Début juillet, Nick De Santis reçoit un coup de fil : Lino DiCuollo, un responsable de l'acquisition des joueurs en Major League Soccer (MLS), lui apprend que le Fire de Chicago, détenteur des droits sur Didier Drogba, ne tentera pas de l'embaucher. L'Impact aurait-il un intérêt ?

Didier Drogba ! La seule évocation de ce nom fait rêver le vice-président aux relations internationales de l'Impact. Voici un joueur de classe mondiale qui, en 2012, a conduit l'équipe anglaise de Chelsea à la victoire en Ligue des champions. Durant la finale contre le puissant Bayern Munich, il a créé l'égalité en fin de rencontre, puis marqué le but décisif en tirs de barrage.

Âgé de 37 ans, l'athlète ivoirien n'est plus une jeunesse dans l'univers du sport de haut niveau. Mais il demeure un joueur de premier plan, sûrement capable de s'imposer en MLS. De Santis met vite son patron Joey Saputo au parfum de cette occasion exceptionnelle.

Intrigué par la perspective de voir Drogba endosser le maillot de l'Impact, le propriétaire de l'équipe sait cependant que le coût d'une pareille acquisition sera très élevé. Or, l'organisation doit encore se battre pour consolider sa place dans le paysage sportif québécois.

À chaque match, des centaines de sièges demeurent vides au stade Saputo. Le risque en vaut-il la chandelle ? Après tout, si la valeur de la concession a bondi depuis 2012, les opérations courantes demeurent déficitaires. Selon le magazine Forbes, les pertes auraient été de 3 millions l'an dernier.

Après avoir évalué l'affaire, Joey Saputo fonce, un acte de foi envers le marché montréalais. À l'instar de De Santis, il réalise que Drogba pousserait l'organisation à un autre niveau, que sa dimension est celle d'une véritable star internationale.

Marco Di Vaio a rendu de grands services à l'Impact de 2012 à 2014, mais il n'était guère connu au Québec avant de se joindre à l'organisation. Le nom de Drogba résonne immensément plus fort, et cela, partout sur le globe.

De Santis communique alors avec Drogba, qui attend son appel. Sa mission est délicate. Lorsqu'elles font le saut en MLS, les vedettes du soccer choisissent habituellement New York ou Los Angeles, de loin leurs destinations préférées.

De Santis, conscient de cette réalité, ne s'en formalise pas. Il est convaincu que Montréal, avec sa diversité culturelle, constituerait une formidable terre d'accueil pour Drogba, qui est né en Afrique, a grandi en France et joué en Angleterre, en Chine et en Turquie. Après les salutations d'usage, De Santis lui dit : « Je veux essayer de te vendre notre ville, notre province et notre club. »

Au fil de la conversation, Drogba s'informe des éventuelles attentes de l'Impact à son endroit. « Il nous manque un attaquant, lui répond De Santis. Tu es la solution pour compléter notre équipe. On ne veut pas que tu prennes tout sur tes épaules. Mais on croit que ta présence nous améliorera beaucoup. Et je ne parle pas seulement de tes qualités comme joueur, mais aussi de ta présence et de ton leadership dans le vestiaire. »

Ce premier contact fait, Joey Saputo appelle à son tour Drogba. Le courant passe bien entre les deux hommes. Quelques jours plus tard, toujours au téléphone, De Santis discute de nouveau avec Drogba qui, cette fois, est flanqué de ses deux agents, Pierre Frelot et Thierno Seydi.

L'aspect technique est au coeur de leurs échanges : qui sont les autres joueurs ? Comment l'équipe fonctionne-t-elle ? Au bout du compte, Drogba dit à ses agents : « Côté sportif, je n'ai aucun problème. À vous maintenant de négocier le reste. »

Le dossier semble solidement sur les rails. Hélas, De Santis reçoit alors un nouvel appel de la Ligue. Le Fire de Chicago est de nouveau intéressé à Drogba ! Son nom étant toujours inscrit sur sa liste, l'Impact doit cesser ses démarches. Le moment de stupeur passé, De Santis reprend confiance. « Didier ressent quelque chose à propos de Montréal... », se dit-il.

