J'aimerais assister à une conversation entre Jeremy Jacobs et Régis Labeaume. D'un côté, l'influent propriétaire des Bruins de Boston, président du Bureau des gouverneurs de la LNH; de l'autre, le maire de Québec, un homme convaincu du potentiel de sa ville.

Plus tôt cet automne, Jacobs a ébranlé les partisans du retour des Nordiques. Le circuit, a-t-il dit, n'a peut-être pas la «volonté» de procéder à une expansion, malgré le processus formel lancé à cet effet.

Puis, après avoir vanté la candidature de Las Vegas, il a eu ce commentaire inquiétant à propos de Québec: «L'intérêt envers le hockey est immense, mais il s'agit d'un marché extraordinairement petit.»

Cette déclaration touche une corde sensible. La taille de l'agglomération de Québec représente le seul élément suspect dans son désir de retrouver ses Nordiques. Les propos de Jacobs, un homme respecté dans la LNH, feront sûrement réfléchir d'autres propriétaires.

Mais si Jacobs s'entretenait avec Labeaume, comme je l'ai fait en septembre dernier au Centre Vidéotron, ses certitudes seraient ébranlées. D'abord, cet édifice remarquable, conçu pour une équipe de la LNH et pensé de manière à générer un maximum de revenus, l'impressionnerait à coup sûr.

Un exemple, parmi d'autres: l'objectif est de créer un achalandage constant. Pas question d'ouvrir les portes seulement pour un gros événement. Alors plusieurs salles sont disponibles pour des banquets, des partys, des réunions d'affaires...

Ensuite, Labeaume pourrait expliquer à Jacobs sa vision de la ville, dont les principaux axes tombent en place.

Pourquoi évoquer ce sujet aujourd'hui? Parce que Gary Bettman et les propriétaires d'équipe amorcent ce matin, en Californie, une réunion où ils feront le point sur le projet d'expansion. Aucun vote ne sera tenu, mais l'allure des discussions tracera la ligne pour la suite des choses.

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Assis dans une loge du nouvel amphithéâtre, le maire de Québec lance: «Je travaille en fonction de la stratégie de la masse critique. On n'essaie pas de faire ce que les autres font. On mise plutôt sur des choses qui nous ressemblent, avec notre matière première. Nous sommes à la recherche d'éléments de distinction. Et on mise sur l'innovation technologique pour assurer notre développement. C'est l'économie de la créativité.»

L'idée du maire Labeaume est de créer un environnement où de jeunes couples scolarisés, capables d'enrichir la communauté par leur travail, voudront s'installer et élever une famille. Il agit en pensant à leurs besoins et non pas, pour reprendre son expression, «en fonction des valeurs d'un vieux maire de 59 ans».

Pour atteindre ce but, il souhaite augmenter la «masse critique» d'équipements attrayants. Et miser sur les atouts de la ville, comme sa nordicité et son accès aux activités de plein air. «Tout à coup, les gens vont réaliser qu'il se passe quelque chose de différent ici...», ajoute-t-il.

Au fil des années, Québec s'est transformé. La remarquable revitalisation du quartier Saint-Roch s'est amorcée avant son arrivée aux commandes. Mais Labeaume a enclenché la vitesse supérieure.

Cela a permis de rompre avec la grisaille ayant suivi le départ des Nordiques et l'échec de la candidature aux Jeux olympiques d'hiver de 2002, deux coups de massue survenus en 1995.

Aujourd'hui, Québec est une ville sur la lancée. Dans notre section Affaires de jeudi dernier, mon collègue Jean-Philippe Décarie a dressé un portrait éloquent de la situation. Depuis 2006, écrit-il, la région affiche «un parcours atypique en matière de développement économique en s'illustrant comme la région phare de création d'emplois au Québec».

En fait, il est si difficile de trouver de la main-d'oeuvre que, comme l'explique Jean-Philippe, «les entreprises applaudissent» lorsque le taux de chômage atteint 5%, car cela signifie «qu'il y aura de nouveaux postulants pour les emplois offerts».

La création de la Promenade Samuel-De Champlain, un vaste parc le long du fleuve, a ajouté au charme de la capitale. Le Centre Vidéotron renforce l'offre et constitue un pôle d'attraction pour tout l'est du Québec.

Le maire mise aussi sur deux autres «éléments de distinction». Le projet d'anneau de glace, une affaire de 65 millions, demeure dans les cartons. Et en 2017, Le Diamant, un théâtre bâti à l'initiative de Robert Lepage au coût de 54 millions, ouvrira ses portes.

En septembre dernier, le dramaturge a déclaré: «Je pense que Québec vit actuellement une renaissance dans son patrimoine culturel et sportif.»

De la part d'un créateur sillonnant le monde, cette observation est significative.

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Québec n'a pas l'ampleur des plus grandes villes de la LNH. Mais on ne peut comparer sa situation actuelle à celle de 1995, au moment du départ des Nordiques. Jeremy Jacobs le sait-il?

Oui, la taille du marché est un facteur dans le succès d'une équipe. Mais la passion des citoyens pour le hockey compte aussi.

Ainsi, la région de Raleigh, en Caroline-du-Nord, est plus importante que celle de Québec, tout comme le grand Miami. Mais vous avez vu les milliers de sièges vides, samedi, quand le Canadien a visité les Hurricanes?

Et en Floride, les propriétaires des Panthers ont relancé les promotions pour écouler leurs billets. Ainsi, pour 79$, on obtient quatre billets, quatre hot-dogs, quatre boissons gazeuses et le stationnement gratuit!

En revanche, un petit marché comme Winnipeg, avec des propriétaires solides et des fans enthousiastes, est un succès, malgré un taux de change défavorable.

Québec est prêt, monsieur Jacobs!