Lundi de la semaine dernière, après le bilan officiel de la direction du Canadien, Michel Therrien s'est entretenu avec notre chroniqueur Philippe Cantin. Profondément troublé par la dégringolade de son équipe, l'entraîneur-chef n'a cependant esquivé aucun sujet. De la blessure de Carey Price à sa relation avec P.K. Subban, de son attitude face aux médias aux ennuis récurrents de l'attaque massive, il s'est exprimé avec ouverture et franchise.

La déception

Depuis plus d'une heure, Michel Therrien répond à mes questions dans son bureau du Complexe Bell, à Brossard. Soudain, il lance: « Tu sais quoi? Depuis que je coache dans le hockey junior, la Ligue américaine ou la Ligue nationale, c'est la première fois que mon équipe n'atteint pas les séries lorsque j'ai été l'entraîneur du début à la fin de la saison.

« Habituellement, on est excités à cette période de l'année, on se prépare pour la première ronde. Je suis habitué à cette situation, pas à celle d'aujourd'hui. Je ne veux pas revivre ça. Alors on va s'arranger pour que ça n'arrive pas... »

Cette descente aux enfers, personne ne l'avait prévue, surtout après le départ canon de l'équipe. Les défaites s'accumulant, les critiques à l'endroit de Therrien se sont aiguisées. Pour la première fois depuis son retour derrière le banc en 2012, des analystes et des fans ont posé la question avec insistance: était-il l'homme de la situation?

Quand je lui demande s'il a douté de son maintien en poste en vue de la prochaine saison, la réponse de Therrien tombe comme l'éclair: « Non. Les résultats n'ont pas été de notre bord. Mais on ne jouait pas comme les résultats le montraient. On a fait des bonnes choses. On a eu des chances de marquer, on a été en possession de la rondelle, on a été [combatifs]. Mais à un certain moment, on a perdu confiance. Michael Condon a été bon, mais c'était en demander gros à un jeune gardien, j'en suis bien conscient... »

L'absence de Carey Price s'éternisant, Marc Bergevin a tenté d'obtenir du renfort. Mais l'occasion idéale ne s'est pas présentée. Le Canadien s'est alors rabattu sur Ben Scrivens, un vétéran ayant roulé sa bosse dans le hockey professionnel, mais certainement pas le sauveur capable de stopper l'hémorragie.

« Scrivens a aidé Mike Condon, dit Therrien. Pas sur la patinoire, mais à l'extérieur. Car avant son arrivée, on sentait nos deux jeunes, Dustin Tokarski et lui, un peu ébranlés... »

- Et comment as-tu composé avec tous ces gens souhaitant que tu ne reviennes pas?

- Personne n'est plus déçu que moi qu'on ne participe pas aux séries. Je vis 24 heures sur 24 pour atteindre cet objectif. Quant à l'opinion de certaines gens, que veux-tu que je fasse... L'important, ce sont mes relations à l'interne. Je travaille étroitement avec Marc [Bergevin] et mes adjoints. On cherche les meilleurs moyens de soutirer le maximum des joueurs. Pour s'améliorer, il faut grandir dans les échecs. C'est ma philosophie. Alors je vais analyser de fond en comble ce qui s'est produit.

Mais jusqu'où ira cet exercice? On a parfois l'impression que pour la direction du Canadien, la blessure de Carey Price suffit à expliquer les insuccès de l'équipe. Therrien assure que la réflexion sera beaucoup plus profonde.

« Fie-toi sur moi: je ne m'assoirai pas sur mon divan en disant simplement: "J'ai hâte que Carey revienne." Tu me connais mal si tu penses ça. On a déjà commencé l'analyse, comme après chaque saison. C'est un gros travail, avec beaucoup de rencontres et des études de vidéos. Même quand tu as du succès, tu dois agir ainsi. C'est la façon de progresser. Il faut rester à la page, planifier l'enseignement... »

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Au-delà des aspects purement hockey, Therrien estime que l'équipe a souffert à un autre niveau au cours des derniers mois.

« À un certain moment, on a manqué de maturité dans le vestiaire. Rappelle-toi: la saison dernière, on a travaillé sur la transition au sein de notre leadership. Avec le départ de Brian Gionta, on a donné à nos jeunes l'occasion de s'exprimer davantage. Mais ce groupe de jeunes leaders était entouré de Sergei Gonchar, Mike Weaver, Manny Malhotra, des gars qui ont vu neiger. Cette saison, ce genre de présence nous a manqué.

