Les séries éliminatoires de la Coupe Stanley commencent ce soir sans la participation d'une seule équipe canadienne.

Pour la LNH, il s'agit d'une très mauvaise nouvelle. Les vrais amateurs s'intéresseront aux matchs, mais sans attachement émotif. Quant aux partisans occasionnels, ceux qui raffolent de l'ambiance s'emparant d'une ville lorsque le club local provoque de grandes émotions, ils ne seront pas au rendez-vous.

Au milieu des années 90, Gary Bettman n'a pas versé de larmes lorsque les Nordiques de Québec et les Jets de Winnipeg ont déménagé au Colorado et en Arizona. Une quinzaine d'années plus tard, en annonçant le transfert des Thrashers d'Atlanta au Manitoba, son visage n'a montré aucun entrain.

Encore aujourd'hui, on se doute bien que le commissaire rêve d'implanter des équipes à Las Vegas et à Seattle plutôt qu'à Québec. La LNH aimerait augmenter le nombre de ses concessions aux États-Unis, qui est moins élevé que dans les trois autres sports majeurs.

Malgré tout, le commissaire est conscient de l'apport essentiel du Canada dans les affaires de la LNH. Un exemple: la Coupe du monde de hockey est un des projets lui tenant le plus à coeur. La première édition, en septembre prochain, sera entièrement tenue à Toronto.

Bettman sait en effet très bien que la métropole canadienne est celle où cette compétition générera les plus hauts revenus, autant sur le plan de la vente des billets que des commandites. Aucune ville américaine ne serait capable d'en faire autant à cette période de l'année. Et l'intérêt des fans sera élevé.

Au fil des années, les revenus de la LNH gagnés au Canada ont beaucoup augmenté. Le contrat de télé avec Rogers/Sportsnet/TVA, une affaire de 5,2 milliards en 12 ans, en constitue la meilleure preuve. Il s'agit, et de loin, de la plus lucrative entente du circuit.

Or, comment se sentent ces diffuseurs ce matin? Les séries éliminatoires sont le moment privilégié pour toucher de gros revenus de publicité, pourvu qu'une condition soit remplie: les équipes auxquelles les auditeurs s'identifient doivent être dans la course.

Au Québec, l'absence du Canadien fera mal à TVA. Au Canada anglais, Rogers/Sportsnet ne pourra mettre en évidence un seul club du pays. Les cotes d'écoute ne seront pas celles espérées. La déception est sûrement vive.

Pour les équipes canadiennes, rater les séries éliminatoires fait encore plus mal cette année. Elles sont victimes d'une tempête parfaite. Elles sont déjà touchées par la chute de la valeur du huard, et aucune d'elles n'empochera les revenus liés à cette période la plus payante de la saison. On parle ici de dizaines de millions de dollars en gains potentiels, comme l'a fait remarquer Ray Lalonde, ancien vice-président du Canadien, à l'antenne du 98,5 FM hier.

Si cette réalité est dure pour le Canadien, imaginez l'impact pour les Sénateurs d'Ottawa, les Jets de Winnipeg et les Flames de Calgary. La présentation d'une seule ronde éliminatoire aurait eu un impact important dans leur budget.

***

Dans toute l'histoire de la LNH, c'est seulement la deuxième fois que les équipes canadiennes sont absentes des éliminatoires. En 1970, le Canadien et les Maple Leafs de Toronto ne s'étaient pas qualifiés. L'affaire avait fait grand bruit. D'autant plus que le CH n'avait pas échoué à ce test depuis 1948!

«Drôle de sensation», avait déclaré à La Presse Jean Béliveau, ébranlé par cette fin de saison trop rapide. «C'est une expérience dont je me passerais volontiers. Depuis 17 ans, participer aux séries était presque une affaire de routine.»

C'était une autre époque, bien sûr. Jean-Jacques Bertrand, de l'Union nationale, était premier ministre du Québec. Le boni versé au meilleur pointeur de la LNH (Bobby Orr) atteignait tout juste... 2000 $. Et les Expos s'apprêtaient à disputer le premier match de leur deuxième saison dans les majeures avec Joe Sparma au monticule! Mais la déception des partisans du Canadien était la même qu'aujourd'hui. Certaines choses ne changent pas.

Si la situation de cette année est exceptionnelle, il n'en reste pas moins qu'aucune équipe canadienne n'a remporté la Coupe Stanley depuis 1993. La disette se poursuivra ce printemps. C'est d'autant plus bizarre compte tenu des atouts des clubs canadiens.

Le hockey est le sport numéro un au pays, contrairement aux États-Unis, où il vient après le football professionnel et collégial, le baseball et le basketball. Résultat: de Montréal à Vancouver, les gradins des sept amphithéâtres sont pleins et les revenus tirés des contrats de télé locale sont excellents.

Selon le magazine Forbes, qui évalue la valeur des 30 clubs de la LNH, le Canadien et les Maple Leafs de Toronto occupent les deuxième et troisième rangs du classement. Les Canucks de Vancouver font aussi partie du top 10. Les Oilers d'Edmonton, les Flames de Calgary, les Sénateurs d'Ottawa et les Jets de Winnipeg comptent parmi les 20 premiers. Aucune équipe canadienne ne se retrouve parmi les 10 dernières du peloton.

Cette valeur étant en partie déterminée par les revenus des organisations, on peut conclure que les clubs canadiens ont les moyens d'embaucher du personnel qualifié, et en nombre suffisant, pour chapeauter le volet sportif. Et dans tous ces marchés, les médias suivent attentivement le travail du DG et de l'entraîneur, ce qui les tient sur le qui-vive.

Pourtant, les Maple Leafs et les Oilers déçoivent depuis une dizaine d'années.

Les Flames ont franchi le premier tour des séries à peine deux fois depuis leur conquête de la Coupe Stanley en 1989.

Les Canucks, finalistes en 2011, sont toujours à la recherche de leur premier championnat depuis leur entrée dans la LNH en 1970.

Les Sénateurs ont participé à la finale de 2007, mais doivent plonger dans l'histoire de leurs ancêtres des années 20 pour renouer avec de grands triomphes. Les Jets, eux, ont connu leurs plus belles saisons dans l'Association mondiale de hockey.

Et le Canadien? Avec deux participations à la demi-finale depuis 2010, le bilan n'est pas catastrophique. Mais il manque de panache, d'autant plus que l'équipe a raté deux fois les séries durant cette période.

Pourtant, les clubs canadiens ne subissent pas la pression économique de nombreux clubs américains. Mais des organisations riches comme celles du Canadien, des Maple Leafs et des Canucks n'arrivent pas à profiter de cette extraordinaire souplesse.

***

Quelques clubs canadiens se qualifieront sans doute pour les séries au printemps prochain. Après tout, le CH ne pourra faire pire que cette saison. Les Sénateurs et les Jets obtiendront peut-être aussi leur billet d'entrée.

Mais le véritable défi tient dans cette question : à quand le retour de la Coupe Stanley au Canada ? Il faudra sans doute attendre que Connor McDavid devienne la figure dominante du circuit avec les Oilers d'Edmonton.

Mais peu importe quelle organisation réussira l'exploit, il s'agira d'un développement heureux. La LNH a besoin de concessions fortes au Canada. Pas seulement sur le plan financier, mais aussi sur la patinoire.

Photo Robert Mailloux, archives La Presse

La Coupe Stanley n'a pas été gagnée par une équipe canadienne depuis 1993.