Fin d'après-midi, hier. Deux jours après avoir été éliminée dès le premier tour de Roland-Garros, Eugenie Bouchard a repris des couleurs. Elle est assise dans une petite salle d'entrevue et s'exprime avec générosité, répondant à toutes mes questions en français.

«C'est toujours difficile après avoir perdu, dit-elle. Les heures qui suivent la défaite sont les plus dures. Ça fait un peu mal à l'intérieur. Mais après un jour ou deux, je me dis, O.K., j'ai pas bien fait, je voulais faire tellement mieux, mais ça demeure juste un match de tennis...

«Je sentais les attentes et la pression. Mais là, il n'y en a plus, c'est fini pour ce tournoi. Ça fait partie du passé et je peux relaxer. Le pire qui est arrivé, c'est que j'ai perdu en première ronde. Je suis encore vivante, tout va bien, la vie est encore belle, alors je vais simplement penser aux prochains tournois sur le gazon...»

Quelques minutes plus tôt, sur un terrain accueillant à peine quelques centaines de spectateurs, Eugenie Bouchard a perdu son match de double mixte en compagnie du Biélorusse Max Mirnyi. Nous sommes quelques journalistes à l'entourer.

Après voir répondu aux questions d'usage sur cette rencontre où elle s'est clairement amusée, souriant après plusieurs échanges, elle aborde des sujets plus délicats.

À commencer par sa décision de changer d'entraîneur cette saison, après avoir atteint deux demi-finales et une finale de Grand Chelem sous la gouverne de Nick Saviano, qui la connaît depuis l'adolescence.

«J'étais avec lui depuis huit ans, explique-t-elle. Je voulais une nouvelle voix, quelqu'un qui avait de l'expérience avec des championnes. J'ai atteint le 5e rang au classement avec mon ancien entraîneur. Mais il y a une grosse différence entre le 5e rang et le 1er. Je voulais quelqu'un connaissant un peu le chemin pour s'y rendre. C'était ça, le but du changement.»

Sam Sumyk, un Français qui a mené Victoria Azarenka à la conquête de deux titres majeurs et au premier rang mondial, conseille maintenant Bouchard. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Et la jeune athlète a perdu ses repères sur le terrain.

«C'est sûr, il y a eu une période d'ajustement d'un mois ou deux, reconnaît-elle. Il a fallu apprendre à communiquer ensemble, à ajuster nos personnalités. Je ne m'attendais pas à ça, mais c'est ainsi. On a maintenant franchi cette étape. Là, les choses vont bien. On s'entraîne fort et, un jour, les résultats viendront.»

- C'est difficile de développer une complicité lorsque les victoires ne viennent pas?

- C'est plus dur. Mais on voit ça comme un défi. Et on essaie de combattre toutes les choses qui vont mal.

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Au cours des derniers mois, à mesure que les défaites s'accumulaient, bien des fans ont reproché à Eugenie Bouchard d'être trop active sur les réseaux sociaux, publiant de nombreuses photos d'elle mettant l'accent sur les à-côtés de la vie de vedette. Du coup, les questions sont venues: prenait-elle sa carrière suffisamment au sérieux?

«Je mets aussi des photos à l'entraînement, des photos dans le gym!», réplique-t-elle lorsque je lui en fais la remarque. «Des gens diront n'importe quoi. Mais ça prend 15 secondes publier quelque chose en ligne. Et ça ne signifie pas que je ne me suis pas entraînée six heures ce jour-là.

«Et si je n'ai pas le droit d'aller au cinéma et au restaurant, ou de visiter la tour Eiffel parce qu'on pensera que je ne m'entraîne pas, alors je ne comprends pas...»

Bref, Eugenie Bouchard rappelle sa rigueur à l'entraînement, ce qui fait l'unanimité dans le monde du tennis. Mais elle revendique aussi le droit de vivre sa vie à sa façon, celle d'une jeune femme de 21 ans profitant d'occasions exceptionnelles.

Sur le plan sportif, une autre question est souvent évoquée: sa force musculaire est-elle suffisante pour briller au plus haut niveau?

«J'ai récemment changé d'entraîneur physique, dit-elle. Je me sentais bien, mais des personnes autour de moi pensaient que je n'avais pas assez progressé. Si c'est le cas, ce n'est pas bon. Je pense maintenant faire des pas dans la bonne direction.»

Puis, avec un sourire en coin à l'intention de son agente Jill Smoller, qui représente aussi Serena Williams, elle lance en bombant les biceps: «Je veux plus de muscles, je veux être comme Serena!»

Oui, Eugenie Bouchard a de l'humour, un côté d'elle qu'on connaît moins.

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La relation entre Eugenie Bouchard et le public québécois semble avoir perdu un peu de sa solidité au cours des derniers mois.