« J'aurais pensé qu'on aurait mûri. Mais dans les épreuves, on ne l'a pas toujours fait de la bonne manière. J'ai appris à connaître ma gang dans des circonstances plus difficiles. Je pense que les gars vont grandir de cette expérience. Ce n'est pas un manque de volonté. Mais il faudra répondre à ça. »

Sur ce plan aussi, l'absence de Price a été durement ressentie. « Carey a une aura, explique Therrien. Quand il s'est blessé une première fois, on s'en est sortis. Mais la deuxième fois, c'était beaucoup demander aux jeunes. À ce moment, on parlait d'une absence de six à huit semaines. On n'aurait jamais pensé que ça durerait toute la saison.

« J'ai été déçu que des gens pensent qu'on a menti à ce sujet. On pensait qu'il reviendrait à la fin de janvier, avec une trentaine de matchs à jouer. On se disait qu'on perdrait du terrain, mais qu'on finirait fort. Et jusqu'au bout, on a espéré qu'il dispute au moins un match cette saison. »

De la même manière, Therrien est étonné des reproches adressés au Canadien, qui a refusé de donner des précisions sur la blessure de Price. Comme son patron Bergevin, il est convaincu que la divulgation de ces informations donnerait un avantage aux adversaires du CH. « Je ne comprends pas que vous ne compreniez pas », lance-t-il, en parlant des journalistes. « Pour moi, c'est tellement clair! On n'agit pas différemment des autres équipes. »

Peut-être. Mais quand le joueur vedette du club est tenu à l'écart du jeu durant plusieurs mois, les amateurs n'ont-ils pas le droit de savoir exactement pourquoi? Une certaine transparence diminuerait aussi les rumeurs et les suppositions (« Ç'a parfois dérapé cette saison », estime-t-il) qui irritent tant Therrien et toute l'organisation. Mais à ce sujet, un point de jonction entre les médias et le Canadien n'est pas pour demain.

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Les rapports entre Therrien et les journalistes n'ont pas coulé de source durant cette difficile saison. Après les revers, ses réponses minimalistes aux questions ont, avec raison, irrité les collègues.

« Quand on perd, j'ai pas le goût de jaser! Et c'est la même chose dans l'auto quand je rentre à la maison. La défaite, ça vient me chercher. »

Avant chaque saison, Therrien suit une formation en communication, une partie essentielle de son travail. « Et on m'a toujours expliqué une chose: dire "oui" ou "non", c'est aussi une réponse. Je n'ai pas toujours besoin d'élaborer. Surtout si je sens que rien de bon n'en sortira. C'est parfois mieux que je m'en tienne à ça. Car on vit dans les émotions... »

Il n'empêche que Therrien semble souvent sur la défensive lorsqu'un journaliste l'invite à défendre ses choix tactiques. Dans ce cas, il reproche parfois à son interlocuteur de faire du « second guessing », c'est-à-dire de profiter du recul pour remettre en cause ses actions. Ces questions sont pourtant légitimes, non?

« On prend toujours les meilleures décisions pour le bien de notre équipe, rétorque-t-il. Après, c'est toujours facile de critiquer. Tiens, l'opposition au gouvernement, c'est la plus belle job. »

Quand je rappelle à Therrien qu'il agissait parfois ainsi lorsqu'il était panéliste à L'Antichambre, il lance: « Je comprends que pour certains journalistes, ça fait partie du travail. Mais ça ne veut pas dire que j'aime ça. Tu sais, c'est rare, les coachs qui aiment ça... »

Le cas Subban

Lorsque le camp d'entraînement du Canadien s'est amorcé avant la saison 2012-2013, Michel Therrien a réuni Brian Gionta, Josh Gorges, Andrei Markov et d'autres vétérans de l'équipe. « Je vais m'occuper de P.K. Subban, c'est à moi de le guider et de l'amener là où je veux », leur a-t-il dit.

C'est ainsi que son « projet Subban » a commencé. Et il n'est manifestement pas mécontent des résultats. « L'année avant notre arrivée, il a parfois été relégué à la tribune de presse, rappelle-t-il. Depuis ce temps, il a gagné un trophée Norris, a été en nomination pour un autre, ses minutes de jeu ont augmenté, ses responsabilités aussi. »

- Pourtant, Michel, après un revers au Colorado en février, tu l'as publiquement blâmé, lui reprochant un jeu « individualiste »...

- J'ai dit un mot... mais c'est ça, le contexte de Montréal! Sauf que ça faisait longtemps que je lui expliquais ça, que je lui montrais... Quand tu vois la même erreur se reproduire, tu changes un peu ton message. J'ai voulu attirer son attention. Et ç'a mieux été après.

