Le feu a éclaté et Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), veut éteindre l'incendie avant qu'il ravage la maison. Voilà comment interpréter les annonces d'hier, faites au moment où l'intégrité des Jeux est menacée par des allégations de dopage d'État à l'encontre de la Russie.

Commençons par les faits. Grâce aux nouvelles méthodes de détection, 31 athlètes des Jeux d'été de Pékin, en 2008, apprendront cette semaine que leur tricherie a été démasquée. Douze pays et six sports sont touchés.

Comment cela est-il possible? Très simple! Une partie de l'échantillon d'urine recueilli dans un test de dopage est transférée au Laboratoire de Lausanne, en Suisse, où elle est conservée durant 10 ans. Lorsqu'elle est inspectée des années plus tard, le raffinement des technologies permet de découvrir des traces de produits dopants passées sous le radar à l'époque.

En entrevue à La Presse Canadienne, la spécialiste québécoise Christiane Ayotte a dit que «la sensibilité de détection de nos instruments est mille fois plus élevée qu'à l'époque».

Le CIO a ainsi demandé le réexamen de 454 échantillons récoltés à Pékin. Le choix n'a pas été fait au hasard. On a visé des athlètes admissibles aux Jeux de Rio. Les noms des 31 coupables seront communiqués plus tard.

Ce n'est pas tout. Attendons-nous à une autre annonce bientôt, puisque 250 échantillons des Jeux de Londres sont actuellement soumis à la même procédure. Encore une fois, des athlètes en lice pour Rio sont ciblés.

Ces cas de dopage rappellent à quel point la tricherie est répandue dans le sport olympique. Mais une fois qu'on accepte cette réalité, comment ne pas se réjouir de voir les coupables, qui croyaient avoir trompé le système, enfin pris?

On le sait depuis longtemps: en matière de dopage, les tricheurs ont une longueur d'avance sur leurs pourchasseurs. Mais ces derniers profitent de deux atouts: le passage du temps et l'amélioration des technologies. Résultat, un athlète dopé lors des Jeux olympiques vit durant 10 ans avec l'inquiétude d'être repéré.

Un proverbe dit: «Mieux vaut tard que jamais.» Ces mots pourraient être le slogan des autorités antidopage, un univers où les victoires rapides sont rares. Regardez, par exemple, l'immense travail d'enquête réalisé pour confondre Lance Armstrong. La patience a été récompensée et il est aujourd'hui dépouillé de ses sept titres du Tour de France.

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Après les faits, les intentions. Et c'est là qu'on verra si Thomas Bach est vraiment sérieux.

Durant sa séance extraordinaire d'hier, la Commission exécutive du CIO a demandé à l'Agence mondiale antidopage (AMA) «une enquête approfondie» à propos des allégations de Grigori Rodchenkov, directeur du Laboratoire des Jeux de Sotchi.

La semaine dernière, Rodchenkov a déclaré au New York Times que la Russie avait comploté pour camoufler les inévitables tests positifs de plusieurs de ses médaillés à Sotchi. L'urine «souillée» aurait été remplacée par de l'urine «propre» dans les flacons. Compte tenu du dispositif de sécurité de ces petites bouteilles, personne ne sait comment elles auraient été ouvertes sans signe apparent.

Le CIO a demandé à l'AMA d'utiliser les «moyens les plus efficaces et les plus modernes à sa disposition», ce qui signifie qu'on ne regardera pas à la dépense. «Sur la base de ce résultat, le CIO prendra des mesures rapides», assure-t-on.

Thomas Bach, sûrement conscient de l'impression négative laissée par ses liens très forts avec les autorités russes dans des circonstances aussi explosives, a précisé que cette lutte contre le dopage se poursuivrait «indépendamment du sport ou du pays concerné».

Si les allégations de Grigori Rodchenkov se confirment, punir les athlètes ne sera pas suffisant. Il faudra aussi frapper fort contre la Russie, un défi autrement plus corsé pour Thomas Bach.

Ainsi, en février dernier, alors qu'il aurait dû prendre ses distances de la Russie, ciblée par deux rapports accablants sur ses pratiques de dopage, Bach a plutôt chargé le président du Comité olympique russe, Alexander Zhukov, de surveiller, au nom du CIO, les préparatifs de Pékin en vue des Jeux d'hiver de 2022!

Mais il ne faut sans doute pas trop s'en faire avec ça. Après tout, dans ses réformes connues sous le nom d'Agenda 2020, le CIO promet que les principes de bonne gouvernance sont au coeur de ses priorités...

Dans une tribune publiée hier dans le USA Today, Bach affirme que si Rodchenkov dit vrai, il s'agira d'un «niveau sans précédent de criminalité» dans l'histoire du dopage. Et que le CIO sanctionnera en conséquence. Les conclusions de l'AMA, écrit-il, détermineront en grande partie la présence ou non des athlètes russes à Rio.

L'AMA a déjà lancé son enquête. Les allégations de Rodchenkov seront vérifiées par un groupe dont fera partie Christiane Ayotte.

Selon le New York Times, la justice américaine se penche également sur les allégations de Rodchenkov, aujourd'hui installé aux États-Unis. La Russie, qui n'a jamais apprécié que les Américains se mêlent du scandale de la FIFA, réagira sans doute vivement à cette nouvelle.

Enfin, mentionnons que le Comité international paralympique demande aussi à l'AMA d'enquêter sur les extraordinaires succès des athlètes russes aux Jeux paralympiques de Sotchi. Ils ont obtenu 80 médailles, soit 55 de plus que les Ukrainiens, deuxièmes au classement. Cette information, révélée par le site Inside the Games samedi, a été confirmée par l'AMA hier.

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Il y a l'énorme dossier du dopage, mais aussi celui de Tokyo 2020, révélé par le quotidien The Guardian la semaine dernière.

Son comité de candidature a-t-il voulu acheter l'appui de Lamine Diack en prévision du vote de septembre 2013, lorsque le Japon a obtenu l'organisation de ces Jeux? Diack, plus tard arrêté en France, était alors président de la Fédération internationale d'athlétisme et membre influent du CIO.

Tokyo 2020 reconnaît avoir versé 1,3 million d'euros à une entreprise proche du fils de Diack. Mais ses dirigeants assurent que ce fut en retour de services «légitimes». L'explication ne convainc pas tout le monde. Le CIO promet «de faire toute la lumière sur cette affaire».

Bonne idée, mais il est rassurant que des procureurs français s'y intéressent aussi.