Elle a commis quelques faux pas. Comme, par exemple, sa remarque malhabile sur l'accent québécois à Roland-Garros l'an dernier. Elle a ensuite expliqué que ses amis et elle aimaient s'agacer de leurs accents respectifs.

Ou encore son refus de serrer la main de sa rivale roumaine à la manche montréalaise de la Coupe Fed, en avril dernier. Ou d'avoir annoncé à la dernière minute qu'elle ne serait pas présente à la Coupe Fed à Québec, deux mois plus tôt.

Mais lorsque je lui cite ces exemples, Eugenie Bouchard dit qu'ils n'étaient pas «planifiés», que ce sont simplement des choses qui sont «arrivées». Bref, elle semble surtout surprise qu'on fasse des liens entre ces situations pour en tirer une conclusion générale.

«Il y aura toujours des personnes pas d'accord avec ce que tu fais», ajoute-t-elle.

Cela ne la désarme manifestement pas, puisque le fait que ses gestes soient observés et commentés est forcément le signe d'une certaine réussite, note-t-elle.

Cela dit, même si Eugenie Bouchard rappelle avec raison que le tennis est d'abord un sport international et que sa carrière doit être menée dans cette perspective, elle ajoute: «Je viens de Montréal et c'est très important d'avoir l'appui des gens. Et je pense avoir beaucoup d'appuis à la maison. C'est important de ne pas oublier d'où tu viens.»

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L'entrevue achève. Encore le temps d'aborder un sujet.

- Si tes fans étaient ici devant toi, je pense qu'ils te poseraient une seule question: Eugenie, qu'est-ce qui arrive cette saison, comment expliques-tu tes ennuis?

La principale intéressée sourit et lance: «Je leur dirais que la vie n'est pas parfaite et que les choses ne se passent pas toujours comme tu veux. J'ai eu une très bonne saison l'an dernier, et peut-être que j'en aurai une autre comme ça l'an prochain, dans deux ans ou même une meilleure dans trois ans! On ne sait jamais.

«Je ne sais pourquoi les gens paniquent un peu parce que je n'ai pas exactement les mêmes résultats qu'en 2014. Ça ne fait pas trop de sens pour moi. Il y a des hauts et des bas, je crois en mes moyens et je sais que je peux revenir.»

- Toi, tu ne paniques pas?

- Non.

Eugenie Bouchard traverse une période difficile. Mais cette expérience lui apporte beaucoup de lucidité. Pour tous les jeunes athlètes promis à une belle carrière, il s'agit d'un acquis essentiel, même si ce passage use la patience.

FIFA, sport et politique

L'arrestation de hauts responsables de la FIFA dans un hôtel de Zurich, mercredi, a fait la une des journaux français, hier. «Fifa Nostra», a titré Libération; «Le scandale de trop», a ajouté L'Équipe, dont l'éditorial sur le sujet était intitulé «Pourriture».

Le quotidien sportif a frappé à boulets rouges, écrivant notamment: «Les procédures de la FIFA sont dignes de l'Antiquité. C'est Conan le Barbare joué en costumes trois-pièces par une troupe de retraités dans des palaces cinq-étoiles. Cette chevalerie des dessous de table ronde n'évoluera que si elle vole en éclats.»

L'affaire provoque une tempête qui durera longtemps. Mais ses suites ne devraient pas menacer la tenue de la Coupe du monde en Russie en 2018 et au Qatar en 2022.

D'abord, la justice américaine n'étudie pas - pour le moment - le processus vicié ayant conduit à l'attribution de ces deux événements. Elle se penche plutôt sur des pots-de-vin versés en retour de droits de commercialisation d'autres compétitions, ainsi que sur l'octroi de la Coupe du monde de 2010 en Afrique du Sud.

Quant aux Coupes du monde de 2018 et 2022, c'est la justice suisse qui s'y intéresse, ayant procédé à des perquisitions au siège principal de la FIFA, à Zurich. Les soupçons portent sur une «gestion déloyale» et le «blanchiment d'argent».

Vladimir Poutine s'est mêlé du débat hier, apportant sans surprise son soutien à Sepp Blatter et reprochant aux États-Unis de jouer les justicers à l'extérieur de leur pays. Le président de la Russie a mis tout son prestige derrière la Coupe du monde de 2018, tout comme ce fut le cas pour les Jeux de Sotchi en 2014.

Les grands bonzes du sport international n'ont pas de meilleur ami que Poutine. Ils ne cessent d'ailleurs de répéter qu'il ne faut pas mélanger politique et sport, comme si les deux n'étaient pas intrinsèquement liés.

Aujourd'hui, la FIFA se couvrira de ridicule en reconduisant Blatter à la présidence. Tout ce dérapage s'est déroulé sous sa gouverne, ce qui est bien suffisant pour le disqualifier, peu importe ses propres agissements dans ces dossiers.