L'histoire survient au milieu des années 60, dans une école secondaire de Verdun. Premier de classe, un adolescent reçoit une raquette de tennis en récompense de ses efforts. «Tu prends une balle et tu frappes contre le mur de la cour d'école», lui dit son professeur.

Le garçon écoute le conseil. Et il tombe en amour avec ce sport dont il ignorait tout. Près de chez lui, il découvre un court mal fichu, avec un filet n'atteignant pas le sol. Cette installation vétuste ne diminue en rien son enthousiasme. Et pour la première fois, il échange des balles avec un partenaire. Il fréquente ensuite le club Woodland, où il s'améliore vite.

À l'âge de 16 ans, son père lui déniche un boulot pour qu'il contribue au paiement de ses études: décharger des camions à l'hôpital Notre-Dame.

Le midi, il mange son sandwich au parc La Fontaine, de l'autre côté de la rue Sherbrooke. Un jour, il aperçoit une monitrice enseigner à des jeunes sur les terrains de tennis. «J'aimerais tellement mieux donner des cours comme elle plutôt que de vider un camion...», pense-t-il. Il s'approche et lui demande: «Comment on fait pour devenir moniteur?»

L'information obtenue, la vie de Louis Cayer bascule. Il s'inscrit au stage approprié, passe avec succès l'examen et se retrouve entraîneur de tennis. Dimanche dernier, en Belgique, 47 ans après cet épisode, il est devenu le premier Québécois et le premier Canadien à être membre de l'équipe championne de Coupe Davis.

Depuis 2006, Cayer est établi en Grande-Bretagne, où il conseille l'équipe de double des frères Jamie et Andy Murray. Leur gain dans le troisième match de la finale contre la Belgique a été un point tournant de l'affrontement, donnant aux Britanniques une avance de deux victoires à une. Le lendemain, Andy a concrétisé le triomphe en battant David Goffin en simple. Du coup, la Grande-Bretagne a enlevé son premier titre mondial en 79 ans.

***

À l'autre bout du fil, Louis Cayer raconte ce week-end magique avec entrain. «C'est vraiment excitant de vivre ça! Je suis en Coupe Davis depuis 20 ans: 12 avec le Canada et 8 avec la Grande-Bretagne... Il ne faut pas dire avec l'Angleterre, car si on n'avait pas les deux Écossais, on ne gagnerait pas!»

Cayer travaille depuis longtemps avec Jamie, spécialiste du double. Les matchs internationaux lui donnent une occasion formidable: côtoyer et conseiller Andy, deuxième joueur mondial en simple.

Le Québécois de 63 ans est reconnu comme le plus grand spécialiste de double sur la scène internationale. La Grande-Bretagne ne comptait aucun joueur de cette spécialité parmi les 100 premiers au monde à son arrivée au pays. Quelques années plus tard, ils étaient huit!

«Andy connaît mon travail avec son frère, explique Cayer. Alors, il me fait confiance quand je l'entraîne pour le double. C'est très facile de le diriger, il est tellement talentueux. J'ai ainsi la chance de voir comment un champion se consacre à son sport. Il arrive au stade le premier, comme un Guy Lafleur ou un Wayne Gretzky. C'est formidable de suivre sa routine, de sa préparation physique à son alimentation... En plus, il est un super gars d'équipe.»

Le quotidien The New York Times a récemment consacré un article élogieux à Cayer. On cite cette déclaration de Jamie Murray: «J'ai rencontré plusieurs coachs dans ma carrière, mais il est sans conteste celui qui apporte le plus d'attention aux détails. Il soigne tout l'environnement du joueur. [...] Il est aussi un enseignant. Son expérience est vaste, il connaît plein d'anecdotes et les différentes philosophies de coaching.»

En lisant ces mots, une entrevue que j'ai réalisée avec Cayer en février 1997 m'est revenue en tête. À l'époque, il était capitaine de l'équipe canadienne de Coupe Davis, premier à occuper ce poste sans avoir été un joueur établi. Sa longue association avec le club de L'Île-des-Soeurs en faisait aussi un nom familier au Québec.

Ce qu'on savait moins, c'est que sa renommée dépassait déjà nos frontières. Il prononçait des conférences aux quatre coins du monde pour partager ses idées sur l'enseignement du tennis, en plus d'être membre du comité d'entraîneurs de la Fédération internationale.

Durant notre entretien, Cayer m'avait expliqué les problèmes du tennis canadien. Il souhaitait la création d'un centre national d'entraînement, où les espoirs se regrouperaient. Il voulait que nos techniques d'enseignement s'inspirent des meilleures pratiques en Espagne, en Allemagne, en France... Et il rêvait du jour où nos jeunes joueurs obtiendraient l'appui financier nécessaire.

Aujourd'hui, même si du travail reste à faire, ces changements ont été implantés. Bien sûr, Cayer n'était pas le seul à penser ainsi. Mais il est certainement de ceux ayant contribué à moderniser notre tennis d'élite.

- Tout de même, Louis, pour un p'tit gars de Verdun, ce n'est pas rien de brandir la coupe Davis avec les frères Murray, d'être un des entraîneurs du pays gagnant...

- Si tu m'avais dit ça! La vie est parsemée de petits hasards...

Quelle aurait été la vie de Cayer s'il n'avait pas mérité cette raquette de tennis au secondaire? Mais ce «petit hasard» n'explique pas tout. Il a ensuite franchi les étapes une à une, amorçant son parcours dans le réseau des parcs de Montréal. Son succès, il le doit d'abord à son acharnement et à sa passion.