Therrien jure qu'une histoire semblable ne laisse aucune trace. Il connaît assez ses joueurs, dit-il, pour savoir comment pousser chacun d'eux à atteindre son plein potentiel. « Pas un athlète ne fonctionne de la même façon, dit-il. À Pittsburgh, mon approche avec Sidney Crosby n'était pas la même qu'avec Eugeny Malkin. Mais les deux ont eu du succès. »

Pourtant, de l'extérieur, les liens entre l'entraîneur et son défenseur vedette ne semblent pas optimaux. Quand je le lui mentionne, l'entraîneur du Canadien situe l'affaire dans une perspective plus large. 

L'important, rappelle-t-il, est de tirer le meilleur de chacun de ses joueurs.

« Si j'avais 23 joueurs qui m'aimaient et trouvaient que j'étais un bon gars, ça signifierait que je ne fais pas ma job. Dans toute entreprise, tu ne peux pas être un leader en faisant toujours plaisir à tout le monde. C'est impossible. Surtout dans notre milieu où il y a de la compétition et de l'émotion. Si j'avais voulu me faire aimer, je n'aurais pas fait cette job-là. »

Cela dit, Therrien assure que ses liens avec Subban sont cordiaux. Et que de tous les membres de l'équipe, il est un de ceux à qui il parle le plus souvent.

« On lui porte beaucoup d'attention, dit-il. Jean-Jacques Daigneault s'assoit aussi souvent avec lui. Mais ne pense surtout pas que chaque fois qu'on le rencontre, c'est pour lui taper sur les doigts! Pas du tout. Neuf fois sur dix, c'est le contraire. Je parle simplement de communication. »

Therrien assure que Subban, dont il qualifie la personnalité de « différente », est respecté de ses coéquipiers. Et qu'aucun d'eux ne lui a dit le contraire.

En assumant avec un plaisir évident son statut de star, le numéro 76 tranche dans le monde plutôt lisse de la LNH. Mais Therrien ne s'en formalise pas.

« Il faut s'ajuster aux athlètes d'aujourd'hui. Si tu ne le fais pas, tu as un méchant problème. L'important pour moi, c'est qu'ils soient prêts lorsque l'entraînement ou le match commence. »

Si on parle beaucoup de Subban, le Canadien aligne aussi de jeunes joueurs qui se retrouvent soudainement riches et immensément populaires. Cela comporte un certain nombre de risques. Et il est illusoire, pour reprendre l'expression de Therrien, de s'imaginer qu'ils seront tous assis devant « un verre de lait et un biscuit au chocolat » à 23 h, sept jours par semaine. « Tu essaies de les guider », dit-il.

- Les couvre-feux existent-ils encore?

- Oui, mais je ne suis pas du genre à cogner aux portes. Tu veux que l'athlète soit responsable. Et tu as une maudite bonne idée lorsqu'il arrive à l'entraînement le matin.

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Alex Galchenyuk, Max Pacioretty et Brendan Gallagher ont causé des flammèches dans la dernière ligne droite de la saison. Le Canadien semble enfin s'être trouvé un premier trio. Michel Therrien conservera-t-il cette unité tout au long de la prochaine saison? « C'est mon intention de les partir ensemble, c'est sûr », répond-il.

- Michel, s'ils ne marquent pas pendant trois matchs, tu finiras bien par les changer. Tu es reconnu pour modifier très souvent tes trios...

Ma remarque à peine complétée, Therrien réplique: « Non, je suis reconnu pour coacher. Quand les choses ne vont pas bien, s'il n'y a pas de chimie et que les joueurs ne se voient pas sur la patinoire, s'ils passent plus de temps dans notre zone que celle de l'adversaire, je me dis: "Wo..." Moi, il faut que je trouve un moyen de gagner tous les soirs. »

« Partout dans la ligue, les coachs partent avec un plan. Mais ils l'adaptent aux circonstances. Tu as le feeling de ton équipe, tu vois qui est dans sa game et qui ne l'est pas. C'est ça, connaître son équipe, c'est ça, coacher... »

Therrien est convaincu que les joueurs apprécient cette approche. Car elle les aide à rester dans le match. S'il ne modifiera pas cette manière de travailler, il convient que le jeu en avantage numérique doit être revu. Pour une troisième saison consécutive, celui du Canadien a été parmi les moins efficaces dans la LNH. Cela a encore coûté quelques victoires.

« Je ne suis vraiment pas satisfait. Et je suis très conscient qu'au bout du compte, c'est ma responsabilité. Qu'est-ce qui explique nos ennuis? La chimie, je pense... Pourtant, on a bien commencé la saison. Mais on a ensuite connu des difficultés. C'est peut-être aussi une question de maturité. Comme si tout le monde s'était mis à tirer sur la couverte pour tenter de corriger la situation... »

Plusieurs chantiers attendent l'organisation du Canadien au cours des prochaines semaines. Celui de l'attaque massive est majeur et Therrien le sait très bien.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Therrien assure que ses liens avec P.K. Subban sont cordiaux.

