Imaginez une école secondaire de Montréal où le programme de basketball féminin est la référence au Québec. Au point où l'équipe juvénile (4e et 5e secondaire) a été invitée à se joindre à une ligue d'élite des États-Unis.

Ce n'est pas tout: ses joueuses les plus douées, à l'image de celles qui les ont précédées, deviendront des stars du basket collégial québécois. Certaines seront ensuite pressenties par des universités américaines, où ce sport profite d'un soutien extraordinaire.

Quelle école peut réussir un truc pareil? À première vue, on pense à un collège privé, doté d'installations dernier cri et de ressources financières à l'avenant. Avec des associations de parents et de diplômés bien branchés, capables d'assurer le succès d'une collecte de fonds.

L'école secondaire Saint-Laurent, où ce miracle sportif se produit, ne correspond pas à cette définition. Tenez, dans cet établissement public du nord de Montréal, membre de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, l'indice de «défavorisation» est de 9 sur une échelle de 10. Les 2100 élèves sont issus de 67 pays différents. La majorité d'entre eux sont nés à l'extérieur du Canada.

Pour plusieurs de ces jeunes, l'école Saint-Laurent est le point d'ancrage de leur nouvelle vie. Une vie qui ne s'articule pas toujours autour d'un foyer stable, avec un frigo bien rempli.

En novembre 2013, je vous ai parlé pour la première fois de cette école où la direction aurait toutes les raisons d'entretenir des ambitions modestes, tant l'ampleur des défis est colossale.

L'adolescence est une période complexe de la vie. Alors imaginez quand on est fraîchement débarqué au pays, confronté à de nouveaux repères culturels, ou quand on est tout simplement plongé dans une situation familiale et financière fragile...

Conduire ces jeunes à l'obtention d'un diplôme d'études secondaires est une réussite. Il faut plus d'éducateurs spécialisés, plus d'aide aux devoirs, plus d'encadrement.

Pour aider les élèves à développer un sentiment d'appartenance, l'école Saint-Laurent mise notamment sur le sport. Aujourd'hui, plus du quart des élèves portent le chandail de l'Express dans 11 disciplines, du soccer au football, du hockey au cheerleading.

Le basket occupe cependant le haut du pavé. Le programme masculin fonctionne rondement. Et celui des filles connaît un succès qui suscite l'admiration... aux États-Unis ! Comme quoi personne n'est prophète dans son pays.

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«Daniel, c'est un coach, mais aussi un travailleur social, lance Patrice Brisebois, directeur de l'école Saint-Laurent. Les parents l'appellent s'ils cherchent leur fille ou pour savoir où faire changer les pneus de leur voiture. C'est 24 heures sur 24...»

Ancien joueur de basket à l'Université Concordia, Daniel Lacasse est l'entraîneur de l'équipe juvénile féminine. Il est aussi gestionnaire administratif de l'école. «Au cours des huit dernières années, chez les filles, nous avons remporté 23 titres provinciaux sur 24 dans les catégories benjamine, cadette et juvénile», lance-t-il avec fierté.

Ces prouesses ont retenu l'attention au sud de la frontière. C'est ainsi que son équipe s'est retrouvée membre d'un circuit élite de high schools, avec des équipes représentant des écoles de la côte Est américaine, de l'État de New York à celui de la Floride. Tous ces collèges privés sont dotés de généreux budgets de fonctionnement.

À Saint-Laurent, le modèle est légèrement différent. On mise beaucoup sur l'autofinancement, notamment grâce à l'organisation de tournois. Les joueuses font de l'emballage dans les supermarchés. Et celles incapables de verser le modique coût de participation compensent avec du travail dans l'école. L'appui d'un équipementier sportif apporte aussi un peu d'air.

En voyage, l'équipe se déplace dans des fourgonnettes. Daniel Lacasse déniche les hôtels les moins chers et reste à l'affût des rabais des chaînes de pizzérias. Cette saison, la faible valeur du huard a constitué une difficulté supplémentaire.

L'automne dernier, l'Express a participé à un tournoi dans les îles Vierges américaines. Pour limiter les frais, on a trouvé un vol à prix réduit au départ de New York. Et épargné une nuit d'hôtel en attendant sur les banquettes de l'aéroport de Porto Rico le vol de correspondance.

À destination, l'équipe s'est installée dans un hôtel plus économique que celui suggéré par l'organisation du tournoi. Et lorsqu'une panne d'eau est survenue, ce fut presque un cadeau du ciel. Après tout, de l'eau, il y en avait au gymnase. Et en guise de compensation, l'hôtel a gracieusement offert le petit déjeuner. «On a été chanceux», dit l'entraîneur, dans une remarque illustrant mieux que tout la situation particulière de son équipe.

Au bout du compte, l'Express a participé à la finale, s'inclinant par un score serré devant les favorites de Riverdale Baptist. Dans cette école de la région de Washington, les cinq joueuses de l'unité de départ ont obtenu une bourse d'une université américaine de première division. Cela fournit une bonne idée du calibre de jeu.

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En novembre prochain, l'Express accueillera pour la première fois quatre rivales américaines dans un tournoi présenté à l'école Saint-Laurent.

Seul problème: le gymnase n'est pas doté d'un plancher de bois, mais de caoutchouc. Dans la Ligue excellence du Québec, où joue aussi l'Express, cette situation est déjà une anomalie. Les clubs visiteurs risquent d'être surpris, peut-être même choqués.

«On est le plus gros programme au Québec et notre plancher est en caoutchouc, dit Daniel Lacasse. En dix ans, neuf filles se sont déchiré le ligament croisé antérieur. On préfère s'entraîner dans le petit gymnase de nos élèves de secondaire 1 et 2, même si le mur délimite les lignes de jeu ! C'est dangereux, mais le plancher est en bois.»

Un programme de haute performance devrait pourtant compter sur un vrai plancher de basket. Mais encore faudrait-il trouver les 300 000 $ nécessaires à cette acquisition.

Patrice Brisebois et Daniel Lacasse cherchent des solutions, mais la collecte de fonds n'est pas leur champ d'expertise. Avec leurs collègues de la direction et les professeurs, ils en ont déjà plein les bras à voir à l'essentiel: s'assurer qu'un nombre maximal d'élèves, athlètes ou pas, réussissent leurs études.

«On a besoin d'aide extérieure, on a besoin de contacts», explique Daniel Lacasse.

Patrice Brisebois, qui rêve de dénicher un mécène, ajoute: «On ne connaît pas les clés du marketing sportif. Nous, dans le secteur public, on ne peut pas donner le nom d'une entreprise à notre gymnase. Mais la commandite d'événements, comme nos tournois, est possible. On pense qu'on a un projet qui ferait une différence pour ces enfants.»

Une différence? Le mot est faible! À l'école Saint-Laurent, le sport ouvre les horizons, accroît la solidarité et transforme des vies.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Aperçu d'un match de tournoi de l'Express en 2013