leurs concurrentes canadiennes, les variations du taux de change ne les touchant pas.

Reste la possibilité d'un transfert d'équipe. Oui, les Hurricanes de la Caroline semblent en difficulté. Mais rappelez-vous combien Gary Bettman s'est battu pour assurer le maintien des Coyotes en Arizona et des Panthers en Floride. Pourquoi agirait-il autrement cette fois-ci?

Si Peter Karmanos souhaite se départir de son club à court terme, parions que le commissaire fera tout en son pouvoir pour dénicher, aux États-Unis ou au Canada, un investisseur prêt à exploiter la concession en Caroline.

Et même si une équipe était mise en vente, la facture pour Québec ne serait sans doute pas inférieure aux 500 millions US versés par Las Vegas. On peut en effet croire que la LNH exigerait des frais de transfert comblant l'écart entre cette somme et le prix de vente de l'équipe. Non, il n'y aura pas d'aubaine...

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Le monde du sport professionnel est en perpétuelle ébullition. Des événements imprévus joueront-ils avant longtemps en faveur de la capitale nationale?

Souhaitons-le, car le retour des Nordiques serait excitant. Leur renaissance mettrait aussi de la pression sur le Canadien qui, sur le plan sportif, s'est assoupi depuis qu'il est en situation de monopole au Québec.

Peut-être qu'un jour, à l'image de Winnipeg en 2011, Québec recevra un appel de Gary Bettman annonçant qu'une concession est à vendre. Mais à moins d'un miracle, ce ne sera pas pour demain.

Souvenez-vous: après avoir bâti un nouvel amphithéâtre, Winnipeg a attendu sept ans avant de retrouver ses Jets. Et tous ceux qui ont vu le visage de Gary Bettman, lorsqu'il a annoncé ce retour de la LNH dans un petit marché canadien, ont compris qu'il ne s'agissait pas du plus beau jour de sa carrière.