Pendant plusieurs jours, l'Impact demeure sur les lignes de côté. Drogba, lui, n'est manifestement pas emballé à l'idée d'aller à Chicago. Il pourrait donc poursuivre sa carrière ailleurs qu'en MLS, ce qui constituerait une occasion ratée pour tout le circuit.

Cette tournure des événements serait dommage. D'autant plus que la plupart des vedettes embauchées comme « joueurs désignés », un statut leur permettant de toucher un salaire largement supérieur au maximum prévu à la convention collective, choisissent leur équipe. Ainsi, Andrea Pirlo, l'international italien qui aurait sûrement intéressé l'Impact, voulait uniquement jouer à Los Angeles ou New York. Il est aujourd'hui membre du New York FC.

Conscients de la situation, les dirigeants de la MLS suggèrent finalement au Fire de demander un dédommagement à l'Impact, ce qui est fait.

Après une autre ronde de négociations, Drogba accepte un contrat valide jusqu'à la fin de la saison prochaine. Incroyable mais vrai : lui, le « Drogba héroïque », comme l'a qualifié le journal Le Monde après sa performance en finale de la Ligue des champions, est membre de l'Impact.

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Dans un café de la Petite Italie, Nick De Santis, les yeux brillants, me raconte les événements ayant conduit à l'acquisition de Drogba.

Pour Joey Saputo et toute l'organisation, l'arrivée de ce joueur unique est un accomplissement remarquable... qui s'accompagne d'une immense responsabilité ! L'Impact doit s'assurer que le brillant attaquant se sente à l'aise au sein de l'équipe, qu'il en apprécie le professionnalisme et qu'il savoure son séjour à Montréal.

« Pour nous, il est important qu'il devienne un ambassadeur de l'Impact lorsqu'il nous quittera. Didier est connu partout. Lorsqu'un autre joueur lui demandera s'il a aimé son expérience parmi nous, on souhaite qu'il réponde : "Montréal ? C'est excellent !" », explique Nick De Santis.

Pour relever ce défi, l'Impact dispose de 18 mois. L'enjeu est considérable puisque la concurrence est toujours plus vive en MLS. Pour attirer de solides joueurs étrangers, ceux qui fait courir les foules et font gagner des matchs, les organisations devront démontrer leur sérieux.

À ce chapitre, avec son stade et son nouveau centre d'entraînement, l'Impact est en bonne position. Mais rien n'est plus important que la manière dont l'équipe est gérée. L'ambiance doit être propice à la victoire. Et le désir de « grandir comme club », souvent répété par ses dirigeants, doit être mesuré en fonction de réussites tangibles sur le terrain.

Drogba devrait contribuer à l'atteinte de ces objectifs. Samedi dernier, à son premier match complet, il s'est comporté en général. Son apport est allé au-delà de ses trois buts spectaculaires. Et, après un silence de quelques semaines, il s'est adressé aux médias après la rencontre, une nécessité pour un joueur devenu le pilier de l'équipe.

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En investissant dans l'équipe de Bologne l'an dernier, Joey Saputo a juré que son plongeon en Italie ne réduirait en rien son engagement envers l'Impact.

L'embauche de Drogba démontre sa sincérité. Le geste est encore plus significatif dans la mesure où le Bologne FC vit des moments exaltants. L'équipe est montée en Série A cette saison, le plus fort calibre au pays.

Compte tenu de la popularité du soccer en Italie, Joey Saputo aurait pu être tenté d'y consacrer un maximum de ressources au détriment de l'Impact. Il est plutôt resté fidèle à sa déclaration de l'an dernier : « L'Impact, c'est mon bébé ! »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Nick De Santis