De l'espoir pour 2016-2017

Au prochain camp d'entraînement, Michel Therrien amorcera sa cinquième saison derrière le banc du Canadien. Aucun de ses prédécesseurs n'a réussi le coup depuis Scotty Bowman, dans les années 70. Pour poursuivre sur cette lancée, l'entraîneur devra replacer l'équipe sur le sentier de la victoire.

« La progression de nos jeunes m'encourage, tout comme celle du trio Galchenyuk-Pacioretty-Gallagher, dit-il. Le retour en santé de Carey Price sera aussi énorme. On aura un bon début de saison, il n'y a aucun doute dans mon esprit. On a toujours eu une bonne préparation et ça ne changera pas. La dernière saison nous aura tous fait grandir et fera aussi de moi un meilleur coach. »

Alex Galchenyuk est évidemment en tête des jeunes capables de donner une impulsion à l'équipe. Il a terminé le calendrier en force. « Si j'en avais fait le centre numéro un de l'équipe dès le début de la saison, cela lui aurait mis beaucoup trop de pression, explique Therrien. Et la confiance d'un joueur, c'est très important. Quand il la perd, il y a beaucoup de travail à faire pour la retrouver. »

L'expérience du trio Galchenyuk-Semin-Eller n'a pas duré. Le jeune attaquant s'est ensuite retrouvé à l'aile avant de revenir au centre dans la dernière ligne droite. Et Therrien jure que cela n'a rien à voir avec les blessures subies par d'autres joueurs, notamment David Desharnais.

« J'ai toujours voulu finir la saison avec Alex au centre. Quand il a repris cette position, j'ai vu qu'il perdait moins la rondelle, qu'il prenait avantage de ce que l'opposition lui donnait, au lieu de forcer le jeu. Au début, il voulait déjouer tout le monde. Je suis tellement heureux de sa progression... »

Cela dit, le talent offensif peut-il s'épanouir chez le Canadien? À force d'entendre Therrien répéter l'importance d'être « responsable défensivement » et « bon sans la rondelle », on finit parfois à en douter.

« Je ne suis pas d'accord, tranche-t-il. Mon but est de développer une équipe qui gagnera la Coupe Stanley. On veut aussi que nos joueurs soient responsables avec la rondelle. Je valorise les deux aspects. On veut que les gars exploitent les chances offertes par l'adversaire. »

C'est sur cet aspect que Therrien travaille avec Galchenyuk. « Pas un entraîneur ne montre à un joueur de son talent comment réussir un lancer puissant juste sous la barre horizontale! Mais je peux l'aider à se placer dans la meilleure position pour obtenir cette chance de tirer. Ça, ça fait partie de mon enseignement. »

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À l'évidence, plusieurs changements surviendront chez le Canadien en vue de la saison 2016-2017. L'un de ceux envisagés n'a rien à voir avec la composition de l'équipe. Therrien s'interroge sur l'opportunité de modifier le slogan accroché dans le vestiaire, « Pas d'excuses », en place depuis son retour derrière le banc.

« Je l'avais aussi utilisé avec les Penguins de Pittsburgh, explique-t-il. Je verrai s'il faut passer à une autre étape. Faudra en discuter... »

Therrien a été blessé par l'utilisation que certains en ont faite, mettant en opposition ces deux mots et les raisons invoquées par la direction pour expliquer cette chute au classement.

« Ça m'a fait un peu mal, la manière, dont les gens ont réagi. Mets-toi à notre place... Il y a parfois des différences entre des excuses et des réalités. C'est drôle parce que plusieurs entreprises l'ont utilisé à l'intention de leurs employés. Mais bon, c'est comme ça... »

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Diriger une équipe de la LNH est une lourde tâche. Et lorsque les choses vont mal, comme ce fut le cas pour le Canadien au cours des derniers mois, le sommeil est plus difficile à trouver.

« Je me souviens de m'être réveillé en pleine nuit la veille d'un match, raconte Therrien. On n'avait pas encore décidé si Dustin Tokarski ou Mike Condon serait le gardien. Il était 4 h du matin et j'avais le goût d'appeler Stéphane Waite pour en discuter!

« J'ai été incapable de me rendormir, pensant sans arrêt à cette décision. À 5 h 30, j'ai trouvé que c'était raisonnable d'appeler Stéphane. Il a répondu et m'a dit: "Tu es bien de bonne heure, ce matin..." »

Avec Carey Price en santé, les nuits blanches s'annoncent moins fréquentes. En 2016-2017, Michel Therrien espère mieux dormir.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

«La progression de nos jeunes m'encourage, tout comme celle du trio Galchenyuk-Pacioretty-Gallagher», dit Michel Therrien.